La vétérane de l’équipe canadienne de hockey féminin, Brianne Jenner, fait preuve de sagesse et de leadership
Brianne Jenner Brianne Jenner est l’une des piliers de la formation de hockey féminin d’Équipe Canada. L’athlète de 33 ans d’Oakville, en Ontario, s’apprête à disputer le Championnat du monde féminin de l’IIHF pour la 11e fois avec Équipe Canada, alors que cette compétition se mettra en branle le 9 avril à Ceske Budejovice, en Tchéquie.
Jenner a remporté trois médailles olympiques, elle qui a décroché l’or à Sotchi 2014 et Beijing 2022, de même que l’argent à PyeongChang 2018. À Beijing 2022, Jenner a été nommée joueuse la plus utile du tournoi, menant avec neuf buts et égalant le record établi lors d’une même édition des Jeux olympiques, tout cela en portant le ‘A’ pour le Canada.
À l’occasion du lancement de la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) et de la première saison de ce circuit en janvier 2024, Jenner a été nommée capitaine de l’équipe d’Ottawa, qui s’appelle maintenant la Charge. Ce qui a confirmé la place importante qu’elle occupe dans l’histoire du hockey à titre de capitaine de l’édition inaugurale d’une des six équipes d’origine de la LPHF, les autres étant ses coéquipières d’Équipe Canada Marie-Philip Poulin (Victoire de Montréal), Micah Zandee-Hart (Sirens de New York) et Blayre Turnbull (Sceptres de Toronto).
Nous avons discuté avec Jenner à l’approche du Championnat du monde pour recueillir son point de vue sur l’impact de la LPHF, ce qui l’a inspirée à rêver des Jeux olympiques et la manière dont elle jongle entre son rôle de mère et sa carrière dans le sport professionnel.
Tu es la première capitaine de la Charge d’Ottawa, une des six équipes d’origine de la LPHF, et la ligue en est actuellement à sa deuxième saison. La LPHF connaît un immense succès et contribue à l’évolution du sport féminin en Amérique du Nord. Peux-tu nous parler de ta trajectoire de carrière et à quel point la situation sera probablement différente pour les jeunes filles qui grandissent et peuvent maintenant rêver de jouer au hockey dans les rangs professionnels ?
Je me considère super privilégiée d’avoir l’occasion de jouer dans cette ligue. Plusieurs de mes coéquipières qui sont arrivées sur la scène avant moi ont raté de peu l’occasion de le faire. Je suis donc très reconnaissante, mais je suis aussi contente pour la nouvelle génération de joueuses, de voir que ce sera maintenant leur réalité. Elles ne vont pas connaître autre chose. Cela est tellement merveilleux.
Je pense à ce que ma fille voit en suivant les activités de cette ligue, et au fait qu’elle ne considère pas qu’il y ait une différence ce que les garçons et les filles peuvent espérer en termes de carrière au hockey. Je trouve que c’est très important que mes garçons le voient aussi. Ils vont grandir et voir des femmes fortes et confiantes qui évoluent dans le sport professionnel, et je pense que c’est formidable pour leur propre développement aussi.
Comment te sens-tu quand tu réalises que tu fais partie d’une cohorte de joueuses qui représentent un exemple très visible à suivre pour la nouvelle génération ?
C’est vraiment spécial. Je pense que je l’ai réalisé pour la première fois la saison dernière. Ça donnait l’impression d’être bien plus qu’une simple saison de hockey, que c’était le début d’un mouvement formidable, d’une certaine façon.
Quand tu vas assister à un match de la LPHF en personne, il y a vraiment une énergie spéciale dans l’aréna. Il y a toutes ces jeunes joueuses de hockey qui peuvent voir leurs rêves se réaliser devant leurs yeux pour la première fois. Toutefois, il y a aussi toutes sortes de gens, le profil démographique des spectateurs est varié. Il y a beaucoup de femmes plus âgées qui avaient eu ce rêve aussi et qui ont joué au hockey, qui ont été arbitres ou entraîneures, et qui ont joué un rôle dans le développement de notre sport pour l’amener jusqu’au niveau où il se trouve aujourd’hui. Elles sont là pour célébrer tout ça ensemble avec nous et savourer le moment ensemble avec nous. Je trouve que ça aussi, c’est vraiment spécial. Ça donnait l’impression d’être une grande célébration l’an dernier, la célébration de quelque chose qu’on avait construit et construit pendant plusieurs décennies.

