Allier durabilité et performance : le parcours olympique de Marion Thénault vers la neutralité carbone
Marion Thénault est médaillée de bronze olympique et compte 11 podiums en Coupe du monde en tant que spécialiste de saut acrobatique. Après Beijing 2022, Thénault s’est fixé de grands objectifs pour les Jeux olympiques d’hiver de Milano Cortina 2026 et pas seulement sur le plan sportif.
En plus de viser un podium olympique, Thénault s’est donné comme objectif de rendre son parcours vers Milano Cortina 2026 carboneutre.
Pour l’accompagner, elle a fait appel à la firme d’ingénierie et de conseil WSP. Étudiante en génie aérospatial, Thénault a collaboré avec WSP pour calculer l’empreinte carbone de son mode de vie d’athlète de haut niveau, qui doit voyager à travers le monde pour l’entraînement et les compétitions.
Olympique.ca a suivi Thénault à chaque étape de ce projet. Après trois ans, nous lui avons demandé ce que cette démarche lui avait appris.
Début du projet : Se rendre aux Jeux olympiques tout en étant carboneutre : un beau défi pour Marion Thénault
Mise à jour année 1 : Marion Thénault donne des nouvelles de son projet vers la carboneutralité
Mise à jour année 2 : Marion Thénault poursuit son projet vers la carboneutralité et multiplie les actions pour le développement durable
C’est difficile à croire que c’est déjà la quatrième fois qu’on fait le point sur ton projet de carboneutralité ! En regardant en arrière depuis 2022, quels sont les principaux apprentissages que tu retiens ?
MT: J’ai définitivement appris beaucoup de choses, c’est sûr. Je ne savais pas trop dans quoi je m’embarquais et, chaque année, après avoir obtenu les résultats, je me disais : comment peut-on faire mieux ? mieux communiquer ? obtenir des données plus pertinentes ? C’est énormément de travail de collecter toutes ces données et je voulais vraiment que ça ait un impact concret, pas juste le faire pour dire de le faire.
L’an dernier, j’ai trouvé difficile de comparer les saisons, car mon calendrier était tellement différent. Chaque année, nous avons des Coupes du monde différentes, ce qui influence mes vols et donc mes émissions. Peu importe mes efforts, une Coupe du monde en plus en Chine change complètement la donne.
Alors cette année, nous avons établi une base de référence : autrement dit, on a calculé les émissions « normales » si je faisais toutes mes activités habituelles d’entraînement et de compétition sans effort supplémentaire de réduction, puis on a comparé ça avec mes émissions réelles. Ça a été super pertinent et je suis vraiment contente de l’avoir fait.
Résultat : mes efforts ont permis une réduction de 27 % des émissions de GES par rapport à ce qu’elles auraient été sans aucune mesure de réduction.
Tu l’as mentionné, le transport aérien reste le plus gros défi. Tu étais en contact avec la FIS pour voir si le calendrier des compétitions pouvait être ajusté afin de réduire les vols. Y a-t-il des nouvelles là-dessus ?
MT: Nous avons surtout rassemblé les données, c’était la plus grosse partie. L’idée était de donner une vision globale de l’impact du calendrier sur nos émissions totales en saut acrobatique.
Comment regrouper les Coupes du monde par groupes ? Quel est l’impact de les organiser ainsi plutôt que de traverser l’océan trois fois dans une saison ? Je veux avoir ces données, et la FIS est très intéressée par mes chiffres. Ils savent que je travaille là-dessus, et je ne suis pas contre eux, au contraire. Je veux leur fournir des données supplémentaires pour que, lorsqu’ils prennent leurs décisions, ce soit un facteur à considérer parmi d’autres.
Est-ce que tu veux poursuivre ce projet avec WSP après les Jeux olympiques? Quel est l’avenir de ce parcours pour toi?
MT: J’espère vraiment qu’on pourra continuer après les Jeux parce que je pense que ce qu’on a fait est très pertinent.
Mais ce que j’ai surtout réalisé, c’est que maintenant qu’on a les chiffres, il faut aller vers un changement culturel qui ne se traduit pas uniquement en données.
Le projet m’a permis d’échanger avec beaucoup de personnes dans le milieu du sport durable. En parlant avec les athlètes, tout le monde dit : « Eh bien, ce n’est pas nous qui prenons les décisions. » Et j’en faisais partie. Je me disais : « Je ne peux pas choisir mon calendrier, et comme je veux participer aux Coupes du monde, je vais devoir prendre l’avion. » Mais ensuite, quand on parle à la FIS, ils répondent : « Eh bien, nous ne pouvons rien faire que les athlètes ne veulent pas. »
Donc, c’est un peu comme si la FIS disait que c’est la responsabilité des athlètes, et que les athlètes disaient que c’est la responsabilité de la FIS. Moi, je pense que ma vision serait plutôt celle d’une collaboration : d’accord, nous sommes tous d’accord sur l’objectif, comment y parvenir ensemble ?
Ce n’est pas toujours facile, car certains athlètes ne sont pas très sensibles à ce sujet, et ils ont aussi besoin de se sentir à l’aise sur le circuit de compétition. Je pense donc que c’est là-dessus que je vais me concentrer au cours des quatre prochaines années : comment gérer tout ça. Mais j’espère vraiment que WSP voudra continuer à travailler avec moi, parce qu’à travers leur expertise, j’ai tellement appris. qu’il faut aller vers plus de collaboration : on se met d’accord sur l’objectif et ensuite on réfléchit ensemble à comment y arriver.
