Le déjà-vu côtoie la nouveauté : Les pagayeuses d’Équipe Canada racontent les coulisses des Jeux de Paris 2024

Katie Vincent a une impression de déjà-vu.

À ses premiers Jeux olympiques, ceux de Tokyo 2020, Vincent s’est tenue debout fièrement sur le podium alors qu’elle venait de remporter une médaille de bronze dans l’épreuve du C-2 500 m, femmes aux côtés de sa coéquipière Laurence Vincent Lapointe. L’équipe chinoise composée de Xu Shixiao et Sun Mengya a décroché l’or, tandis que les Ukrainiennes Liudmyla Luzan et Anastasiia Rybachok ont raflé l’argent. Quelle journée !

Trois ans plus tard, Vincent est sur le podium aux Jeux de Paris 2024. Elle est debout sur la troisième marche, ayant remporté la médaille de bronze du C-2 500 m, femmes. Si elle regarde à sa droite, elle peut voir les Chinoises Shixiao et Mengya sur la première marche, de même que les Ukrainiennes Luzan et Rybachok sur la deuxième marche. Quelle journée là aussi!

Cinq médaillées qui se retrouvent exactement au même endroit sur le podium, à trois années d’intervalle.

« La seule différence, c’était Sloan [Mackenzie, l’actuelle coéquipière de Vincent], lance Vincent en riant. C’est fou quand je pense à quel point la compétition et l’expérience ont été différentes comparées à ce que ç’avait été avec Laurence… mais le résultat a été le même. Ça fait un peu bizarre dans ma tête. »

Olympique.ca s’est entretenu avec Vincent et Mackenzie après qu’elles aient eu le temps de prendre un peu de recul à la suite de ce qu’elles ont vécu à Paris 2024. Les deux pagayeuses ont raconté un peu de ce qui se passe en coulisses à des Jeux olympiques, en plus de nous donner quelques faits saillants culinaires qui vont certainement vous faire sourire.

Comment tout ça a commencé

Mackenzie et Vincent se sont rencontrées pour la première fois quand Mackenzie a été invitée à participer à un camp d’entraînement de l’équipe nationale junior et les deux athlètes ont été brièvement jumelées en C-2 dans le cadre d’un exercice — une athlète plus âgée et une athlète plus jeune mises ensemble juste pour le plaisir de le faire. Elles ont fait un nouvel essai ensemble en C-2 au premier camp d’entraînement de Mackenzie avec l’équipe nationale en 2020. Là encore, ce n’était qu’un cas d’exception, puisque Vincent avait toujours Vincent Lapointe comme partenaire en vue des Jeux de Tokyo.

Après le départ à la retraite de Vincent Lapointe, le camp que l’équipe nationale a tenu en 2021 a donné l’occasion d’essayer de nouvelles équipes. La troisième fois a alors été la bonne pour Mackenzie et Vincent, qui sont officiellement devenues partenaires.

« J’étais sous le choc, a dit Mackenzie. J’étais jeune à ce moment-là [19 ans] et je n’arrivais pas à y croire.

« Je me souviens juste que l’entraîneur a dit, ‘Tu es avec Katie, c’est elle la plus rapide dans l’équipe. Tu dois t’entraîner super fort pour t’assurer de rester dans le C-2.’ Et j’étais comme, ‘Je vais le faire! Je vais le faire!’ »

Au début, le duo et leurs entraîneurs ont essayé différents scénarios, notamment avec Mackenzie à l’arrière de l’embarcation et Vincent à l’avant — à l’opposé de la position que cette dernière occupait avec Vincent Lapointe. Après avoir disputé leurs courses de cette façon en 2022, alors qu’elles ont notamment pris la sixième place aux Championnats du monde, elles ont changé de place, avec Vincent à l’arrière et Mackenzie à l’avant.

« Je pense que ç’a tout simplement cliqué quand on était comme ça. À partir de là, nous avons fait de mieux en mieux chaque course que nous disputions », a déclaré Mackenzie.

Elles ont terminé en troisième place aux Championnats du monde de l’ICF 2023, qualifiant alors une place pour le Canada dans l’épreuve du C-2 500 m en vue de Paris 2024. Aux Jeux panaméricains de Santiago 2023, elles se sont retrouvées au sommet du podium.

Katie Vincent et Sloan MacKenzie posent avec leur médaille d'or.
Katie Vincent et Sloan MacKenzie remportent la médaille d’or du 500 m C-2 féminin aux Jeux panaméricains de Santiago 2023. (Carlos Acuña/Santiago2023 via PHOTOSPORT)

Paris 2024

Paris 2024 allait donc être les premiers Jeux olympiques de Mackenzie, mais heureusement pour elle, Vincent était là pour réduire son anxiété et définir les attentes.