À Milano Cortina 2026, nous vivrons les premiers Jeux olympiques depuis le lancement de la LPHF. Selon toi, quel impact la création de la ligue pourrait-elle avoir sur le niveau de jeu aux Jeux olympiques ?
Je pense que l’effet va être énorme, peut-être pas nécessairement pas sur le niveau de performance sur la glace, mais plutôt dans la façon dont les équipes vont se préparer. Avant, des pays comme le Canada et les États-Unis demandaient à leurs joueuses de se rassembler pour s’entraîner, ce qui fait que tu passais toute la saison avec l’équipe nationale à te préparer pour les Jeux olympiques. Tu t’entraînais comme bien d’autres athlètes olympiques, en fonction de la période quadriennale, en fonction de la nécessité d’atteindre ton niveau de performance maximal en prévision des Jeux olympiques. Tout ça va être très différent maintenant. Ça va ressembler davantage à l’approche qu’on a adoptée par le passé avec les joueurs de la LNH.
Il va y avoir beaucoup plus de points de contact en cours de saison avec les équipes nationales et, probablement, des camps précédant la saison. On va faire le plus de préparation possible pour amener les joueuses à être sur la même longueur d’onde en termes de systèmes de jeu et de tactique. Cependant, la réalité est qu’il va falloir composer avec un calendrier chargé de la LPHF, ou avec ton équipe universitaire tout dépendant de la joueuse, et ensuite être prête à disputer un tournoi important quasiment du jour au lendemain. Ce sera donc différent comme défi et, comme à tous les Jeux olympiques, je pense que ce seront les pays qui vont le mieux gérer ces défis et qui se préparent le mieux dans ce contexte qui vont réussir.
Quel est le plus beau souvenir de ta carrière au hockey ?
C’est difficile d’en choisir juste un. Les premiers souvenirs qui me viennent en tête sont les célébrations après les victoires olympiques. À Sotchi 2014, j’ai remporté ma première médaille d’or aux Jeux, et mes parents étaient présents. Ce moment que j’ai vécu avec eux après… à ce stade-là de ma carrière, ce sont eux qui avaient fait les plus grands sacrifices pour que je puisse vivre cette aventure-là. C’est vraiment difficile de se rendre jusqu’aux Jeux olympiques si tu n’as pas un bon système de soutien. C’est donc quelque chose qui ressort du lot.
Au tournoi olympique de Beijing 2022, il n’était pas possible d’être accompagnées par nos familles. Faire du FaceTime avec eux et les célébrations avec les filles après, ont fait en sorte que c’était un peu difficile cette année-là, tout comme ç’a été le cas pour tous les athlètes au monde ! Ce genre de moment ressort du lot aussi, ça, c’est certain.
Quel est ton plus beau souvenir en tant que partisane de ton sport ?
Je pense que le souvenir qui a le plus transformé quelque chose en moi a été Salt Lake City 2002. J’ai l’impression que bien des joueuses canadiennes disent la même chose. Cette victoire à Salt Lake City, je me souviens que j’étais collée sur la télé, et que j’étais tellement en colère contre les arbitres, comme tous les Canadiens d’ailleurs.
C’est à ce moment-là que je me suis dit, ‘C’est ça que je veux faire. Je veux jouer pour cette équipe-là’. Je trouvais que ces femmes étaient les personnes les plus sensationnelles au monde, c’étaient mes héroïnes — et plusieurs d’entre elles le sont encore!
