La carrière du marathonien Cameron Levins est une leçon de persévérance
Si vous jetez un coup d’œil au livre des records canadiens en course de fond et de longue distance masculine, vous verrez probablement le nom de Cameron Levins à quelques reprises. Par quelques reprises, nous voulons dire plusieurs fois. Il détient actuellement les records canadiens du 15 km, du 20 km, du demi-marathon et du marathon et a aussi détenu, à divers moments au cours de sa carrière, les records du 10 km, du 5000 m en salle et du 10 000 m extérieur.
Les Jeux olympiques de Paris 2024 seront les troisièmes de Levins, mais ses deuxièmes en tant que marathonien. Il avait participé sur la piste au 5000 m et au 10 000 m à Londres 2012. Après qu’une blessure à la cheville l’ait empêché de participer aux Jeux de Rio 2016, Levins s’est tourné vers la plus longue des courses olympiques, et le marathon canadien n’a plus jamais été le même depuis.
À son tout premier marathon en octobre 2018, Levins a battu le record canadien de 2:10:09 de Jerome Drayton, qui tenait depuis 43 ans, quand il a terminé le marathon de Toronto en 2:09:25. Depuis, Levins a abaissé son propre record à deux autres reprises, une première fois aux Championnats du monde World Athletics 2022 à Eugene, en Oregon, alors qu’il a terminé quatrième grâce à un chrono de 2:07:09, et une seconde fois au marathon de Tokyo en mars 2023, où il a enregistré un temps de 2:05:36.
À l’approche de Paris 2024, Olympique.ca s’est entretenu avec Levins au sujet de la lutte mentale et physique que représente le marathon, et de l’héritage qu’il laisse à la course de fond et de longue distance canadienne.
Cette entrevue réalisée en décembre 2023 a été modifiée par souci de longueur et de clarté.
O.ca : Quel est, selon toi, le meilleur aspect du marathon et l’aspect le plus difficile?
C. L. : L’aspect le plus intéressant, c’est que le travail que l’on investit est très gratifiant. Je pense qu’il y a beaucoup de possibilités de s’améliorer simplement en fonction de l’effort que l’on est prêt à investir. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas un athlète talentueux, mais je pense que l’on peut faire beaucoup de progrès simplement en travaillant d’arrache-pied. J’ai retranché quatre minutes à mon chrono de 2:09:25 presque exclusivement grâce à mon dur labeur pour arriver là où j’en suis aujourd’hui.
L’aspect le plus difficile, c’est quand la course se passe mal et qu’il faut lutter longtemps pour la terminer, si vous décidez de le faire. Dans les courses sur piste, si quelque chose se passe mal ou si vous connaissez une course difficile, vous savez, souvent ce n’est que quelques tours ou même si c’est un 10 km, 12 tours c’est long, mais ce n’est rien comparé à une heure, une heure et demie de plus qui peut arriver dans un marathon et les 10 ou 12 derniers kilomètres sont difficiles quoi qu’il arrive.
Il y a toutefois vraiment une différence entre se sentir fatigué comme ça et continuer à bouger comme vous avez entraîné votre corps à le faire tant de fois auparavant.
O.ca : Comment se prépare-t-on mentalement à cela?
C. L. : Je dirais que le plus important est de comprendre que ce genre de journées va se produire, quoi que vous fassiez. C’est une question d’acceptation – peu importe à quel point vous ne voulez pas que cela arrive, cela arrive quand même. C’est certainement ce que je pense de ma préparation au marathon de New York [en novembre 2023]. J’avais l’impression que tout allait bien, mais je me suis soudain senti mal la veille et encore plus le jour de la course. Peu importe à quel point je voulais bien faire, et à quel point j’avais travaillé et avais fait apparemment tout ce que j’avais fait auparavant, ça s’est quand même mal passé. Accepter cela, aller de l’avant, reconnaître que ce ne sera pas toujours comme ça et qu’il n’y a pas toujours de réponses dans un sens ou dans l’autre, je pense que c’est vraiment important.
Je travaille avec un psychologue sportif pour m’assurer que j’aborde les courses avec le bon état d’esprit. L’une des choses à faire est de se parler à soi-même de manière positive. Il est très important d’être son plus grand partisan lorsqu’on participe à une course et qu’on s’entraîne jusqu’à cette course, de travailler sur cet élément en permanence. Parce que quoi qu’il arrive, vous ne vous sentirez pas bien pendant une grande partie de la course. Il est donc très important de mener cette bataille et de continuer à être positif quand les choses sont difficiles.
