Conseil d’une championne olympique : acceptez vos peurs
Chaque fois que les Jeux olympiques sont diffusés à la télé, je finis par téléphoner à ma partenaire d’aviron Kathleen Heddle.
« Comment avons-nous fait ça? Comment avons-nous gagné aux Jeux? Et… comment diable avons-nous gagné l’or trois fois? »
J’ai toujours cru que les Olympiens étaient des superhéros et je sais que je ne suis pas un superhéros.
J’ai été chanceuse de découvrir l’aviron parce que je l’ai vu dans une publicité télévisée et dans un film. J’ai immédiatement cherché un club d’aviron local dans l’annuaire téléphonique (ça fonctionnait comme ça avant Google!).
Wow. J’ai adoré ça.
Il s’est avéré que c’est d’un naturel pour moi de « sentir l’eau » et que de m’asseoir sur les fesses, aller à reculons et réellement souffrir physiquement encore et encore était quelque chose qui pouvait m’intéresser. Mais être à l’aise à gagner, particulièrement des courses importantes? C’était terrifiant.
Jusqu’à ce que Kathleen me dise qu’elle était effrayée elle aussi. Cela a tout changé.
C’était en 1991 et le Canada n’avait pas remporté de médaille aux Championnats du monde d’aviron depuis des années. Les équipages européens se sentaient assez chanceux quand le tirage au sort les opposait au Canada à leur première course. Mais Kathleen et moi (et le reste de notre équipe) sentions que nous avions le potentiel de changer ça.
Cependant, le potentiel ne veut rien dire au fil d’arrivée et nous l’avions appris l’année d’avant. Nous avions un réel potentiel pour gagner le bronze, mais sommes rentrées à la maison avec une décevante quatrième place. Détruites.
Avant les Mondiaux 1991, notre saison devait commencer à Lucerne dans ce qui était traditionnellement la course la plus importante sur le circuit de la Coupe du monde chaque année. Puisque chaque compétition peut compter sur plusieurs participations par pays, certains vont même jusqu’à dire que c’est plus difficile que les Championnats du monde.
Je me souviens tellement clairement de la nuit précédent ces finales. Ce jour-là, en demi-finale pour les duos féminins, Kath et moi avions défait quatre des six équipages classés têtes de séries, dont les premiers et deuxièmes. Le sujet de l’heure à la régate était que nous gagnerions la finale du lendemain. Vous savez, le genre de truc qui monte à la tête.
Je me souviens être couchée dans mon lit en essayant de dormir. Dans la noirceur, j’ai parlé à Kathleen à l’autre bout de la chambre. Elle n’était pas capable de dormir non plus.
« On a battu tout le monde aujourd’hui », ai-je dit avec sur un ton incrédule. Kathleen est une personne calme dans les moments les plus loquaces et éventuellement, sa réplique est arrivée : « Je sais ».
« Nous pourrions gagner ça demain », ai-je dit. Encore une fois, il y a eu une pause de réflexion puis elle a dit : « Je sais ».
J’ai pensé à mon commentaire suivant. Je savais ce que je voulais dire, mais parfois dire quelque chose et admettre quelque chose le rend réel; ça devient un plus gros problème que ce qu’on souhaite, mais je l’ai murmuré quand même.
« J’ai peur. »
Qu’est-ce que je venais de faire? Qu’est-ce que je venais de dire? J’avais admis ma peur! Est-ce que cela m’a rendue faible alors qu’elle avait besoin que je prétende être forte?
Dans le noir, elle a finalement répondu : « Moi aussi ».
Son « moi aussi » a tout changé. Si Kathleen Heddle – la personne en qui j’avais le plus confiance, l’athlète/rameuse la plus talentueuse que je connaissais – si cette Kathleen Heddle avait peur, alors avoir peur devrait être normal.
Je ne me suis plus inquiétée de ma peur après cela; je l’ai acceptée. Je lui ai permis d’être présente, de concert avec ma confiance. Après ça, j’ai bien dormi. Et le matin, nous nous sommes mises à gagner. Souvent.
Aujourd’hui, j’ai l’honneur d’être chef de mission de l’équipe olympique canadienne pour les Jeux de 2020 et ce moment – quand Kathleen a normalisé les peurs et les doutes qui accompagnaient mes ambitions, ce moment est ce que je désire partager avec les membres d’Équipe Canada.
Les Jeux de Tokyo seront mes dixièmes. J’y suis allée trois fois comme athlète, deux fois comme membre des médias et ce seront mes cinquièmes dans un rôle de mentorat. J’ai travaillé avec des athlètes olympiques d’hiver et d’été, des athlètes de prochaine génération et des vétérans. Il n’y a aucun(e) athlète, culture du sport ou chemin vers le podium qui soit pareil, mais les montagnes russes d’émotions que nous apportent nos ambitions nous procurent une expérience partagée.
Équipe Canada a choisi de valoriser l’énoncé « Sois toi ». Nous performons à notre mieux quand nous sommes traités comme égaux et nous sommes habilités à être notre véritable soi. Cela fait référence à notre soi social et culturel – tout comme les émotions puissantes qui viennent quand l’on croit à des objectifs extraordinaires.
Accepter que la peur et le doute soient aussi normaux dans notre quête que la confiance, c’est en partie ce qui nous rend authentiques. La présence de la peur ne nous rend pas faibles; elle nous démontre que nous avons donné une grande valeur à nos objectifs et qu’ils nous tiennent à cœur. Je veux que nous soyons à l’aise de nous soucier davantage, pas moins. Capables de faire plus, pas moins.
À Tokyo, et tout aussi important, dans la route vers ces Jeux olympiques, j’espère remplir n’importe quel rôle dont nos athlètes d’Équipe Canada auront besoin. Mentore? Cheerleader? C’est à eux de choisir. Ce sont leurs Jeux. J’espère aussi pouvoir les aider à réaliser que ce sont des gens « ordinaires » comme eux, comme nous, qui accomplissent des choses incroyables.
S’entraîner suffisamment pour être confiants, y tenir assez pour avoir des peurs, et commencer une carrière en gagnant quelque part.
Marnie McBean est une quadruple médaillée olympique en aviron. Trois de ces médailles sont en or, et il s’agit du plus haut total pour un athlète canadien à des Jeux d’été. Elle les a remportées à Barcelone en 1992 et à Atlanta en 1996 aux côtés de sa partenaire de course Kathleen Heddle. McBean conduira Équipe Canada comme chef de mission aux Jeux de Tokyo 2020.