Créer du MOMentum pour les athlètes mamans à l’approche de Paris 2024
Les athlètes mamans auront droit à plus d’attention aux Jeux de Paris 2024, à un niveau qui n’a jamais été vu auparavant à l’occasion des éditions précédentes des Jeux olympiques, et un groupe d’athlètes d’Équipe Canada aident à paver la voie.
La rameuse Jill Moffatt, qui vise de participer à ses deuxièmes Jeux olympiques en deux de couple poids léger en aviron, est la leader d’une nouvelle initiative appelée MOMentum. MOMentum aide les athlètes olympiques et paralympiques à gérer leurs besoins en matière de planification familiale au moment où elles se préparent en vue des Jeux.
« C’est intéressant de voir qu’au Canada, surtout aux Jeux olympiques d’été, les femmes remportent de 76 % à 77 % des médailles par rapport aux hommes, déclare Moffatt. Pourtant, nous avons tellement de retard dans notre façon de soutenir les athlètes au cours de leurs carrières sportives, avant d’être enceintes et ensuite après, si elles continuent de pratiquer leur sport. »
MOMentum est l’un des 15 projets sans but lucratif qui ont reçu en février une Subvention Héritage d’OLY Canada du Comité olympique canadien. Ces subventions aident les athlètes qui exercent une influence au sein de leurs communautés au moyen d’initiatives qui sont axées sur l’accès au sport, le sport sécuritaire ou la durabilité.
Moffatt affirme que jadis, les athlètes étaient nombreuses à prendre leur retraite au moment de devenir enceintes, alors que leurs meilleures années en termes de fertilité et leurs meilleures années sur le plan sportif entraient en conflit. Plus récemment, des athlètes comme la joueuse de tennis vedette Serena Williams ont continué de briller dans leur sport après avoir donné naissance, mais non sans devoir surmonter d’énormes difficultés.
Moffatt a pris connaissance pour la première fois de l’ampleur de cette problématique au moment de suivre un programme de bourse en journalisme. Elle faisait des recherches pour un article sur les athlètes qui continuaient de faire de la compétition à 30 ans et plus et qui faisaient congeler leurs ovules afin de pouvoir devenir enceintes plus tard.
« C’était là un sujet dont on parlait davantage dans la société en général, mais les athlètes n’en parlaient pas ouvertement, même si j’en connaissais quelques-unes qui le faisaient, fait remarquer Moffatt. Quand j’ai commencé à les contacter pour leur parler de congélation d’ovules, j’ai été contactée par d’autres qui m’ont dit que ce dont elles avaient vraiment besoin, c’est d’un soutien plus général au moment d’être enceintes. »
Moffatt a réalisé qu’il s’agissait d’une question d’équité. « La plupart des employées ont un département des ressources humaines qui a une politique en matière de congé de maternité. Si tu es entraîneure, tu as des droits conformément à la politique sur les congés de maternité. Toutefois, ce n’est pas le cas pour les athlètes. »
MOMentum offrira de l’éducation en planification familiale, des ressources, des subventions, de l’assistance juridique gratuite et du mentorat aux athlètes féminines qui font partie d’équipes nationales.
Moffatt se dit privilégiée de pouvoir travailler avec des femmes qui ont toutes été des précurseures dans leurs sports. Elle collabore avec une vingtaine d’athlètes qui feront part de leur vécu à d’autres en tant que mentores. Parmi celles-ci, il y a notamment la boxeuse Mandy Bujold, qui a pu participer à Tokyo 2020 seulement après avoir remporté une bataille juridique. Elle a soutenu avec succès que le système de qualification en vue des Jeux était discriminatoire parce qu’elle avait dû rater certaines compétitions cruciales en raison de sa grossesse et sa période de rétablissement post-partum.
La vedette de l’athlétisme Melissa Bishop-Nriagu agit aussi comme mentore, elle qui a pris la quatrième place du 800 mètres à Rio 2016, mais a ensuite eu de la difficulté à garder ses commanditaires après avoir eu un enfant.
Kim Gaucher est elle aussi mentore. Elle a dû se battre pour que sa fille qui venait de naître puisse l’accompagner à Tokyo 2020 et qu’elle puisse ainsi continuer à allaiter. Ces Jeux ont eu lieu alors que des mesures strictes étaient en vigueur en raison de la COVID-19, interdisant notamment la présence de spectateurs sur place.
