La LCF redéfinit le bobsleigh au Canada
« Je ne crois pas m’être déjà considéré comme un pionnier. »
De nombreuses personnes de la communauté canadienne de bobsleigh ne partagent pas l’avis de Jesse Lumsden, le célèbre joueur de football devenu freineur.
Et ils ont bien raison.
L’équipe de la Coupe du monde 2012-2013 comptait trois recrues – Sam Giguère, Jean-Nicolas Carrière et Ben Coakwell – tous des joueurs de football qui suivent les traces de Lumsden.
Cet athlète, qui avait remporté en 2004 le trophée Hec Crighton comme meilleur joueur du Sport interuniversitaire canadien, n’est certainement pas le premier à passer du terrain de football à la piste de bobsleigh. Au Sud du 49e parallèle, Hershel Walker, un des porteurs de ballon préférés de Lumsden, est devenu freineur aux Jeux olympiques d’hiver de 1992 à Albertville tout en continuant de jouer dans la Ligue nationale de football (NFL) jusqu’à la saison de 1997.
Malgré son humilité, Lumsden a ouvert la porte du monde du bobsleigh à un tout nouveau groupe d’athlètes et a changé les règles du jeu pour les Canadiens sur la scène internationale. Un véritable pionnier!
UN OBJECTIF MOTIVANT
Le bobsleigh est très différent des autres sports olympiques. Il arrive très rarement que quelqu’un fasse l’expérience de sa première descente sur la piste de bobsleigh avant l’adolescence. On ne prépare pas les athlètes de bobsleigh dès leur plus jeune âge. On s’efforce plutôt de recruter des athlètes qui proviennent d’autres sports tout en leur présentant un objectif très intéressant à atteindre.
« Nous pouvons faire débuter un bobeur pendant une année olympique et le faire monter sur le podium olympique la même année », explique Nathan Cicoria, directeur de la haute performance de Bobsleigh Canada Skeleton (BCS).
Pour devenir un bon freineur, il faut être rapide et puissant.
On trouve ces qualités chez les sportifs qui pratiquent l’athlétisme, qui a longtemps été un terrain fertile où recruter des bobeurs. Mais ces sportifs sont limités du fait de leur faible exposition à l’environnement d’équipe, à la levée de lourdes charges et aux températures hivernales. Les joueurs de football connaissent beaucoup mieux ces aspects, ainsi que la compétition entre coéquipiers pour les différents rôles et les entraînements physiques éreintants.
« C’est un état d’esprit dans lequel il faut se plonger », affirme Lumsden. « Il faut beaucoup de travail pour accomplir de très petites réussites et pour avoir droit à très peu de temps de jeu. Mais glisser est la partie excitante, n’est-ce pas? En fait, il y a aussi beaucoup de transport de traîneaux, de préparation et de polissage des patins et de déplacement entre les différentes zones. »
Pendant de nombreuses années, BCS s’est tourné vers les équipes de sport collégiales et universitaires où l’organisme a trouvé des athlètes comme Lyndon Rush qui, après avoir joué pour les Huskies de l’Université de la Saskatchewan, est devenu pilote du bob à quatre qui a remporté le bronze à Vancouver 2010.
Jesse Lumsden ne faisait pas partie de cette équipe; il a plutôt terminé en cinquième position avec Pierre Lueders aux épreuves de bob à deux et de bob à quatre, mais la publicité que sa présence à des Jeux à domicile a générée a été grandement bénéfique pour BCS.
« Jesse Lumsden nous a réellement ouvert la porte des ligues professionnelles et a offert de nouveaux débouchés aux joueurs actuels et aux anciens joueurs de la LCF qui peuvent prolonger leur carrière ou réorienter celle-ci », ajoute Cicoria. « La carrière de bon nombre de ces athlètes professionnels a une durée limitée en raison de la pression qu’ils exercent sur leur corps. Dans le cas de Jesse, ses épaules le faisaient trop souffrir, et nous avons été très chanceux qu’il ait pu changer de sport pour le nôtre, où sa vitesse et sa puissance seront utiles encore longtemps. »
Lumsden n’était pas un joueur de football ordinaire quand il a décidé de tenter sa chance au bobsleigh.