De nombreuses personnes étaient venues chez moi pour regarder le match. Je jouais au hockey dans une équipe de garçons à cette époque et quelques-uns de mes coéquipiers sont venus chez moi. C’était gratifiant de voir des femmes à la télévision, de les observer performer à un si haut niveau et lutter avec détermination malgré l’adversité. Je ne vais jamais oublier d’avoir vu ce match-là.

L’entraîneuse de l’équipe féminine canadienne de hockey Danièle Sauvageau (au centre) et son équipe arborant leur médaille d’or posent pour la photo de groupe après avoir battu les Ètats-Unis avec un score de 3 -2, le jeudi 21février 2002, aux Jeux olympiques d’hiver de Salt Lake City. (PHOTO PC/AOC/Mike Ridewood)
Comment penses-tu avoir évolué en tant qu’athlète, et comment ton approche du sport a-t-elle changé au fil des différentes étapes de ta vie ?
Je pourrais écrire un roman là-dessus! J’ai appris tout autant cette saison que je l’ai fait quand j’avais 22 ans. Je pense que c’est ça la plus grande leçon, qu’il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre.
Une des choses que je retiens particulièrement, quand on compare le développement au moment où tu es plus jeune par rapport à maintenant, c’est que tu réalises l’importance de la performance mentale et à quel point c’est un facteur qui fait la différence.
Quand tu es plus jeune et que ton corps est encore en voie de se développer, tu as encore beaucoup de gains à faire pour atteindre ton sommet sur le plan physique. Dans le cadre du programme de Hockey Canada, tu t’habitues à la charge de travail qu’il faut accomplir pour te préparer pour les Jeux olympiques, pour disputer un Championnat du monde, pour une compétition ou l’autre.
Ensuite tu réalises qu’au moment de disputer ces tournois-là, c’est tout aussi important de continuer à travailler sur ta performance mentale. Je pense que si vous posez la question à bien des athlètes olympiques, elles vont probablement vous dire que c’est ça qui fait la plus grande différence entre gagner l’or et l’argent, entre l’argent et le bronze. Parfois, ça se résume tout simplement à ça. J’ai le sentiment que j’apprends continuellement et que j’essaie toujours d’essayer d’améliorer cet aspect-là de mon jeu.
Tu as parlé de ton équipe de soutien et à quel point sa présence est importante. Il y a eu des discussions à l’approche de Paris 2024, et elles se poursuivront en vue de Milano Cortina 2026, sur les façons dont on pourrait mieux soutenir les athlètes qui sont des parents. Qu’est-ce qui t’a permis de trouver le juste équilibre — si l’on peut parler d’équilibre — entre tes responsabilités d’athlète professionnelle et de mère ? Quelles seraient les meilleures façons de soutenir les athlètes parents ?
Je pense qu’une des meilleures façons de soutenir les athlètes parents, c’est de leur offrir l’occasion, quand c’est possible, d’emmener leurs enfants avec eux à l’étranger. Un des plus grands défis, je trouve, c’est le temps que tu dois passer loin de tes enfants. C’est vraiment spécial quand tu peux vivre des moments forts et que ta famille est avec toi, que vous êtes ensemble, et vous pouvez donc partager ces souvenirs-là ensemble. De plus, ça te permet de continuer à prendre soin de tes enfants quand ils en ont besoin.
J’ai vraiment été chanceuse d’avoir un bon système de soutien. Mes deux parents et mes beaux-parents m’ont offert énormément de soutien. Ma conjointe offre un soutien solide aussi, d’autant plus qu’elle comprend mon mode de vie ainsi que les sacrifices et les choses qu’il faut faire comme ancienne athlète de haute performance.
Nous avons été vraiment chanceuses, l’an dernier dans la LPHF, de pouvoir emmener nos jumeaux et notre fille sur la route un peu. Ils sont un peu plus vieux maintenant, alors nous n’en avons plus autant l’occasion. Quand tu peux le faire, c’est sûr que ça facilite les choses d’avoir ta famille avec toi, ça t’aide à mieux composer avec un calendrier de matchs aussi chargé. Alors c’est bien de voir qu’on songe à ces questions-là et qu’on cherche des solutions, surtout au niveau olympique. Si tu es un parent qui allaite ou l’aidant principal, il faut en tenir compte. Ces gestes de soutien sont nécessaires, surtout que ça aide l’athlète à pouvoir donner son meilleur niveau de performance.
