Comment John Herdman a donné le ton à une décennie complète du soccer canadien
Jamais un entraîneur-chef n’a autant influencé le développement du soccer dans un pays au grand complet comme l’a fait John Herdman au Canada.
C’est là une affirmation fort audacieuse, aucun doute. Il y a une multitude de récits qui relatent les exploits de sélectionneurs qui ont relancé des équipes nationales moribondes ou ont forgé le caractère de joueurs courageux, mais négligés afin de leur permettre de passer de zéros à héros. Cependant, combien d’entre eux ont réalisé leurs tours de magie autant chez l’équipe des hommes que celle des femmes?
Mis à part Herdman, très peu. En fait, quand le Canada se présentera sur le terrain au Qatar plus tard ce mois-ci, il deviendra le premier entraîneur-chef de l’histoire à diriger des équipes autant à la Coupe du Monde de la FIFA qu’à la Coupe du Monde Féminine de la FIFA.
Absolument personne n’aurait pu prédire un tel scénario quand Herdman a initialement été embauché. Alors, comment au juste s’est-on rendu jusqu’ici?
Ses débuts
Les qualités de Herdman étaient peu connues quand Canada Soccer l’a embauché en 2011 pour devenir l’entraîneur de l’équipe nationale féminine. Il avait eu du succès au cours des cinq années qu’il a dirigé l’équipe nationale féminine de la Nouvelle-Zélande, alors qu’il avait notamment mené cette formation vers sa première présence aux Jeux olympiques à Beijing 2008.
Celle qui avait piloté l’équipe canadienne avant lui, Carolina Morace, était un nom connu et avait un curriculum vitae impressionnant à son arrivée au Canada. Elle en a surpris plusieurs dans l’équipe quand elle a démissionné de son poste après que le Canada eut terminé au dernier rang à la Coupe du Monde féminine 2011.
Herdman, qui avait 36 ans à l’époque, s’était vu confier la tâche de ramasser les pots cassés — et il l’a fait rapidement. Un mois seulement après son embauche, le Canada a remporté la première médaille d’or de son histoire aux Jeux panaméricains, tenus à Guadalajara, au Mexique.
« Nous étions abattues après la Coupe du monde, c’était toute une chute, avait déclaré la gardienne de but Karina LeBlanc à CBC à l’époque. John est arrivé et il a dit: ‘Qu’est-ce que vous voulez?’ Nous avons répondu, ‘Nous voulons une médaille d’or’. »
La capacité de Herdman à motiver et inspirer des athlètes, comme nous allions l’apprendre plus tard, représente une de ses marques de commerce. Cette médaille aux Jeux panaméricains n’était qu’un premier aperçu des scénarios possibles qui allaient désormais s’offrir au Canada.
Conduire le Canada à l’âge du bronze
Pour être honnête, Herdman avait un effectif solide à sa disposition. À son arrivée, les piliers de l’équipe, tels que LeBlanc, Erin McLeod, Diana Matheson, Rhian Wilkinson et Melissa Tancredi, étaient chacune au sommet de leurs carrières.
Et, c’est vrai, il y avait aussi la capitaine Christine Sinclair, une des plus grandes joueuses de tous les temps.
Reste qu’à l’approche de Londres 2012, l’équipe avait bien des choses à prouver. À leur seule présence aux Jeux olympiques, quatre années plus tôt, les Canadiennes avaient été éliminées en quarts de finale. À Londres, l’équipe a trébuché en partant en subissant une défaite de 2-1 contre le Japon.
Toutefois, l’équipe ne s’est pas écroulée comme elle l’avait fait l’année précédente à la Coupe du Monde féminine de la FIFA. Les joueuses ont donné tout ce qu’elles avaient contre l’équipe la mieux classée au monde, les États-Unis, au cours d’une demi-finale tout à fait épique, puis elles ont décroché une victoire de dernière minute dans le match pour la médaille de bronze.
La formation de Herdman a affronté les Américaines de nouveau un an plus tard, à l’occasion d’un match amical disputé à domicile à Toronto, un duel présenté comme une revanche de cette demi-finale olympique. Bien que l’affrontement n’ait pas été à la hauteur de cette publicité, une décision du sélectionneur canadien a retenu l’attention : âgée de seulement 17 ans, Kadeisha Buchanan a disputé les 90 minutes au complet, réussissant admirablement bien à fermer la porte à la joueuse vedette américaine Abby Wambach.
Quand le Canada a réussi à défendre sa médaille de bronze olympique à Rio 2016, c’était en large partie grâce à un groupe de joueuses de moins de 21 ans — composé de Buchanan, Ashley Lawrence, Janine Beckie, Quinn, Jessie Fleming et Deanne Rose.
