Kevin Light Photography
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Caileigh Filmer : parler ouvertement de santé mentale m’a aidé dans mon parcours vers la conquête d’une médaille olympique

Avertissement : Ce texte aborde la dépression.

Caileigh Filmer et sa partenaire en aviron Hillary Janssens ont remporté le bronze de l’épreuve féminine du deux de pointe à Tokyo 2020. C’était la première médaille olympique du Canada dans cette discipline depuis 1992. 

Pour Filmer, le parcours qui l’a menée jusqu’à ce podium a été marqué par sa bataille contre des troubles de santé mentale. En soutien à la Journée Bell Cause pour la cause, Filmer raconte ici son histoire dans l’espoir d’exprimer ce que d’autres personnes ressentent, surtout celles qui en ont le plus besoin. 


À cent jours des Jeux olympiques de Tokyo, je n’allais pas bien du tout, en pleine spirale descendante.  

Dans mes pires moments, j’étais bombardée de pensées où je me retrouvais à la ligne de départ aux Jeux olympiques, sans aucune joie de participer à cette course, priant qu’elle soit terminée au plus vite.

Je ne me croyais pas capable de faire le voyage jusqu’à Tokyo, encore moins de compléter ma course de 2000 mètres.

Mon sourire avait une fois de plus disparu.

Caileigh Filmer dans une embarcation.
Caileigh Filmer et d’autres membres de l’équipe nationale d’Aviron Canada à l’entraînement à Elk Lake à Victoria, en Colombie-Britannique, au Canada, le 15 février 2019.

J’avais auparavant appris comment prendre soin de ma santé mentale, mais la dépression frappait à nouveau à ma porte.

Ma partenaire en aviron Hillary et moi avions composé avec des blessures toute l’année depuis le report des Jeux olympiques. La pression de performance a pris le dessus et je ne me sentais plus en mesure de faire face aux pensée dans ma tête.

C’est pourquoi je n’oublierai jamais ma réaction après que nous ayons remporté notre médaille de bronze à Tokyo.

J’ai pleuré sans arrêt pendant une heure – des larmes de soulagement, des larmes d’incrédulité. Nous avions réussi, ensemble.

Deux athlètes féminine d'aviron dans une embarcation.
Caileigh Filmer (à gauche) et Hillary ont remporté la médaille de bronze du deux de pointe féminin aux Jeux olympiques de Tokyo 2020 le jeudi 29 juillet 2021. Photo : Stephen Hosier/COC

Mes amis et ma famille s’étaient fait tellement de souci pour moi à seulement 100 jours des Jeux, ils m’ont appuyé dans ma décision de m’éloigner du sport avant les Jeux olympiques. Ils voulaient juste que je sois en santé. Ils m’ont dit qu’ils allaient me soutenir, peu importe ce que j’allais décider.

Dans ma tête, j’étais certaine d’avoir pris la décision, jusqu’à ce j’aie une conversation avec un de mes colocataires, Karl Hale, une conversation pour laquelle je serai toujours reconnaissante.

Karl m’a dit que je n’avais pas encore terminé. Il m’a dit qu’il savait que je souffrais vraiment, mais que je devais trouver un moyen, que ce soit de ramer pour mes parents, pour mes coéquipières ou pour moi-même.

Je lui ai dit que toutes ces personnes désiraient ce qu’il y avait de mieux pour moi, donc en dedans de moi, je savais que cela ne suffirait pas pour m’aider à continuer.

C’est ce qu’il a dit ensuite qui m’a touché et qui a allumé une étincelle dans toutes les ténèbres qui m’entouraient. « Tu devrais alors ramer simplement pour ne pas abandonner. Pour toutes les autres personnes qui luttent, tu vas donner un bon coup de pied au derrière de cette dépression. Tu es la personne la plus forte que je connaisse et je sais que tu peux y arriver. Je ne veux pas que tu aies des regrets plus tard et imagine comment ce serait spécial de pouvoir repenser à ces moments et partager cette histoire. Que tu y es arrivée. »

Je me suis alors mise à pleurer.

C’était tout à fait à l’opposé de ce que tout le monde me disait, mais c’était ce que j’avais le plus besoin d’entendre.

La façon dont il m’a dit ça, je l’ai pris comme un défi. Ç’a allumé une flamme en moi. Je ne pouvais pas le faire seulement pour moi. Si je suis retournée dans l’embarcation, c’est parce que je pouvais le faire pour tous les autres qui connaissaient les mêmes difficultés.

Caileigh Filmer marche un bateau sur les épaules.
Caileigh Filmer marche sur le quai après un entraînement sur le Elk Lake à Victoria, en Colombie-Britannique, le 15 janvier 2019. .

Avec le recul, je suis tellement reconnaissante qu’il ait dit ça. Je suis fière de moi, fière de m’être écoutée, et d’avoir écouté mon corps quand je n’allais pas bien, puis j’ai trouvé la force et la capacité de le faire.