Le noyau de joueuses qu’il y a actuellement dans l’équipe nationale a commencé à avoir des enfants et nous sommes vraiment chanceuses parce que notre DG est très au fait de ces questions-là. Elle a elle-même une jeune fille, elle nous consulte régulièrement et essaie toujours de faire des accommodements quand c’est possible. Nous sommes donc chanceuses en ce sens-là, mais tu ne peux pas seulement te fier au fait que quelqu’un soit sympathique à la cause en raison de sa situation personnelle. Il faut que ça se fasse dans le cadre d’une politique bien établie.

En rafale avec Brianne Jenner
As-tu un rituel ou une routine d’avant-match ?
Le café, c’est non-négociable. C’est toujours un élément important de ma routine, aller me chercher du café avant de me rendre à l’aréna. Aussi, d’habitude, je joue au soccer de couloir ou à un jeu de possession avec des coéquipières avant le match. Ensuite, j’enfile toujours mon patin gauche en premier.
Un(e) athlète que tu admires?
C’est difficile de choisir! Je pense qu’une des expériences les plus cools que j’ai vécues comme partisane, c’est quand j’ai regardé notre équipe de soccer féminin jouer et qu’elles ont remporté leur médaille d’or [à Tokyo 2020]. Pour revenir à mes propos sur la performance mentale, de voir la façon dont notre gardienne de but, Steph Labbé, a géré la fusillade — j’étais éblouie. Je me suis dit, ‘Eh bien, voilà une super étoile’. Pas juste à cause de son talent, mais tout simplement de sa mentalité. D’ailleurs, parfois, quand je cherche à trouver ce niveau d’énergie, je pense à elle et à toutes ses coéquipières ainsi qu’à leur façon d’être dans ce contexte-là.
Si tu n’étais pas devenue joueuse de hockey, quel autre sport aurais-tu voulu pratiquer ?
Il y a les sports que j’aimerais pratiquer, et puis il y a ceux que je pourrais réellement pratiquer [rires].
Plus jeune, j’ai pratiqué des sports d’équipe et j’ai toujours adoré les sports d’équipe, mais je pense que ce serait spécial d’essayer un sport individuel pour vivre une expérience différente. Je pense que ce serait vraiment super d’être cycliste sur route. Peut-être que j’aurais un peu trop peur des collisions, mais en théorie, ce serait mon choix.
Le meilleur conseil que tu aies jamais reçu de la part d’un(e) entraîneur(e) ou d’une coéquipière?
Ce que des coéquipières et des entraîneurs en préparation mentale m’ont souvent rappelé au fil des ans, c’est qu’il faut être reconnaissante chaque jour d’avoir cette possibilité de faire ce que nous faisons. Quand tu es dans le domaine du sport de haute performance, tu peux facilement te faire prendre dans l’engrenage du processus à suivre, des résultats à obtenir et du prochain match à préparer. Quand tu prends du recul et que tu prends le temps de savourer ce que tu fais dans la vie, et d’apprécier les gens avec qui tu le fais, tu réalises que c’est vraiment spécial. Alors je trouve que c’est souvent utile de s’en rappeler, d’être reconnaissante chaque jour d’avoir droit à cette possibilité.
Je pense que parce que je suis une mère, parce que j’ai trois enfants, c’est beaucoup plus facile d’avoir cette vision des choses. Même si ça me donne une charge de travail supplémentaire dans ma journée, je pense que ç’a fait de moi une meilleure athlète, parce que dès que je reviens à la maison, je me rappelle à quel point je suis chanceuse, je réalise ce qui est vraiment important dans la vie. Ce qui fait que je suis vraiment reconnaissante d’avoir ma conjointe et ces trois-là dans ma vie, parce qu’ils rendent mon cheminement personnel tellement particulier.