Il y a aussi d’autres raisons de ne pas vouloir voyager constamment d’un endroit à l’autre, qui sont purement liées à la performance ! Aucun corps ne réagit vraiment bien à plusieurs changements de fuseau horaire au cours d’une saison.
MT : C’est quelque chose dont je me suis rendu compte aussi — la plupart des mesures que j’ai mises en place [pour réduire mes émissions] se sont en fait révélées bénéfiques pour moi, tant au niveau de la performance que du bien-être. L’exemple le plus simple, c’est que j’ai commencé à me rendre à l’entraînement à vélo, qui est à 17 kilomètres de chez moi. J’y ai ajouté une batterie, ce qui en a fait un vélo électrique. Et maintenant, j’apprécie vraiment cette balade de 30 minutes à vélo au lieu de 15 minutes en voiture.
C’est la même chose avec les avions. J’essaie de réduire au maximum les correspondances et les petits vols qui peuvent être remplacés autrement. C’est d’ailleurs là que se situe la majeure partie de ma réduction : éviter les vols courts. En général, je pars une nuit plus tôt avec un autre mode de transport et je dors chez un membre de ma famille qui habite dans le coin. Ça crée plus d’opportunités et, en réalité, je pense que ça m’a été bénéfique.
Donc je crois qu’il est faux de dire que l’action climatique, pour un athlète, nuit à la performance. J’ai moi-même obtenu de très bons résultats, donc je pense qu’il faut déconstruire cette idée reçue.
Tu es aussi très impliquée au sein de cette communauté au-delà de ton projet personnel. Quelles sont les initiatives qui t’enthousiasment le plus en ce moment ?
MT : En ce moment, le grand rendez-vous qui approche, c’est la Journée des sports verts. Je serai à Montréal le 6 octobre pour discuter avec des membres de la communauté sportive exactement des mêmes sujets dont je parle avec vous aujourd’hui. Il y a beaucoup d’initiatives qui sont faites séparément, mais ça devient simplement du travail supplémentaire ; alors que si on les rassemble, on se rend compte qu’on veut tous la même chose. C’est un peu la même logique que pour le développement durable lui-même : la solution, c’est de partager les ressources plutôt que de tout avoir individuellement. Donc, je pense qu’on devrait appliquer ce principe dans notre manière de réfléchir, et dans la façon dont on intègre la durabilité dans notre système de soutien.
Je suis aussi impliquée dans la Coupe du monde au Relais grâce à une subvention du OLY Canada Legacy Grant. L’an dernier, nous avons implanté de nouvelles mesures, et cette année, c’est encore plus excitant parce que la FIS a créé un outil pour calculer les émissions de chaque Coupe du monde. Cela permettra bientôt d’avoir des objectifs, puis des exigences pour organiser des événements.
Et je continue de collaborer avec Protect Our Winters. Ce qui est génial avec POW, c’est surtout la communauté que ça crée.
Tu as visité des écoles avec Protect Our Winters. Quelles questions reviennent le plus souvent chez les élèves ?
MT : Je dirais que la plupart des élèves sont très conscients du changement climatique. Ils en ont entendu parler, ils savent comment ça fonctionne. Donc, on peut passer cette partie assez vite.
C’est davantage la question de l’action climatique qui les intéresse et, souvent, ce qui revient c’est : « Je n’ai aucun pouvoir en tant qu’individu, donc mes actions ne comptent pas. » Et c’est quelque chose que j’entends aussi chez les adultes, ce sentiment d’impuissance.
C’est pourquoi j’ai un peu modifié ma façon de présenter les choses : je parle beaucoup plus de changements culturels, parce que c’est exactement ce dont on a besoin. C’est là que chaque membre d’une communauté devient important, parce que c’est comme ça qu’on fait évoluer les choses.
Je donne l’exemple de la quasi-disparition de la cigarette au Canada : ça, c’était un changement culturel. Je parle aussi de la mode : dans les années 2010, porter des jeans très serrés c’était super cool, et dans les années 2020, ce ne sont plus que des jeans amples ; ma sœur regarde des photos de moi à 15 ans et elle me trouve tellement ringarde. Mais c’est un exemple amusant pour montrer que les mentalités changent, et c’est exactement ce qu’il faut appliquer au changement climatique.
Je pense que le message principal que j’essaie de transmettre, c’est de leur donner de l’espoir, parce que je comprends vraiment ce sentiment d’impuissance.
L’action individuelle peut sembler difficile, mais ma réduction de 27 % est très parlante : ça représente quand même un quart de mes émissions, et cela ne m’a pas empêchée de participer aux compétitions. Ça n’a rien impliqué de radical. L’essentiel venait du fait de réduire les vols courts, de faire du covoiturage et de me déplacer à vélo.
Donc, même si l’action individuelle peut sembler dérisoire, si chacun réduisait ses émissions d’un quart, ça ferait quand même une baisse mondiale d’un quart — ce qui est déjà bien plus que tout ce qu’on a réussi jusqu’à maintenant. Je crois qu’il ne faut pas sous-estimer non plus l’impact de nos propres actions dans le processus.