Après Tokyo, j’ai fait tatouer un mot sur mon bras gauche pour que ça me serve de rappel.  

Je n’ai pas fait faire ce tatouage olympique avec les anneaux habituels, comme bien des athlètes le font, mais avec ce mot qui a eu une incidence déterminante sur ma motivation à faire le voyage à Tokyo.

Gratitude.

Quand nous étions à 100 jours des Jeux et que je n’allais vraiment pas bien, j’ai décidé de publier sur mon compte Instagram le journal de gratitude que j’avais commencé à écrire pour mon thérapeute.

J’ai publié les 10 choses qui m’avaient aidée à me rendre jusqu’à Tokyo et pour lesquelles j’avais le plus de reconnaissance. Certaines étaient heureuses, d’autre pas tellement. 

C’était la première fois que je parlais sans filtre de mes expériences cahoteuses.

J’ai pensé que ça pourrait peut-être m’aider de lire ce journal si je connaissais une mauvaise journée à Tokyo. Par ailleurs, si ça pouvait aider une seule personne qui vivait quelque chose de similaire, je me retrouverais dans un meilleur état.

Je sais à quel point c’est difficile de s’ouvrir quand il est question de santé mentale. C’est difficile d’accepter de se mettre en position de vulnérabilité quand tu admets que tu connais des difficultés et que tu as besoin d’aide.

Auparavant, j’ai toujours été quelqu’un qui investissait tout mon temps pour prendre soin des autres, mais j’oubliais souvent de prendre soin de moi. À la place, je portais un masque. Je baissais la tête et je faisais comme si tout était correct. 

C’est peut-être parce que je suis têtue. J’adorais faire preuve d’indépendance et je ne voulais pas y renoncer.

Il y a aussi le fait que je refusais de faire des confidences à mes proches, mes parents par exemple, parce que je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent.

Après qu’Hillary et moi ayons remporté les Championnats du monde en 2018, j’ai atteint un point critique pour la première fois. C’est à ce moment-là que mes proches ont réalisé qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, et j’ai éventuellement accepté qu’ils avaient raison. Je n’allais pas bien.

Une silhouette dans l'ombre devant un lac.
Caileigh Filmer à l’entraînement sur l’eau au Elk Lake à Victoria, en Colombie-Britannique, le 29 mai 2021.(Kevin Light Photography)

Au début, j’avais de la difficulté à me tirer du lit le matin. Jusque-là, l’aviron avait toujours été une façon pour moi de fuir. Quand j’arrivais au hangar à embarcations, je laissais tout ce qui se passait dans ma vie à la porte et une fois sur l’eau, je pouvais respirer et être heureuse. Ce n’était toutefois plus le cas. Pour la première fois, dans mes souvenirs du moins, je n’étais plus capable de sourire.

C’est à ce moment-là que j’ai reçu pour la première fois un diagnostic de dépression clinique.

J’ai dû renoncer à mon indépendance et accepter que mes parents m’aident, malgré toutes mes meilleures intentions. À ce moment-là, j’ai réalisé que je n’étais pas en état de prendre soin de moi.

J’ai dû retourner vivre chez mes parents pendant un certain temps et les laisser prendre soin de moi. J’ai commencé à travailler avec cinq professionnels de la santé mentale, notamment avec des séances obligatoires avec un psychiatre. J’ai commencé à prendre des antidépresseurs que je fixais du regard soir après soir avant de les avaler, pensant comment je ne me retrouverais plus jamais et je serais seulement heureuse de façon artificielle. Je ne pouvais jamais rien me souvenir de la veille, puisque ma tête bloquait les souvenirs de sentiments tellement négatifs et comment je haïssais la vie.

Une oeuvre visuelle avec du bleu, du turquoise et du jaune.
Une oeuvre réalisée par Caileigh Filmer en mars 2021.(@caileighfilmer/Instagram)

J’ai demandé au personnel que tout le monde dans l’équipe soit au courant de ma dépression, au cas où ça permettrait d’aider quelqu’un d’autre qui allait mal aussi. Je voulais que mes coéquipières se sentent à l’aise d’en discuter ouvertement et constatent que ce n’est pas quelque chose qu’il faut cacher.

Quand Hillary et moi avons remporté cette médaille de bronze à Tokyo, tous les souvenirs me sont revenus et j’ai pensé à toutes les personnes qui m’avaient donné un coup de main en cours de route. Nous avions réussi. Ensemble.

Cela comprenait mon ancien entraîneur d’aviron à l’école secondaire, Aalbert Van Schothorst, qui est ensuite allé travailler à l’Université de Victoria.

