Milano Cortina 2026 : le ski de fond obtient enfin un programme olympique égalitaire
Aux Jeux de Milano Cortina 2026, les fondeurs et les fondeuses vont enfin parcourir les mêmes distances pour la toute première fois de l’histoire olympique. Une vraie avancée.
Jusqu’ici, la plus longue épreuve féminine était un 30 km, alors que les hommes prenaient le départ d’un 50 km. À Milano Cortina 2026, les deux prendront part à un départ de masse de 50 km.
D’autres ajustements sont plus subtils : certaines courses féminines seront légèrement allongées, tandis que plusieurs épreuves masculines seront un peu raccourcies pour en arriver à des distances équivalentes. Par exemple, le skiathlon féminin passera de 15 km (7,5 km classique + 7,5 km libre) à 20 km, tout comme celui des hommes, qui était auparavant de 30 km. Le relais féminin, auparavant un 4 x 5 km, deviendra un 4 x 7,5 km, soit la même distance que le nouveau relais masculin (au lieu de 4 x 10 km).
Une courte leçon d’histoire
Le marathon fait partie intégrante des Jeux olympiques.Présent depuis l’édition de 1896, le marathon masculin a été disputé à chaque Jeux modernes et occupe une place bien particulière dans le programme olympique. Jusqu’à Paris 2024, il avait toujours lieu lors de la dernière journée des Jeux, et les médaillés recevaient leurs médailles pendant la cérémonie de clôture, une façon de souligner la forte portée symbolique de l’épreuve.
Le comité organisateur de Paris 2024 a posé un geste important pour montrer son engagement envers l’équité entre les sexes : il a placé le marathon féminin, et non celui des hommes, au dernier jour des Jeux, tout en conservant le statut spécial de l’épreuve. Pour seulement la deuxième fois de l’histoire, les médaillés et médaillées des deux marathons ont été honorés lors de la cérémonie de clôture.
Revenons à la base : alors que les hommes ont pu courir le marathon (42,195 km) depuis 1896, les femmes, elles, n’ont eu la possibilité de participer à des courses de plus de 200 m qu’à partir de… 1960.
Les femmes avaient pourtant pris le départ du 800 m dès 1928, année où les épreuves féminines d’athlétisme ont été ajoutées au programme olympique. Cependant, les médias et les dirigeants sportifs, presque exclusivement masculins, croyaient à tort que les femmes étaient trop fragiles pour courir de telles distances et que cela pourrait même nuire à leur santé reproductive.
Même si toutes les athlètes ont bel et bien terminé la course, les médias ont faussement rapporté que plusieurs d’entre elles s’étaient effondrées. Résultat : les femmes ont été bannies des courses de plus de 200 m pendant plus de 30 ans. Le premier marathon olympique féminin n’a été disputé qu’en 1984, soit 88 ans après celui des hommes.
Bon, revenons au ski.
L’épreuve du départ de masse en ski de fond est la plus longue du programme olympique d’hiver. Comme le marathon, elle se déroule toujours à la fin des Jeux. Depuis PyeongChang 2018, les médailles du départ de masse, masculin et féminin, sont remises lors de la cérémonie de clôture.
Comme pour le marathon, les hommes participent au ski de fond olympique depuis les tout premiers Jeux d’hiver, à Chamonix en 1924, où les épreuves proposées étaient un 18 km et un 50 km. Un relais masculin a été ajouté en 1936, à Garmisch-Partenkirchen.
Il aura fallu attendre 28 ans de plus pour que les femmes puissent participer au ski de fond olympique : leur première course, un 10 km, a fait ses débuts en 1952. À Cortina d’Ampezzo en 1956, un relais féminin a ensuite été ajouté.

Il aura fallu 60 ans avant que les hommes et les femmes participent au même nombre d’épreuves olympiques de ski de fond, soit à Sarajevo 1984. Les hommes couraient alors des épreuves individuelles de 15 km, 30 km et 50 km. Du côté des femmes, les distances étaient de 5 km, 10 km et 20 km. Même nombre d’épreuves, oui, mais un écart énorme dans les distances.