O.ca : As-tu des conseils à donner à quelqu’un qui regarde le marathon pour la première fois? Qu’est-ce que cette personne doit observer de plus près?
C. L. : Il se passe beaucoup de choses même quand vous pensez qu’il ne se passe pas grand-chose dans les premiers instants de ces courses. Même si vous vous dites « Je ne vois même pas cet athlète », c’est souvent parce qu’il s’agit d’un jeu délibéré pour ne pas être dans le cœur de l’action.
Je dirais donc que si vous regardez un marathon pour la première fois, il peut être très utile de télécharger une application ou d’obtenir des temps intermédiaires en direct tout au long de la course, afin de pouvoir suivre d’autres athlètes que ceux que vous regardez à l’écran.
Quoi qu’il en soit, la dernière moitié ou les 10 derniers kilomètres du marathon sont généralement très palpitants.
O.ca : Tu es vraiment à l’avant-plan du marathon masculin au Canada. Comment souhaites-tu te présenter comme modèle pour la prochaine génération d’athlètes d’épreuves de fond au Canada?
C. L. : J’espère être un bon exemple de persévérance dans ce sport. Il y a eu de nombreuses autres occasions dans ma carrière où j’ai été bon, mais pas nécessairement de manière constante ou au bon moment. Cependant, j’ai montré que j’avais le talent pour être un bon athlète. Je crois que tant que vous avez le talent, la volonté et le dévouement nécessaires pour rester dans le sport et continuer à pourchasser les rêves qui sont importants pour vous, je pense que vous pouvez ultimement obtenir ce que vous recherchez du sport vous-même.
Ce n’est pas toujours la même chose pour tout le monde. Par exemple, même dans mon cas, je ne sais pas si je vais nécessairement finir par obtenir ce que je veux, mais je suis heureux des efforts que j’ai investis. Je crois en fin de compte que c’est quelque chose qui me permettra de quitter le sport et d’être heureux de ce que j’ai accompli.
Je pense que c’est quelque chose, du moins je l’espère, que d’autres pourront retenir, que le succès ne signifie pas nécessairement la même chose pour tout le monde. Si toutefois vous restez dans le sport et que vous continuez à travailler, je pense qu’en fin de compte, vous obtiendrez ce que vous voulez.
O.ca : As-tu un entraînement particulier qui te permet de te sentir prêt à participer à une course?
C. L. : L’un de ceux que j’aime beaucoup est 3 x 5 km à l’effort du demi-marathon, car pour moi, le simple fait d’être capable de tenir le rythme du demi-marathon, ou du moins la fourchette que j’envisage pour ce type de distance, montre vraiment que l’on est en bonne condition physique.
Personnellement, je vise des 5 km en 14 minutes ou moins. Du moins, c’est ce que je vise à l’entraînement. Réussir un 5 km aussi rapide à plusieurs reprises après seulement quelques minutes de repos entre les deux, c’est important pour moi et ça me donne beaucoup de confiance quand ça se passe bien. C’est aussi très amusant de faire cela et de se dire « Wow, je n’arrive pas à croire que j’ai fait quelque chose comme ça. » En tout cas, c’est ce que j’ai ressenti la première fois.
[Remarque de l’éditeur : Jean-Simon Desgagnés, athlète de steeple d’Équipe Canada, s’est souvenu d’avoir été témoin de cela dans son propre entretien avec Olympique.ca : « Je me souviens que Cam a fait ça! Nous étions à Flagstaff et il a fait ça à 2300 mètres d’altitude environ. Je me suis dit : Oh mon Dieu, comment peut-il faire ça? C’était fou. »]
O.ca : Si tu pouvais participer aux Jeux olympiques dans un autre sport que le tien, lequel choisirais-tu?
C. L. : Les épreuves de ski alpin sont une chose que j’aime beaucoup regarder et qui serait vraiment passionnante si j’étais capable de le faire. Elles sont vraiment très intenses. C’est vraiment fou de les regarder. J’adorerais être bon dans cette discipline.
O.ca : As-tu un moment préféré en tant que fan d’Équipe Canada?
C. L. : Je pense que ce qui m’a le plus marqué en 2023, c’est de voir Marco [Arop] remporter l’or au 800 m [aux Championnats du monde World Athletics] et de le courir de manière si experte.
C’est juste super spécial de regarder et de se dire : Qu’est-ce qu’il fait? Dans la dernière moitié de la course, on se dit : Il sait exactement ce qu’il fait. Je dirais que c’est l’un des faits marquants de ma carrière que de voir un Canadien faire quelque chose comme ça.
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Le marathon masculin des Jeux de Paris 2024 aura lieu le samedi 10 août.