Sara Groenewegen, joueuse étoile de Softball : « Être une athlète m’a sauvé la vie »
Résiliente, souple et obstinément positive.
Si on me demandait de me décrire, voici les trois traits de caractère qui me viendraient en tête.
En tant qu’athlète de haut niveau atteinte d’un diabète de type 1, je connais l’adversité et je ne suis pas effrayée à l’idée de foncer tête première vers elle pour l’affronter. Cependant, comme tout le monde sur la planète, je n’avais aucune idée de ce que l’année 2020 nous réservait. Tous ceux qui ont survécu à la dernière année peuvent aussi s’attribuer les trois traits que j’ai mentionnés plus haut.
J’ai été chanceuse, j’ai pratiquement grandi en jouant au sein de l’équipe nationale de softball. À ma première saison, j’étais en 12e année. J’ai connu certaines de mes plus grandes joies avec cette équipe, mais aussi certains de mes moments les plus sombres.
Mon plus beau souvenir est sans contredit les Jeux panaméricains de 2015 à Toronto. Nous n’avons pas souvent la chance de participer à des événements qui regroupent plusieurs sports (le softball a malheureusement été retiré du programme olympique après les Jeux de 2008, mais sera de retour à Tokyo 2020) et il s’agissait de ma première expérience aux Jeux panaméricains.
Cette année-là, notre slogan était « craignez la feuille d’érable », ce qui décrivait notre intention de ne pas être reconnue comme « les Canadiennes gentilles et amicales » sur le terrain. Les étoiles semblaient alignées et nous avons remporté la médaille d’or, une première canadienne en softball féminin aux Jeux panaméricains en 32 ans.
Ma partie favorite de toute cette expérience était la foule. Je suis certaine que la moitié des gens dans les estrades ne connaissaient personnellement aucune membre de l’équipe, mais je n’avais jamais vraiment cru à « l’avantage du terrain » avant ce tournoi. Vous pouviez ressentir la fierté canadienne quand vous marchiez sur le terrain. Avant la finale, notre entraîneur nous a dit, dans une rencontre d’équipe : « Ces gens sont venus pour célébrer. Alors, donnez-leur de quoi célébrer. » Je suis heureuse que nous ayons réussi.
Il suffit par contre d’avancer de trois ans et de nous porter en 2018 pour que le scénario change radicalement pour moi.
L’été avait commencé normalement, alors que je jouais pour Équipe Canada. Tout a pris fin une semaine avant le Championnat du monde. Je suis passée d’une athlète de 23 ans en pleine santé, qui soudainement souffrait de fièvre et de douleurs au dos, à un réveil dans un lit d’hôpital, duquel je pouvais voir 10 tubes branchés sur moi afin de me maintenir en vie.
Nous disputions le tournoi de Coupe Canada à la mi-juillet, présenté chaque année au complexe Softball City à Surrey, Colombie-Britannique, qui est aussi ma ville natale.
Ma pompe d’insuline a brisé au cours de cette semaine et le niveau de sucres dans mon sang a augmenté radicalement. Les gens qui, comme moi, sont atteints de diabète de type 1 vivent avec un système immunitaire déjà affaibli. Cependant, quand leur taux de sucre est plus haut qu’il ne le devrait, le corps à rester en vie plutôt que de se concentrer sur le système immunitaire. Quand j’y repense, mon taux de sucre était aussi élevé en raison de l’infection que mon corps combattait, mais je ne pensais pas à cela à ce moment.
Après une sévère fièvre de plusieurs jours sans répit, mon thérapeute athlétique et moi nous sommes dit que ce serait une bonne idée d’aller à l’hôpital. Je me souviens m’être enregistrée, avoir reçu mon bracelet, puis avoir ressenti tellement de douleur que je me suis couchée en boule sur le sol.
