Marion Thénault effectue un saut acrobatique.(AP Photo/Jeff Swinger)
(AP Photo/Jeff Swinger)

Marion Thénault donne des nouvelles de son projet vers la carboneutralité

L’an dernier, Marion Thénault, athlète de ski acrobatique, amorçait un important projet afin de réaliser un objectif qui lui tient à cœur : se rendre à ses deuxièmes Jeux olympiques tout en étant l’une des premières athlètes olympiques carboneutres au Canada.

Un an plus tard, la spécialiste du saut acrobatique nous explique où en est son projet. 

À LIRE : Se rendre aux Jeux olympiques tout en étant carboneutre : un beau défi pour Marion Thénault

Comment s’est déroulé la première année de ton projet ?

J’ai appris beaucoup. Je retiens que la quantification des émissions de carbone est complexe et comporte plusieurs facteurs. Obtenir des chiffres concrets, ce n’est pas facile. 

Quelles sont les contraintes et les limites des démarches pour quantifier les émissions de carbone de tes activités ?

Oui, définitivement. Il est important de mentionner que plusieurs calculs sont basés sur des moyennes. 

Prenons en exemple le logement : il existe une banque de données des émissions de carbone émis pour une nuit à l’hôtel dans un pays donné. Par exemple, en Suisse, les émissions correspondent à 6,5 kgCO2e /nuit tandis qu’aux États-Unis, elles correspondent à 12,3 kgCO2e/ nuit. Cela dépend entre autres de la façon de produire l’énergie dans ce pays. C’est une valeur moyenne pour tout le pays, elle ne prend pas en considération les fluctuations d’un hôtel à l’autre.  

L’empreinte carbone varie beaucoup selon le pays. Au Québec, nous produisons plus de 95% de notre électricité avec des barrages hydroélectriques ce qui est très avantageux au niveau de l’empreinte carbone. Par contre, quand on voyage, la même consommation électrique peut avoir un impact bien plus grand sur l’empreinte carbone. Une nuit à l’hôtel au Kazakhstan, où s’est déroulée la dernière Coupe du Monde de la saison 2022-2023, émet dix fois plus de CO2 dans l’atmosphère qu’une nuit à l’hôtel au Canada. Les destinations du circuit des Coupes du monde ont donc une grande influence sur mon empreinte écologique. 

Notre camp d’entraînement de début de saison a lieu à Ruka, en Finlande. Ruka Ski Resort est un centre de ski carboneutre en raison de leur façon de produire de l’énergie, de gérer les déchets et grâce à une compensation monétaire. Mais comment quantifie-t-on les émissions de carbone d’une journée de ski? Les rapports ne font pas état des détails concernant chacune des activités. Nous devons donc nous concentrer sur les grandes lignes concernant les principaux facteurs qui ont un grand impact. Cependant, ces facteurs qui contribuent de façon importante au bilan carbone sont aussi les plus difficiles à changer. La majorité des gestes que je pose de façon individuelle ne sont pas visibles dans le rapport. Je dois maintenant tenter de comprendre comment avoir une influence pour amener des changements plus grands que mes gestes individuels. 

Également, nous avons pris la décision de ne pas quantifier l’empreinte carbone des déchets que je générais puisque cela implique de peser quotidiennement les déchets, le compost et le recyclage, et ce, partout dans le monde. C’était compliqué et nous savions que la proportion des émissions serait minime. 

Nous avons donc quantifié les émissions reliées à mes déplacements aériens, à mes déplacements terrestres (train, automobile, autobus) et à mon hébergement lorsque je suis en camp d’entraînement et compétition. 

La première année de ton partenariat de quatre ans avec WSP était l’occasion de quantifier le plus précisément possible les émissions de carbone liées à tes compétitions. Qu’est-ce que les données recueillies au cours de la dernière année ont permis de constater ? 