En 1992, le départ de masse féminin est passé à 30 km, mais il demeurait encore 20 kilomètres plus court que celui des hommes depuis ce moment-là.
Les fantômes du passé
Quand les femmes ont été bannies des courses de plus de 200 m après 1928, l’argument était clair : elles ne seraient pas physiquement aptes à courir de longues distances.
Une affirmation aujourd’hui complètement discréditée, autant par la science que par la société. Pourtant, dans plusieurs niveaux de compétition, universitaire, national, international, cette logique dépassée a longtemps persisté sous forme de distances plus courtes pour les femmes.
La fondeuse canadienne Katie Weaver est bien consciente de l’impact psychologique que ces croyances peuvent laisser derrière elles.
« Je pense qu’il y a eu un changement psychologique en moi. Bien sûr qu’on peut faire 50 km, ce n’est pas le fait d’être des femmes qui nous empêche de faire ces 20 km de plus. C’était simplement la perception sociale que peut-être on ne pouvait pas. Alors voir cette barrière tomber, c’est vraiment spécial et excitant. »
Comment ce changement est-il arrivé?
En 2020, un groupe d’entraîneurs américains, menés par Molly Peters, a commencé à militer pour l’égalité des distances dans les courses collégiales de ski de fond et de course à pied, sous la bannière The Equal Distance Team. Leur mouvement a rapidement gagné de l’ampleur et s’est rendu jusqu’aux instances internationales.
Au printemps 2022, la Fédération internationale de ski et de snowboard (FIS) a voté, par une marge de 57 %, pour égaliser les distances des courses de la Coupe du monde. Même si ce n’était pas un écrasant consensus, la décision a eu un effet domino : Jeux olympiques, championnats mondiaux, NCAA… tous ont commencé à suivre.
Dans une entrevue donnée en 2022, le directeur des courses de la FIS, Pierre Mignerey, a déclaré :
« En 2022, on ne devrait plus avoir à débattre de la capacité des femmes à courir les mêmes distances, avec les mêmes règles, sur les mêmes parcours que les hommes. Le débat n’a jamais porté sur leur capacité, mais sur la façon d’implanter ce changement, que ce soit dans la communauté sportive ou dans le produit télévisuel. »
Regarder vers l’avenir
Weaver estime que Milano Cortina 2026 sera un moment historique pour le ski de fond féminin, qu’elle y participe ou non.
« Je vais être vraiment heureuse de prendre part à un championnat qui marque un changement aussi monumental. »
Son coéquipier Xavier McKeever partage cet enthousiasme, même si les changements du côté masculin sont moins importants.
« Je pense que c’est un bon changement. On parle toujours d’équité entre les sexes en sport, et je crois que des distances égales, ou du moins similaires, c’est un pas dans la bonne direction. C’était nécessaire. Je pense que ça a été très bien reçu, surtout sur le circuit de la Coupe du monde et lors de nos premiers mondiaux avec ces distances cette année. C’est vraiment un beau moment à voir. »
Les Championnats du monde nordiques FIS 2025 ont été les premiers à présenter un 50 km féminin. Les conditions de neige étaient très difficiles à Trondheim en raison de la pluie la veille, mais toutes les athlètes ont terminé la course, peut-être en pensant à 1928.
Chez les hommes, la course de 50 km tenue la veille a connu de meilleures conditions… et quatre athlètes ont abandonné.
Le travail de Peters et du Equal Distance Team a porté fruit en ski de fond, même si leur lutte pour des distances égales en cross-country universitaire américain est toujours en cours. Leurs propositions pour une distance uniforme de 8 km ont été rejetées par les divisions I, II et III de la NCAA. (Au Canada, les athlètes universitaires courent tous 8 km depuis 2020.)
Il ne fait aucun doute que Milano Cortina 2026 sera un moment charnière pour le ski de fond et marquera une étape importante dans le chemin vers l’équité entre les sexes. Et en célébrant ces avancées, il est essentiel de se rappeler les « fantômes » culturels du passé.