Les médecins voulaient d’abord me renvoyer à la maison. Ils croyaient que c’était une infection de la vessie, mais je savais au fond de moi que c’était quelque chose de plus grave. De beaucoup plus grave. Il y a eu un moment où ils me demandaient de faire mes bagages et de retourner chez moi, mais j’ai refusé de partir et je leur ai demandé de trouver mon problème.
Je n’ai aucun souvenir de cela.
J’ai l’impression qu’être une athlète vous permet de savoir quand vous souffrez plus que vous le devriez. C’était l’un de ces moments.
En regardant mes radiographies, les médecins ont constaté que mes poumons étaient remplis de fluides. Je semblais souffrir d’une pneumonie. Quand on me l’a annoncé, j’ai cru que je me remettrais rapidement sur pied et que je pourrais prendre un vol plus tard afin de rejoindre mes coéquipières au Japon.
Mais tout a dégénéré rapidement.
J’ai été victime d’une attaque de toux ce soir-là et j’étais incapable de respirer. Les médecins ont décidé de me plonger dans un coma artificiel et de me brancher sur un respirateur artificiel. Tout est devenu incroyablement urgent. Vous ne pouvez pas traiter quelque chose de façon efficace si vous ne savez pas ce que vous traitez. À ce moment, on ne savait toujours pas ce qui clochait avec moi.
Je n’ai aucun souvenir de tout cela, mais je suis certaine que les membres de ma famille et mes coéquipières se souviennent d’où ils se trouvaient quand on leur a appris que j’avais 3 % de chances de survivre.
Je ne peux pas m’imaginer dans la peau de mes coéquipières, qui étaient en voie de disputer le Championnat du monde, une épreuve de qualification olympique, et qui avaient cette pensée dans leur tête. Je salue leur force émotionnelle.
Environ 10 jours plus tard, dans un autre hôpital, les médecins ont lentement commencé à retirer le respirateur artificiel et à arrêter la médication qu’ils me donnaient. Mon premier souvenir de ce moment est quand mon père est venu me voir. Je lui ai dit : « C’est bon de te voir. » Je pourrais écrire un livre sur toutes les choses que je croyais qui étaient survenues pendant mon coma, et l’une d’entre elles était que mon père était mort. Le voir était donc une plaisante surprise !
Finalement, j’avais contracté la légionellose, une forme sévère de pneumonie. C’est une maladie très rare et qui est généralement contractée à travers des vapeurs d’eau. Les médecins estiment que j’ai pu l’attraper entre deux et 10 jours avant d’avoir mes premiers symptômes. J’ignorais quels étaient mes premiers symptômes. Dans les deux semaines avant mon hospitalisation, je suis allée au Japon, à Los Angeles et à Surrey. À Los Angeles, j’ai été malade pendant une journée, mais mon préparateur et moi avions cru à un empoisonnement alimentaire.
Pourquoi suis-je la seule qui soit tombée malade ? Où ai-je attrapé cela ? L’air climatisé ? L’eau du robinet ? L’air qui circulait dans l’avion ? Le pire, c’est que je ne le saurai jamais. Il y a une chose que je sais : être une athlète m’a sauvé la vie. Le médecin auquel mon dossier a été transféré m’a dit que si je n’avais pas été aussi jeune, et aussi en santé, je n’aurais jamais survécu.
Je ne me suis jamais demandé si j’allais ou non recommencer le softball. La question était plutôt de savoir comment et quand cela allait se produire.
Notre équipe ne s’est pas qualifiée pour les Jeux olympiques cet été-là. Nous avions une autre chance à l’été 2019 et il était hors de question qu’on m’empêche d’aider mes coéquipières à écrire l’histoire. L’une de celles-ci se mariait le 15 septembre et j’étais déterminée à assister à la cérémonie. J’ai reçu mon congé de l’hôpital la première semaine d’août et je devais rester chez moi à me reposer. Sauf que je me suis rapidement remise sur pied. Non seulement j’ai pu me rendre à Toronto pour le mariage, mais j’étais de retour à l’entraînement la semaine suivante.