Champion de deuxième génération qui suivait les traces de son père Neil, vainqueur de la Coupe Grey, et porteur de ballon exceptionnel pour l’Université McMaster, Lumsden a vu sa carrière dans la LCF prendre fin brusquement dans le premier quart de la première partie de la saison 2009 quand il s’est disloqué une épaule. Ayant reçu le feu vert pour le bobsleigh, mais pas pour le football, Jesse Lumsden a été nommé membre de l’équipe olympique de 2010 moins d’un an après avoir poussé un traîneau pour la première fois. En mai 2011, il a quitté le football après une grave blessure au genou et a remporté une médaille d’argent en bobsleigh aux Championnats du monde de 2012.
LE QUÉBEC RÉPOND À L’APPEL
Ayant grandi à Sherbrooke (Québec), Sam Giguère a toujours été intrigué par les épreuves de bobsleigh qu’il voyait à la télévision pendant les Jeux d’hiver. Mais, dans son coin de pays, il n’y avait aucun endroit où essayer ce sport. Il a donc poursuivi avec ce qu’il connaissait bien : le football. Après avoir obtenu son diplôme de l’Université de Sherbrooke, il a décidé de tenter sa chance dans la NFL, mais a plutôt passé quatre saisons en majeure partie dans les équipes d’entraînement avant d’être transféré aux Giants de New York en août 2011.
À son retour au Canada, il devait décider ce qu’il allait faire par la suite. Il savait que sa carrière de football n’était pas terminée, puisqu’il avait été recruté par les Tiger-Cats de Hamilton (LCF). Mais après avoir vu les exploits de Jesse Lumsden sur le circuit de la Coupe du monde, Sam Giguère a envoyé un courriel à BCS pour se présenter et expliquer pourquoi il pourrait avoir du talent pour le bobsleigh.
« Voir Jesse passer du football au bobsleigh m’a fait réaliser que cela pourrait être une possibilité pour moi aussi, même si je n’avais jamais pratiqué ce sport ou que je ne connaissais personne qui le pratiquait », raconte Giguère.
Un coup de téléphone à Jesse Lumsden a confirmé ce qu’il pensait.
« Le fait qu’un athlète ayant pratiqué ces deux sports de haut niveau me dise que cela était possible m’a donné confiance. C’est ce qui m’a fait dire que j’allais tenter ma chance. »
En mars 2012, Giguère s’est envolé vers Calgary pour un essai d’une semaine. Là-bas, il a été rejoint par Jean-Nicolas Carrière, qui avait mis fin à sa carrière dans la LCF en 2010 après une blessure à l’épaule, et Ben Coakwell, ancien porteur de ballon de l’Université de Saskatchewan.
« C’était terrifiant! Je pense que nous avions quelque 5 g de pression, et c’était vraiment quelque chose! J’ai eu peur, mais en même temps, j’étais déjà passionné. Un vrai coup de foudre », poursuit Giguère. « À mon retour chez moi après la première semaine, je savais déjà que je voulais y retourner et que c’était ce que je voulais faire. »
UNE ÉQUIPE DE CŒUR
Ben Coakwell a lui aussi toujours été passionné par les Jeux olympiques, et plus jeune, il rêvait de faire partie d’une équipe de hockey sur glace avant de commencer à jouer au football à l’école secondaire. Tout comme Sam Giguère, c’est en voyant Jesse Lumsden se lancer en bobsleigh qu’il a réalisé qu’il pourrait faire la même chose.
« Quand j’ai obtenu mon diplôme universitaire, deux choix se sont offerts à moi : continuer sur la route du football en jouant au niveau professionnel ou commencer une carrière de bobeur », raisonne Coakwell. « J’ai participé à un camp de recrues et j’ai tout simplement adoré le bobsleigh. »
Tandis que Jesse Lumsden a été recruté par BCS, ses collègues de la LCF Giguère et Carrière ont plutôt communiqué directement avec la fédération. À titre d’athlètes de très haut calibre, ils ont pu facilement s’habituer à l’entraînement quotidien et constater comment ils pourraient s’intégrer au reste de l’équipe.
Lumsden était présent quand Giguère, Carrière et Coakwell ont eu leur premier contact avec le sport, et il a été une figure de proue dans le processus de recrutement. Dans le cadre du programme d’approche de BCS, la fédération demande à ses athlètes de devenir des modèles et des mentors.