« Il y a une image qui s’est formée dans ta tête depuis ton enfance, depuis le début de ta carrière, a souligné Vincent. Je pense que le fait que j’avais vécu ça, que je sois passée à travers la nervosité et que j’ai appris à quel point c’est important de rester concentrée et de respecter le plan, ça nous a aidées à rester calmes en tant qu’équipe. »

Elles ont décidé de rester plutôt tranquilles à leur village satellite situé à l’est des limites de Paris. Quand on lui demande de parler de son aventure olympique, une des premières choses qui vient à l’esprit de Vincent, ce sont les promenades qu’elle faisait tous les jours avec une coéquipière pour aller acheter des pâtisseries dans une boulangerie-pâtisserie locale — un petit rituel quotidien pour se payer une expérience typiquement parisienne, même si c’était à l’extérieur de la ville. Elles regardaient les Jeux à la télé pour rester en contact avec Équipe Canada sans trop se surexciter ni se stresser.

Le canoë de vitesse est une discipline où il faut disputer deux courses en une journée — bien souvent, avec une pause de seulement 90 minutes entre les deux. Les vagues et les quarts de finale ont lieu la même journée, puis suivent les demi-finales et les finales un autre jour. Les pagayeurs doivent en donner assez pour se qualifier pour la ronde suivante, mais pas au point d’hypothéquer la performance suivante. Les deux Canadiennes se sont entraînées à faire des contre-la-montre à 90 minutes d’intervalle tout au long de l’année précédant les Jeux, pour ainsi reproduire ce qu’elles allaient vivre à Paris.

Vincent aime que l’ambiance soit légère avant les courses et elle bavarde souvent avec les gens de son entourage dans ces moments-là. La routine d’avant-course de Mackenzie va dans le même sens, mais elle est davantage ciblée.

« Je chantonne des airs de Taylor Swift dans ma tête avant de prendre le départ pour ainsi éviter de trop penser à la course et d’être trop nerveuse », dit-elle.

Sa chanson de choix pour Paris 2024? « Fresh Out The Slammer » (qu’on peut librement traduire par « Fraîchement sorti de prison »). Ce n’est peut-être pas la première chose qui vient à l’esprit quand on se cherche une chanson motivante, mais l’important c’est que ça fonctionne. Force est d’admettre que cela a effectivement fonctionné puisque le duo canadien a parti le bal à Paris 2024 en établissement un temps record olympique de 1:54,16 minute dans sa vague de la première ronde.

L’équipe canadienne, Katie Vincent à gauche, et Sloan Mackenzie participent aux demi-finales du sprint en canoë double féminin de 500 m aux Jeux Olympiques de Paris 2024, en France, le vendredi 9 août 2024. Photo par Kevin Light/COC.

Après s’être qualifiées pour les demi-finales, elles disposaient d’une heure et demie pour se préparer pour la finale. Nous avons demandé à Mackenzie, qui est étudiante en diététique, ce qu’elles ont mangé comme collation entre les courses, en s’attendant à obtenir une réponse qui révélerait son expertise en ce sens.

« Je pense que c’était un biscuit Ritz, un morceau de chocolat et un petit cube énergétique en jujube, a-t-elle indiqué en riant. C’étaient les seules choses que mon estomac pouvait tolérer tellement j’étais nerveuse! »

Ayant refait le plein à l’aide des plus importants groupes alimentaires, Mackenzie et Vincent se sont présentées à la ligne de départ de la finale sous les regards de 20 000 spectateurs — ce que les pagayeurs et pagayeuses vivent rarement et ce qui représentait quelque chose de très différent par rapport à ce que Vincent avait vécu à ses Jeux précédents à Tokyo 2020.

La Chine a pris l’avance au moment du départ, mais MacKenzie et Vincent n’étaient pas loin derrière. À la mi-course, l’embarcation canadienne était deuxième, tout juste devant la Pologne. Dans les 100 derniers mètres cependant, c’est le duo ukrainien qui a vraiment accéléré le rythme, passant de la sixième place après 250 mètres pour finalement faire traverser le nez de l’embarcation au-dessus de la ligne d’arrivée tout juste avant MacKenzie et Vincent.

Au fil d’arrivée, les Canadiennes ont décroché le bronze en 1:54,36 minute, ratant la médaille d’argent par seulement 0,06 seconde.

Pas encore fini

Toutefois, le temps de célébrer n’était pas encore venu pour Vincent, parce qu’elle devait disputer le C-1 200 m le lendemain. Participer à plus d’une épreuve veut dire qu’il faut accorder encore plus d’attention aux petits détails, par exemple en mangeant autre chose qu’un seul biscuit Ritz pour refaire le plein d’énergie.

Selon Vincent, tout a meilleur goût dans les moments qui suivent la récolte d’une médaille olympique.

