Diversité et inclusion dans le skateboard : « C’est le meilleur temps en ce moment », dit Annie Guglia

Un club de gars hétérosexuels, le skate? Pas selon ce que nous a confié Annie Guglia ! La championne canadienne des compétitions de street a une impressionnante feuille de route, dont l’un des faits saillants est ses débuts olympiques à Tokyo 2020 où le skateboard faisait son entrée au programme olympique.

En août 2020, environ un an avant les Jeux reportés de Tokyo 2020, la planchiste vedette s’est prêtée au jeu du « Questions – Réponses » pour aborder la place grandissante des femmes dans le monde du skate, son rôle d’ambassadrice de la communauté LGBTQ2+ et celui de modèle pour la prochaine génération de planchistes. Ah, et l’importance capitale d’être fier de qui on est, peu importe qui on est.

Annie Guglia avec son casque sourit de côté à la caméra.
La planchiste Annie Guglia participe aux Jeux olympiques de Tokyo 2020 le lundi 26 juillet 2021. Photo by Mark Blinch/COC

On ne se cachera pas que le skateboard, c’est plus un monde de gars. À quoi ça ressemble, être une femme dans ce monde-là?

Honnêtement, c’est le meilleur temps en ce moment!

En 18 ans d’expérience, je n’ai jamais vu autant de solidarité, d’opportunités, de progression et d’engouement pour les femmes dans le skate.

Pour faire une histoire courte, jusqu’à la fin de mon secondaire, j’espérais devenir skateboarder professionnelle. À 17 ans, j’ai réalisé que les femmes avaient peu de visibilité en skate, pas vraiment d’opportunités et un très faible taux de participation, et que cela entraînait peu de progression et donc encore moins de visibilité, d’opportunités, d’engouement et de participation. Bref, un cercle vicieux vraiment décourageant pour une ado pleine d’ambitions! J’ai décidé d’abandonner mon rêve et de me concentrer sur mes études pour avoir une vie « normale » …ou « réaliste ». 

C’est seulement à 26 ans, avec l’inclusion du skateboard aux Jeux olympiques de Tokyo 2020, que mon rêve de vivre de ma passion est redevenu possible dans ma tête, et c’est pourquoi je suis ici aujourd’hui. J’ai choisi de saisir cette nouvelle opportunité et je réussis à vivre du skate depuis deux ans maintenant.

Avec du recul, je réalise que j’aurais pu persister et créer mes propres opportunités à 17 ans mais, malheureusement, j’étais trop jeune et je n’avais pas assez de modèles féminins dans mon sport pour me montrer que c’était possible.

J’essaie d’être cette personne pour la prochaine génération.

Y a-t-il encore beaucoup de stéréotypes et de préjugés qui entourent la pratique du skateboard?

Ce que je peux dire, c’est que le skate est de plus en plus socialement accepté. Le skateboard est normalisé, accepté, et ça fait du bien parce que dans les faits, c’est vraiment un bel outil de développement personnel tant pour les jeunes que les moins jeunes. Pour progresser en skate, tu dois tellement travailler sur ta confiance en toi, être persévérant, résilient et patient, que la pratique du skate est ultimement vraiment positive pour la plupart des participants. En plus, c’est un sport individuel, mais c’est d’abord et avant tout une communauté. Tout skater sait à quel point c’est difficile d’apprendre un nouveau truc et de devenir bon.ne, et donc on se respecte les uns les autres, peu importe le niveau. 

De plus, au sein même de la communauté du skate, la diversité est de plus en plus célébrée, et ça aussi, c’est hyper positif et encourageant!

Quand j’ai commencé le skate, on pensait être avant-gardistes comme sous-culture, mais dans les faits, c’était très homogène et exclusif : majoritairement des hommes blancs adolescents hétérosexuels qui glorifiaient uniquement la performance extrême en skate. Très peu de diversité, sur tous les plans.

Aujourd’hui, on voit une croissance extraordinaire des femmes dans le skate, des personnes queers, trans, gaies, des personnes de toutes origines, religions, âge, styles vestimentaires, classes sociales, handicaps, niveaux de performance. C’est vraiment beau à voir.

La communauté du skate est de plus en plus libre et inclusive, et j’en suis de plus en plus fière.

Tu as déjà dit en entrevue que tu ne te considérais pas vraiment comme une militante LGBTQ+. Par contre, ça ne t’empêche pas d’être une ambassadrice de cette communauté. Comment vois-tu ce rôle?

Bonne question! Pour moi, le terme militer fait référence à agir et combattre activement quelque chose, et comme je ne me considère pas à l’avant-plan du combat pour les droits des personnes LGBTQ2+, je ne veux pas m’approprier leur travail.

Ceci étant dit, je suis ouvertement lesbienne et je supporte à 100 % les initiatives visant l’égalité pour tou.te.s!