« C’est une chose de dire que vous êtes le directeur de la haute performance ou l’entraîneur en chef du programme de bobsleigh quand vous approchez un athlète. Mais c’en est une tout autre que d’être un athlète qui pratique le même sport. Nous avons découvert que tous ces athlètes sont beaucoup plus intéressés quand ils peuvent discuter avec un autre athlète », explique Cicoria. « Jesse Lumsden, étant l’athlète qu’il est, n’est pas vraiment prêt à laisser sa place dans l’équipe, mais il peut continuer à encourager l’équipe et à améliorer ses propres chances en recrutant de meilleurs bobeurs par l’entremise du programme. »
Bien qu’il n’ait jamais rencontré Lumsden avant le début du camp, le déménagement à Calgary de Coakwell pour y commencer l’entraînement à temps plein, en septembre 2012, a été grandement facilité quand les deux athlètes sont devenus colocataires.
QUESTION D’ÉQUILIBRE
Le seul inconvénient lié au recrutement de joueurs de football professionnels est la possibilité que ces athlètes souhaitent continuer à pratiquer les deux sports.
« Souvent, et surtout chez les athlètes professionnels, le risque est qu’ils ne puissent pas être suffisamment présents pendant la saison pour avoir un impact réel », poursuit Cicoria.
Dans de tels cas, Cicoria admet que le programme pourrait devoir choisir entre un athlète qui peut réellement avoir une incidence, mais qui ne sera peut-être pas libre pendant toute la saison de compétition, et un athlète de moins haut calibre qui peut participer aux entraînements et aux compétitions pendant toute l’année.
Même si les blessures de Jesse Lumsden ont donné un peu plus de temps à BCS pour évaluer ses premiers essais en bobsleigh, le cas de Sam Giguère est unique puisqu’il est un joueur actif et en santé de la LCF.
Deux mois après ses premiers essais, il a été recruté par les Tiger-Cats et a tourné son attention vers le football. À la fin de la saison de 18 parties, BCS a invité Giguère à Calgary pour évaluer sa condition physique. Il a participé à quelques entraînements avant de se joindre à l’équipe nationale en Allemagne, où il a fait ses débuts en Coupe du monde en décembre 2012.
À la fin de la saison, Giguère et Carrière étaient tous deux dans le bob à quatre Canada‑2 piloté par Chris Spring aux Championnats du monde de 2013 ainsi qu’aux épreuves préparatoires pour Sotchi. Plus tôt pendant la saison, Ben Coakwell avait remporté une médaille de bronze avec Spring à la Coupe du monde.
Même si la saison 2013 de la LCF est loin d’être terminée, Giguère a déclaré que ses rêves olympiques avaient eu un effet positif sur son football, qui, dit-il, lui permet de payer ses factures. Plutôt que de s’entraîner chez lui pour acquérir force et vitesse, il se dépassait toutes les fins de semaine en affrontant des athlètes de calibre mondial et en s’entraînant avec eux. Il croit être arrivé au camp d’entraînement des Tiger-Cats en meilleure forme et plus préparé pour la saison à venir, comparativement aux saisons précédentes.
Giguère, qui se concentre sur le football de juin à novembre, garde contact avec BCS par l’entremise de courriels et de Skype, mais il reconnaît que la situation peut se révéler stressante pour ses entraîneurs de bobsleigh.
« Nous savons tous que les blessures font partie du jeu, donc il faut seulement espérer terminer la saison de football en santé… espérer que je pourrai conserver ma force et ma vitesse, et être capable de pousser. »
Peu importe la situation, qu’ils aient pris leur retraite du football ou qu’ils jouent encore, remporter la Coupe Grey n’est plus leur seul objectif. En route vers sa deuxième édition des Jeux olympiques, celui qui a encouragé tous ces athlètes professionnels à essayer le bobsleigh est catégorique quand il parle de ses buts pour Sotchi.
« Je veux une médaille. Toute notre équipe vise une médaille. Nous n’allons pas à Sotchi pour vivre une expérience… nous y allons pour remporter des médailles et c’est tout! »
Suivre: @JesseLumsden28, @BobsleighCAN