« Le personnel de soutien m’a préparé un sandwich et l’a mis dans ma trousse de podium. Ce qui fait que j’étais littéralement en train d’enfiler mes vêtements pour le podium tout en avalant une baguette de viande et de fromage. J’étais assise là et je n’arrêtais pas de me dire, ‘Wow, c’est le meilleur sandwich que j’ai jamais mangé de ma vie! »

Revigorée par un savoureux sandwich et une ovation debout au moment où elle s’est tenue debout sur le podium olympique, l’attitude positive de Vincent a duré jusqu’au lendemain matin, un autre jour de course pour elle.

« Je me suis réveillée et j’étais convaincue que j’étais capable de connaître une autre grande journée », a affirmé Vincent.

Du soleil. Pas de vent. Des ondes positives dont les effets positifs se faisaient encore sentir après avoir accédé au podium la veille. Il n’y a pas grand-chose qu’une pagayeuse pouvait demander de mieux. Toutefois, Vincent a ensuite vaincu la championne olympique en titre en demi-finale, ce qui a rehaussé encore plus son niveau de confiance.

L’équipe canadienne Katie Vincent participe aux demi-finales du sprint en canoë monoplace féminin de 200 m aux Jeux Olympiques de Paris 2024, en France, le samedi 10 août 2024. Photo par Kevin Light/COC.

Le Canada partageait un quai avec la Nouvelle-Zélande pendant les Jeux, ce qui veut dire qu’avant sa propre course, Vincent était aux premières loges pour voir comment la légendaire kayakiste des Kiwis, Lisa Carrington, se prépare en vue d’une course.

« Tu vois à quel point la meilleure de tous les temps est détendue et drôle, alors je n’arrêtais pas de penser, ‘Ah ouais, c’est comme ça qu’elle se comporte… et tout le monde sait qu’elle va gagner!’ »

Cependant, il y a ensuite ce moment où la foule de 20 000 personnes devient complètement silencieuse alors que ta course est sur le point de commencer, et soudainement la situation n’est plus aussi détendue et drôle qu’elle l’était tantôt.

« C’est à ce moment-là que tu te dis, ‘Ouais, c’est le moment le plus terrifiant de ma vie…’ »

Vincent sait qu’elle est meilleure en fin de course qu’au départ, elle qui affirme qu’elle n’est jamais en tête dans les 50 premiers mètres d’une épreuve de 200 m. Il y a aussi le fait qu’elle pagaie à gauche, ce qui signifie qu’en finale, elle ne voyait pas où se trouvait sa plus proche concurrente — la championne olympique en titre des États-Unis Nevin Harrison, en l’occurrence. Elle pouvait seulement avoir une certaine perception de son positionnement par rapport à la Cubaine Yarisleidis Cirilo.

« Je n’avais aucune idée de ce qui se passait. Par contre, je savais que si j’étais devant la Cubaine, elle est une des meilleures. Elle était la championne du monde l’an dernier. Alors je savais que j’étais probablement bien placée, à moins que le ciel soit en train de nous tomber sur la tête. »

Vincent et Harrison ont franchi la ligne d’arrivée de façon si rapprochée qu’il a fallu recourir à une autre photo d’arrivée. Vincent nous a raconté ce qui s’est passé en coulisse.

« Il y a un écran qui fait face à l’eau à l’endroit où nous nous trouvons et personne d’autre ne peut voir ce qu’on y montre. C’est le Canada qui s’est affiché… pour aussitôt disparaître! Je me disais, ‘Oh non, pas ça. Ce n’est pas bon signe du tout.’ »

Ensuite, c’est le Canada qui s’est de nouveau affiché. L’or par un centième de seconde.

  • Katie Vincent crie et lève un bras dans les airs.

« Ça m’a semblé prendre une éternité. J’ai vieilli de trois ans », a-t-elle ajouté en riant.

Vincent a crié de joie, faisant signe à la foule de crier elle aussi. Ce qu’elle ne réalisait pas, c’est qu’il y avait un délai entre l’écran qu’elle voyait et les écrans qui se trouvaient devant l’assistance. Quelques secondes plus tard, la section des partisans canadiens a explosé. C’était la toute première médaille d’or olympique que le Canada remportait dans une épreuve féminine de canoë ou de kayak.

Ainsi donc, encore une fois, Vincent a ouvert sa trousse de podium (aucune mention d’un sandwich cette fois). En prenant ses vêtements de rechange, elle a réalisé qu’étant donné qu’elle a maintenant son téléphone, elle pourrait effectuer des recherches pour savoir à quel point sa course avait été rapide — ce qu’elle ne savait pas encore à ce moment-là.

« J’étais comme, attends, attends, attends… Il faut que j’aille voir à quel point la course a été rapide. »

Ce qui fait qu’au lieu d’avaler le meilleur sandwich de sa vie, Katie Vincent a pu se rendre compte qu’elle venait d’établir un record du monde.

Cette fois-là, au moment de se retrouver au sommet du podium, ce n’est pas une impression de déjà-vu qu’elle a. Non, cette fois, cette sensation est nouvelle, tout à fait nouvelle.