Ce sont là des noms familiers maintenant, mais à l’époque, elles en étaient toutes à leurs débuts. Herdman croyait en cette belle jeunesse et les joueuses lui ont rendu au centuple. C’est là un phénomène qui allait se répéter plusieurs fois au fil des ans.
Maintenant quelque chose de complètement différent
À mi-chemin de l’année 2017, la suite des choses semblait claire pour les deux équipes nationales canadiennes. Herdman allait diriger l’équipe féminine jusqu’à la fin du cycle menant à la Coupe du Monde de la FIFA 2019 et aux Jeux olympiques de 2020, tandis qu’Octavio Zambrano, qui venait d’être embauché, allait tenter de mener les hommes à la Coupe du Monde de la FIFA Qatar 2022.
Zambrano s’est amené avec près d’un quart de siècle d’expérience comme entraîneur sur trois continents et les premiers résultats obtenus sur le terrain par l’équipe canadienne masculine ont été positifs. Ç’a donc été un choc pour tout le monde quand, le 8 janvier 2018, Soccer Canada a annoncé que Herdman allait en prendre les rênes.
Cette décision a été accueillie avec scepticisme par ceux qui soulignaient que Herdman n’avait jamais dirigé une équipe nationale masculine. Toutefois, l’Anglais n’a pas tenté d’esquiver les critiques, bien au contraire. Au mois de février 2019, il a audacieusement prédit que le Canada allait se qualifier pour la Coupe du Monde de la FIFA 2022, une « idée folle » même selon certains de ses joueurs, étant donné que les Canadiens étaient alors classés 79e au monde et en tenant compte du parcours qu’avait eu l’équipe dans les trois décennies précédentes.
La première compétition d’envergure du Canada sous les ordres de Herdman a été la Gold Cup de la Concacaf 2019. Une avance de 2-0 contre Haïti en quarts de finale semblait destiner le Canada à connaître son plus long parcours à ce tournoi en plus de 10 ans. Un effondrement en deuxième demie et une défaite de 3-2 a fait en sorte que l’équipe semblait en déroute au moment où allaient bientôt commencer les qualifications pour la Coupe du Monde.
Si Herdman voulait réussir un autre tour de magie, il devait donc faire vite.
L’ascension de la confrérie
En octobre 2019, quelques mois après la débâcle au tournoi de la Gold Cup, le Canada allait affronter les États-Unis à Toronto, encore une fois. C’était un match de compétition et les enjeux étaient grands, mais l’équipe locale n’avait pas défait ses voisins du sud en près de 35 ans.
Tout ça était sur le point de changer… car ce match allait donner à l’équipe un élan qui a duré plusieurs années et qui est toujours présent.
La formation partante était composée de deux très jeunes joueurs, soit Alphonso Davies, 18 ans, et Jonathan David, 19 ans. C’est Davies qui allait marquer le premier but du match dans ce qui allait s’avérer une victoire historique de 2-0 pour le Canada. Les joueurs avaient laissé pleuvoir les louanges à l’égard de Herdman après cet affrontement.
« Chaque fois, il nous sort un discours de motivation, avait souligné l’attaquant Lucas Cavallini en entrevue. C’est pourquoi nous nous sommes rendus aussi loin. »
« Ce gars-là sait ce qu’il fait… Parce qu’il a une tactique de prête chaque match », a rajouté David.
Et voilà ! La capacité à motiver, c’est bien, mais vient un temps où les effets de cette motivation a ses limites. La préparation détaillée et précise de Herdman ainsi que sa souplesse sur le plan tactique ont été des éléments tout aussi importants dans les succès de l’équipe, peut-être même plus.
Ces qualités ont été clairement affichées quand les qualifications pour la Coupe du Monde ont commencé au début de l’année 2021. Le Canada a connu un fabuleux parcours, ne subissant que deux revers en 20 matchs pour décrocher une place en Coupe du Monde qu’on attendait depuis longtemps, et faire en sorte que l’audacieuse prédiction de Herdman se réalise.
Mettre tout ça ensemble
Bien que les contextes des deux équipes nationales étaient quelque peu différents, ces deux formations avaient un point commun avant l’arrivée de Herdman. Le succès représentait un espoir, mais ça ne faisait pas vraiment partie des attentes. Les partisans n’osaient pas se laisser aller à de grands élans d’espoir.
Maintenant, une place sur le podium est l’objectif que vise l’équipe nationale féminine à chaque tournoi. De leur côté, les hommes ne se contenteront pas d’un simple retour en phase finale de la Coupe du Monde de la FIFA; ils y vont dans le but de récolter des points.
Tout a commencé aux Jeux de Londres 2012. Où tout cela va-t-il mener? Ce chapitre-là reste encore à écrire.