De façon globale, 89% de mes émissions de carbone proviennent de mes déplacements aériens. Je me doutais bien que les vols en avion contribuaient de façon importante à mon empreinte carbone, mais un tel pourcentage est tout de même surprenant. Les vols en avion ont une empreinte beaucoup plus élevée que toutes mes autres sphères d’activité puisque mon hébergement constitue 9% de mes émissions de carbone, alors que 2% sont attribuables à mes déplacements en automobile. 

Exemple de calcul d'émission de gaz à effet de serre pour la participation de Marion à la Coupe du monde à Deer Valley, aux État-Unis.
Exemple de calculs des émissions de gaz à effet de serre pour la participation de Marion à la Coupe du monde à Deer Valley, aux État-Unis. Crédit: WSP

Ton partenaire, la firme d’ingénierie WSP, t’aide à identifier les différentes options pour diminuer ton empreinte écologique. Est-ce que leur expertise a concrètement influencé certains de tes choix jusqu’à maintenant ? 

WSP grâce à leur expertise me fournit les informations. C’est ensuite à moi de faire des choix en fonction des données connues. 

Les phases qui consomment le plus d’énergie lors d’un vol en avion sont le décollage et l’atterrissage. Donc, les vols courts nécessitent plus d’énergie par kilomètre que les longs vols. Il vaut mieux faire le moins grand nombre de vols possibles pour se rendre à destination. J’évite donc de prendre un vol Québec-Montréal au début d’un long voyage. Cependant, un trajet Québec-Montréal seule en auto n’est pas très avantageux au niveau des émissions de carbone puisque l’automobile crée 12 fois plus d’émissions par passager qu’un trajet en avion. Une bonne alternative est la voiture électrique, qui permet une diminution significative des émissions de carbone par rapport aux autres options. En Europe, pour une même distance, un trajet en train émet beaucoup moins par passager que ce même trajet en avion. 

Lorsqu’il est question de transport, le nombre de passagers est un facteur important. Je sais maintenant que de prendre l’autobus pour un trajet Québec-Montréal émet 67 fois moins de carbone par passager que de faire le trajet seule dans une voiture à essence. Bien sûr, ces chiffres impliquent que l’autobus doit être plein, mais c’est souvent le cas selon mon expérience. Les services d’autopartage sont aussi des options intéressantes puisque les émissions de carbone sont alors divisées par le nombre de passagers.

Même si ce n’est pas quantifié dans le rapport, les spécialistes de WSP m’ont montré l’importance du compostage. La matière organique mise au compost émet du CO2 en se décomposant en présence d’oxygène et de microorganismes. Les matières organiques jetées à la poubelle sont envoyées dans un site d’enfouissement où elles se décomposent sans la présence d’oxygène et émettent alors du CH4, un gaz à effet de serre 28 fois plus puissant que le CO2 en termes de potentiel de réchauffement climatique. La majorité des pays d’Europe ainsi que le Canada offre des services de compostage, mais ce n’est pas le cas partout en Asie et dans certains états des États-Unis.

Est-ce que les données recueillies jusqu’à maintenant permettront d’influencer certains de tes choix d’ici 2026 ?

Oui, car je comprends que mes actions ont un impact concret, mais mon influence a aussi un grand potentiel de changer les choses. 

En tant qu’athlètes, nous avons une plateforme. Nous avons le pouvoir d’utiliser cette plateforme pour partager les messages qui sont importants pour nous. Souvent, nous allons y promouvoir nos commanditaires. Choisir des commanditaires qui partagent nos valeurs est donc crucial. Je pense sincèrement que de s’associer avec des commanditaires qui ont un impact positif dans leur communauté est très important. 

J’ai récemment eu la chance de collaborer avec Louelec, qui offre un service d’abonnement à des autos électriques pour les professionnels et un service d’autopartage privé pour les entreprises et les communautés (résidences, universités, etc.). Non seulement ce partenariat me permet de me déplacer en auto électrique (et de quantifier l’impact de ce changement grâce à WSP), mais en plus, je peux promouvoir une entreprise locale qui partage les valeurs de développement durable, de collaboration et d’écoresponsabilité qui me tiennent à coeur. 