Caileigh Filmer sur un rameur.
Caileigh Filmer participe aux Championnats canadiens d’aviron intérieur à l’événement Monster Erg à l’University of Victoria à Victoria, C.-B., le dimanche 2 février 2014, avec l’entraîneur Aalbert Van Schothorst derrière elle.(Kevin Light Photography)

À mon retour des Jeux, il m’a invité à aller m’entraîner avec son équipe masculine. Si je restais silencieuse ou si je pleurais une journée donnée, ça ne dérangeait personne. J’avais le sentiment d’avoir un endroit où je pouvais aller et me sentir en sécurité et où il n’y avait pas de jugement.

J’étais colocataire avec certains des gars aussi. Un jour, un d’eux m’a trouvée dans ma chambre, pleurant dans un coin, piquant du nez quand je n’étais pas encore prête. Je ne me sentais pas en sécurité quand j’étais seule et je ne voulais plus vivre une autre journée. Il a appelé mes parents et j’ai été transportée à l’hôpital.

J’ai aussi profité du soutien de ma partenaire d’embarcation, Hillary, et de celui de mes coéquipières.  

Alors que j’ai commencé à aller mieux, j’ai eu la permission de reprendre l’entraînement avec l’équipe nationale. Après avoir eu l’impression que tout m’avait été enlevé, j’étais simplement reconnaissante d’être là avec les filles et j’ai ramé comme si je n’avais plus rien à prendre. 

Quand j’étais à l’écart, mon absence a provoqué un effet domino au-delà de mon équipe de deux de pointe, puisque toute l’équipe d’aviron a été réorganisée et s’est adaptée. Ce n’était pas bon de savoir que ma santé mentale entraînait des conséquences négatives sur mes coéquipières.

Après que Hillary et moi avons gagné la médaille de bronze, j’ai ressenti tellement de soulagement de voir le huit de pointe féminin remporter l’or à Tokyo. Nous avions tous réalisé nos rêves, et elles ont joué un rôle essentiel pour nous amener là.

Deux athlètes s'enlacent.
Caileigh Filmer et Hillary Janssens réagissent après avoir gagné la médaille de bronze au deux de pointe aux Jeux olympiques de Tokyo 2020, le jeudi 29 juillet 2021. Photo by Stephen Hosier/COC

Peu après Tokyo, j’ai pris ma retraite de l’aviron et j’ai relevé un défi complètement différent en essayant le cyclisme sur piste et sur route.

C’est là une histoire que je raconterai à un autre moment.

Cependant l’aviron et tous mes amis que j’ai côtoyés en pratiquant ce sport auront toujours une place dans mon cœur.  

La santé mentale, aussi, fera toujours partie de moi.

Tokyo restera un moment décisif de ma vie ; et ces Jeux-là, un endroit où la santé mentale, de façon générale, a plus que jamais occupé l’avant-plan.

Ce n’était pas seulement mon histoire à moi. Ç’a eu une incidence énorme quand Simone Biles, la légendaire gymnaste américaine, a renoncé à disputer certaines de ses épreuves et ainsi attiré l’attention sur le fait qu’on se souciait de sa santé mentale.

Caileigh Filmer (à gauche) et Hillary Janssens se regardent après avoir reçu leur médaille de bronze remportée au deux de pointe féminin, aux Jeux olympiques de Tokyo 2020, le jeudi 29 juillet 2021. THE CANADIAN PRESS/Nathan Denette

Ces discussions-là doivent continuer. J’étais heureuse quand le gouvernement fédéral a récemment annoncé qu’il consacrerait une somme de 2,4 millions $ pour soutenir la santé et le bien-être des athlètes en sport de haute performance.

C’est là un investissement très important pour aider à combler, en partie, les besoins urgents qu’ont les athlètes en matière de santé mentale.

Mon expression favorite est : « rendre l’impossible possible et toujours sourire ». J’aime dire ça parce que je crois que tout est possible et mon sourire est quelque chose de très important après l’avoir perdu pendant un certain temps.

Bien que j’aie adoré partager ma médaille et inspirer la prochaine génération d’athlètes canadiens, j’ai réalisé qu’il est tout aussi gratifiant et important d’avoir la chance de discuter ouvertement avec eux de ma santé mentale. Pour montrer aux autres athlètes, et à tout le monde, que les troubles de santé mentale ne sont pas un aveu de faiblesse et qu’il est possible d’avoir du succès même si tu dois composer avec cette réalité. 


Ce témoignage est dédié à mon cher ami, Christoph Seifriedsberger, qui a tristement perdu la vie il y a quelque semaine après avoir été frappé par un camion pendant une randonnée d’entraînement. Il vivait aussi des défis de santé mentale et combattait la dépression et il était devenu un incroyable porte-parole en matière de santé mentale au sein de la communauté mondiale d’aviron. Christoph continuera d’être une source d’inspiration pour moi et pour tant d’autres en raison de son ouverture et de la bonté qu’il répandait généreusement autour de lui.

Ensemble, continuons de passer à l’action et de provoquer le changement à long terme en matière de santé mentale au Canada — pour savoir comment vous pouvez offrir votre soutien, consultez le site Web Bell Cause pour la cause.