« C’est formidable de faire partie de ce groupe de femmes qui va changer le vécu des athlètes féminines canadiennes dans le futur, souligne Gaucher. C’est un honneur pour moi d’être entourée d’un aussi grand nombre de personnes qui font une différence. »
À Tokyo, le mari de Gaucher et leur fille Sophie se déplaçaient en taxi tous les jours pour se rendre au Village olympique, où Gaucher allaitait dans une petite salle d’allaitement. La famille devait rester confinée dans sa chambre d’hôtel le reste du temps. Gaucher estime qu’il y a bien des choses qui lui auraient permis de vivre une expérience plus positive.
« J’ai dû composer avec des blessures après avoir donné naissance et recommencé à m’entraîner, et si j’avais pu entrer en contact tout de suite avec une nutritionniste, peut-être que ça se serait passé différemment, dit-elle. J’ai passé beaucoup de temps, avant la naissance de Sophie, à chercher moi-même quel était le meilleur programme d’entraînement à suivre. Évidemment, mon médecin n’avait pas travaillé avec beaucoup d’athlètes de haute performance. »
Gaucher est maintenant l’entraîneure de l’équipe canadienne féminine de basketball 3×3, dont fait partie la joueuse Paige Crozon. Celle-ci est la mère monoparentale d’une fille de cinq ans qui s’appelle Poppy.
« C’est vraiment bien parce que nous pouvons parler de ces choses-là, note Gaucher. Je lui dis [à Paige] que nous avons un gros été qui s’en vient, avec beaucoup de temps sur la route. Mon approche avec elle, c’est ‘comment pouvons-nous te soutenir pour te rendre la vie plus facile lorsque tu es loin de Poppy, ou comment pouvons-nous emmener Poppy à certains moments pour que tu puisses donner ton meilleur niveau?’ »
Gaucher a emmené Sophie, qui a maintenant trois ans, avec elle au Japon plus tôt au mois de mai au moment où l’équipe 3×3 a participé à son premier tournoi de qualification olympique. Après être venues à une victoire près d’obtenir leur billet pour les Jeux de Paris 2024, les Canadiennes disputeront maintenant la compétition finale de qualification olympique en Hongrie, à compter du 16 mai. Si tout va bien, Gaucher espère avoir Sophie à nouveau avec elle aux Jeux olympiques de cet été à Paris.
Le comité d’organisation des Jeux de Paris 2024 prévoit construire une garderie à l’intérieur du Village olympique et Gaucher fait savoir qu’il y aura d’autres premières intéressantes pour les athlètes mamans aux prochains Jeux.
« C’est vraiment spécial ce que le Comité olympique français fait pour ses athlètes qui allaitent et qui sont des parents. Ils ont un hôtel avec des chambres qui leur sont réservées et une aire de jeu qui va servir à toutes les personnes qui vont prendre soin d’un enfant pendant les Jeux olympiques. Ils vont aussi avoir des navettes entre le Village olympique et cet hôtel pour les athlètes de la France. Nous voulons que ce soit ça la norme. »
Moffatt affirme que MOMentum espère notamment attirer davantage l’attention sur le financement des athlètes enceintes, ce qui est un problème que les nouveaux parents rencontrent fréquemment.
Moffatt déclare que le système sportif a été un peu comme le Far West au fil des ans en ce qui a trait à la façon dont il a traité les athlètes de haut niveau enceintes. Des athlètes vantent toutefois des organismes nationaux de sport (ONS) comme Canada Basketball et Hockey Canada pour la façon dont ils ont accommodé et soutenu les athlètes mamans.
D’autres ONS ont traité la grossesse de la même façon qu’une blessure et les athlètes devaient alors déclarer la présence d’une blessure pour continuer à recevoir l’argent du gouvernement en lien avec leur brevet. Dans certains cas, il y avait un nombre limite de fois où les athlètes pouvaient le faire. Ce qui fait que de nouvelles mamans qui se sont blessées au moment de reprendre la compétition après une grossesse ont perdu leur financement.
Après que quelques athlètes se soient battues contre cette façon de faire, la qualifiant de discriminatoire, les ONS ont commencé à traiter la grossesse comme d’autres situations ayant trait à la santé. Mais certains experts estiment qu’ils doivent en faire plus.