Je vois mon rôle au sein de la communauté comme un « modèle » positif. Ça fait bizarre à dire envers soi-même mais, en gros, j’essaie de me rendre visible le plus souvent possible et d’utiliser les plateformes qui me sont offertes pour montrer que c’est juste normal. Je ne comprends pas les gens qui propagent la haine envers les autres par rapport à quelque chose qui ne les regarde pas et ne leur enlève rien.

Inévitablement, tu représentes un modèle pour les jeunes filles, non seulement par la façon dont tu es toujours restée toi-même dans cet environnement, mais aussi par ta persévérance et par ton leadership pour faire avancer le sport, particulièrement pour les femmes. Qu’est-ce que ça représente pour toi d’être devenue ce modèle?

Je pense que mon parcours, ma personne et ce que j’ai à offrir comme accomplissements peuvent être inspirants pour deux raisons : soit parce que je suis différente de la masse, ou soit parce que je suis similaire à « toi » en particulier.

Ultimement, j’essaie juste d’être moi-même et de rester vraie. Si c’est inspirant pour d’autres personnes, tant mieux et ça fait toujours plaisir de l’entendre! 

Être soi-même est tellement important, parce qu’il n’y a que toi qui puisse être toi. Je l’ai déjà dit en entrevue, mais je crois que chaque personne a une valeur ajoutée unique dans le monde et c’est en restant authentique qu’on est le plus inspirant ET le plus heureux.

Et pour le futur… Quel héritage penses et veux-tu laisser derrière toi?

Depuis 2006, j’essaie de promouvoir le skateboard chez les fxmmes¹. Quatorze ans plus tard, la participation des fxmmes croît trois fois plus que celle des hxmmes selon une étude que j’ai lue. 

Ce que j’espère léguer au skateboard, c’est une visibilité assez grande pour que le grand public comprenne que le skateboard, c’est pour tout le monde. Je suis une femme lesbienne canadienne de 29 ans avec une maîtrise en stratégie d’entreprise et je suis une athlète professionnelle en skateboard. Si ça peut inspirer qui que ce soit ou prouver quoi que ce soit, let’s gooooo!

Et toi, qui sont tes modèles? Pas nécessairement LGBTQ+ ou du monde du skateboard, mais en général?

Personnellement, ce qui m’inspire beaucoup ces temps-ci, ce sont les personnes mentalement fortes et/ou émotionnellement matures. Le développement personnel et le « mental toughness » sont des sujets relativement nouveaux pour moi, et je trouve ça vraiment inspirant.

J’ai réalisé récemment que je suis trop axée sur la performance, sur les accomplissements et sur l’image que les autres ont de moi et parfois, ça m’empêche de profiter du moment présent.

Dit comme ça, ça peut avoir l’air vraiment quétaine! Mais c’est super important et la façon dont ça m’influence, c’est que j’essaie toujours de me concentrer sur les choses que je peux contrôler avant tout, et d’apprécier le processus et le moment présent – au lieu de me concentrer seulement sur les résultats ou le but final du processus. Mon parcours olympique, je le vois un peu comme ça. J’essaie d’apprécier le tout, parce que si tu te concentres seulement sur l’objectif final mais que tu n’as pas aimé le reste, est-ce que ça en vaut vraiment la peine?

Qu’est-ce que tu dirais à une jeune fille qui aurait peur ou qui hésiterait à se lancer dans le skateboard… Ou même dans n’importe quel sport!

Au risque de me répéter, il faut briser les stéréotypes. Le skate, c’est pour tout le monde. Le sport, c’est pour tout le monde. Les droits humains, c’est pour tout le monde.

Et pour les jeunes filles en particulier, je dirais : crois en toi et fais ce que tu aimes. Plus tes rêves sont grands, plus ça va être difficile de les atteindre, mais même si tu as l’impression que c’est impossible, saches que tu peux créer tes propres opportunités. Concrètement, aies une vision d’où tu veux être, concentre-toi sur des petits objectifs atteignables qui vont un jour te mener où tu veux être, et n’hésites pas à changer d’avis et à réajuster le tir si tu trouves de nouvelles choses qui t’attirent. Le plus important dans la vie, ce n’est pas la destination finale, mais de prendre le chemin qui te rend heureux.se et qui t’amène de ton point A à ton point B.

¹L’utilisation des orthographes « fxmme » et « hxmme » vise à inclure tous les genres de femmes et d’hommes, incluant les personnes trans, non-binaires et de couleur.


Annie Guglia est une athlète canadienne en skateboard qui a compétitionné lors des débuts olympiques de son sport aux Jeux olympiques de Tokyo 2020. Elle a été sacrée championne canadienne de skateboard de street en 2020, vice-championne en 2019, et elle a remporté le titre de l’Empire Open en 2018. En plus d’être une pro de la planche, Annie a écrit son mémoire de maîtrise sur l’industrie du skateboard entre 2015 et 2017. 

Cette entrevue a été réalisée par courriel.