Notre camp d’entraînement se déroulait la première semaine de janvier. L’entraîneur Smith allait me pardonner si je ne me présentais pas en étant 100 % prête, mais je ne voulais pas me servir de cela comme d’une excuse. Nous disputions des matchs intraéquipes et c’était à mon tour de lancer.
J’ai mis le pied sur le monticule, j’ai creusé le sol avec mes crampons. Je me sentais à la maison, comme si je n’avais rien manqué. J’étais extrêmement fière de moi, car six mois auparavant, je ne pouvais même pas marcher par moi-même dans le hall d’entrée de l’hôpital.
La saison 2019 a été l’une de mes meilleures avec Équipe Canada. À Lima 2019, j’ai lancé une partie parfaite contre le Venezuela. Le premier match parfait du Canada aux Jeux panaméricains. Derrière moi, mon équipe a brillé en défensive et a marqué une tonne de points. Comme en 2015, les étoiles semblaient alignées.
Même si nous n’avons pas remporté l’or – nous avons perdu en finale – notre équipe se sentait prête pour sa dernière occasion de se qualifier pour les Jeux olympiques. Nous n’allions rien laisser entraver la voie vers notre rêve.
Après une retraite à Whistler, nous avons pris la route vers le sud, à Surrey. Softball City n’est pas seulement le terrain sur lequel j’ai grandi, mais c’était aussi là où je me trouvais quand j’ai été hospitalisée en 2018. Maintenant, c’était l’endroit où j’avais la chance de me qualifier pour les Jeux olympiques. La boucle allait être bouclée !
Ce tournoi était le plus gros de toute ma vie. Même si nous avons fait face à l’adversité après un revers contre le Mexique, la victoire face au Brésil nous a permis d’obtenir notre billet pour Tokyo. Ma famille et mes amis étaient là pour nous encourager. C’était vraiment spécial et toute l’adversité à laquelle j’avais fait face par le passé semblait avoir disparu.
L’adversité peut être décrite comme « un événement malheureux ou une malchance », mais ce qu’on ne dit pas, c’est que la définition de ce mot est totalement subjective. Selon moi, tout est une question de perspective, mais cet état d’esprit ne change pas en une nuit.
J’ai dû concilier avec le diabète de type 1 toute ma vie. Cette maladie prend le dessus sur vous si vous la laissez faire. Vous ne pouvez pas passer une journée sans y penser. Alors comme dans ma vie avec le diabète, je n’étais pas pour jouer les victimes.
Vivre avec le diabète de type 1, c’est ma normalité. Je ne me souviens pas de ma vie sans la maladie. Même si ça ne rend pas les choses faciles pour moi, j’en tire des leçons : prendre soin de moi, de mon corps, l’importance de la constance.
Je ne peux pas affirmer que je suis une diabétique parfaite et que ma vie est remplie d’arcs-en-ciel et de papillons, parce que ce n’est pas le cas. Cependant, je serais misérable si je me concentrais sur les aspects négatifs de ma maladie et sur les autres problèmes de santé auxquels j’ai fait face. Il y a des jours où je sens que mon corps est complètement à côté de la traque, mais je sais aussi que j’ai de la chance d’avoir ce corps qui est capable de sortir du lit chaque matin. Je ne peux pas tenir cela pour acquis.
Alors je choisis de me battre. On fait face à des batailles de toutes sortes. Il y en a qui sont imperceptibles. La plupart ont toutefois quelque chose en commun : elles sont hors de notre contrôle. Ce que l’on contrôle, c’est comment nous choisissons de les voir et de les combattre.
La lanceuse Sara Groenewegen a représenté le Canada à deux Jeux panaméricains, remportant l’or en 2015 et l’argent en 2019. Elle a récemment déménagé d’un bout à l’autre du pays, de Surrey à Halifax, afin de s’entraîner dans un environnement mieux adapté. Elle espère faire ses débuts olympiques à Tokyo 2020, où le softball fera son retour aux Olympiques après plus d’une décennie d’absence.