Tara-Leigh McHugh et Margie Davenport sont des chercheuses à l’Université de l’Alberta qui ont étudié cette question de près. Elles ont été mandatées par Sport Canada pour sonder des athlètes de haute performance, des entraîneurs et des ONS dans le but de faire des recommandations pour la mise en oeuvre de politiques.
Dans un rapport présenté à Sport Canada en avril 2023, elles ont formulé plusieurs recommandations, notamment qu’il devrait y avoir une politique globale sur la grossesse pour tous les ONS ainsi qu’une source d’argent séparée pour les athlètes qui sont enceintes ou sont de nouveaux parents.
« Les athlètes veulent qu’il y ait des recommandations claires. Du point de vue du soutien financier, elles veulent savoir ce qui va leur arriver. Seront-elles exclues de l’équipe? Garderont-elles leur poste? », explique Davenport.
Elle ajoute qu’il va y avoir davantage d’athlètes enceintes qui vont recommencer à pratiquer leur sport parce que les mentalités du passé qui ont mené à leur retraite sont en voie de changer. « Nos données montrent que le corps connaît plusieurs transformations au cours de la grossesse qui, dans les faits, peuvent faire de vous une meilleure athlète. Votre coeur grossit. Il grossit et se renforce, et ces changements demeurent par la suite. »
Les deux chercheuses disent que c’est là un message que les femmes à tous les niveaux du sport canadien doivent entendre.
« Ces athlètes sont des modèles à suivre. Nous ne parlons pas seulement ici d’une poignée d’athlètes. Ceci a des retombées à tous les niveaux du sport », déclare McHugh.
« Il y a de la recherche qui démontre que les deux tiers des mères vont entièrement interrompre leur activité sportive, grosso modo, pour le reste de leurs vies en raison de la maternité, ajoute Davenport. C’est un moment où nous voyons les gens cesser l’activité physique et nous savons maintenant à quel point l’activité physique peut être bénéfique pour toute la vie. »
Moffatt dit qu’il y a une autre raison pour laquelle les ONS doivent avoir une politique claire en matière de grossesse. Il pourrait y avoir des situations où le milieu est toxique. Étant donné le déséquilibre du pouvoir qu’il y a entre les athlètes et les entraîneurs ou les directeurs de haute performance, elle affirme que cela pourrait mener à des questions de sport sécuritaire où les athlètes craignent de se manifester.
« J’ai entendu parler d’athlètes qui, dans certains cas, ne voulaient pas dire à leur entraîneur qu’elles étaient enceintes et le cachaient. »
MOMentum utilisera sa Subvention Heritage d’OLY Canada au montant de 10 000 $ pour tout d’abord lancer un site Web et des plateformes sur les réseaux sociaux, où elles pourront promouvoir et rendre disponibles toutes les ressources qu’elles ont.
Moffatt dit que ce n’est qu’un début.
Étant donné qu’elle milite avec passion pour l’équité et qu’il y a un intérêt grandissant pour le sport féminin, Moffatt prévoit commencer un doctorat sur le sujet de la maternité chez les athlètes après Paris 2024.
Avec MOMentum, elle espère que cette initiative continuera de prendre de l’ampleur et permettra d’offrir du soutien aux nouveaux pères aussi. Elle aimerait faire circuler le message chez les entreprises au Canada qui voudraient peut-être faire des dons.
« Nous espérons pouvoir offrir des subventions aux mères qui vont participer aux Jeux olympiques ou paralympiques. Les montants serviraient à des choses comme les frais de garderie quand elles participent à des compétitions ou payer pour les dépenses supplémentaires qu’il y a dans les semaines précédentes. Peut-être s’agira-t-il de montants de 2000 $ chacune ou plus, selon des sommes que nous serons en mesure d’amasser. »
Moffatt précise que MOMentum n’est pas seulement quelque chose qu’elles prévoient faire cette année.
« Nous allons le faire pour les Jeux de 2026 et 2028 pour pouvoir soutenir les athlètes des sports d’hiver aussi, souligne-t-elle. Notre but est de nous assurer que ce ne sera pas quelque chose qui va se limiter aux Jeux de Paris. C’est quelque chose, idéalement, que nous allons faire jusqu’à ce qu’il n’y ait plus le besoin de le faire. »