Comme je l’ai expliqué précédemment, en ce qui concerne les transports, la règle générale, c’est de choisir le transport collectif (autobus, train) autant que possible. Quand je dois prendre l’avion, j’essaie de réduire le nombre d’escales. 

J’ai également fait les choix d’avoir une alimentation majoritairement végétarienne et j’aimerais éventuellement quantifier l’impact de ce choix. Nous savons qu’une alimentation végétarienne a une empreinte carbone plus petite qu’une alimentation carnivore et que c’est une des façons les plus significatives de réduire son empreinte carbone en tant qu’individu. 

J’ai aussi constaté qu’il y a beaucoup d’études disponibles en ligne sur la quantification des émissions de carbone de plusieurs secteurs. S’informer est la première étape du processus et plusieurs informations sont accessibles à tous afin de s’éduquer sur le sujet. Être informé permet de prendre de meilleures décisions!

Quels sont les principaux défis rencontrés dans ton parcours vers la carboneutralité?

Une des contraintes est que le choix le plus écoresponsable n’est pas tout le temps le plus accessible financièrement ou au niveau logistique. C’est souvent un casse-tête. 

L’un des principaux enjeux, c’est que prendre le transport en avion consomme beaucoup d’énergie. En tant que consommateur, il est parfois difficile d’avoir un impact, mais nous pouvons alors aller voir comment le système fonctionne et vérifier si nous pouvons apporter notre contribution pour améliorer les choses. 

J’ai eu la chance de m’associer à CAE, une firme de génie aérospatial, mon domaine d’étude, basée à Montréal et qui vise d’améliorer la sécurité dans le monde de l’aviation. L’utilisation de technologies limitant l’impact de l’industrie aéronautique sur l’environnement contribue à cet objectif. CAE produit entre autres des simulateurs de vols pour permettre aux pilotes de s’entraîner dans des environnements virtuels. Je fais un stage avec eux et je travaille sur l’évaluation de leur empreinte carbone. Le but est de réduire les émissions de l’industrie aéronautique afin de diminuer l’empreinte des consommateurs lorsqu’ils prennent un vol. C’est une autre façon de faire une différence. 

As-tu observé des changements en ce qui concerne les discussions entourant les enjeux environnementaux dans le monde du sport ?

On en parle de plus en plus. Je suis peut-être biaisée parce que plus on s’implique, plus on rencontre des gens qui ont cet enjeu à cœur donc plus on en entend parler. Mais de manière générale, je vois un fort intérêt de la part de différentes équipes. Une skieuse américaine a écrit une lettre à la FIS (Fédération internationale de ski) pour lui demander des changements systémiques.

Parmi les actions suggérées, il y a la mise en place d’un circuit de compétitions qui permettrait de diminuer les déplacements en avion en disputant d’abord toutes les étapes européennes du circuit et ensuite toutes celles en Amérique du Nord au lieu de faire des allers-retours. 

Les hivers sont généralement plus chauds et il est de plus en plus difficile d’avoir assez de neige pour construire nos sites de saut. L’impact des changements climatiques sur la communauté des sports d’hiver est indéniable. L’année dernière, le manque de neige a obligé notre équipe à changer d’endroit pour un camp d’entraînement. Les compétitions ont lieu sur des sites qui sont créés en partie avec de la neige artificielle, et parfois entièrement de neige artificielle, comme ça a été le cas aux derniers Jeux olympiques. Nous sommes aux premières loges des changements climatiques puisque nous passons nos hivers dehors. 

Nous avons des leaders très inspirants au Québec, par exemple Philippe Marquis. Nous sommes en train de créer une véritable culture. 

Est-ce que ce projet t’a procuré d’autres occasions d’agir pour la cause environnementale?

Beaucoup plus que je pensais, et j’en suis vraiment reconnaissante. J’ai joint la Athlete Alliance de Protect Our Winters (POW). POW est une organisation nationale gérée par des personnes qui décident de s’orienter vers les solutions et qui crée une communauté motivée et inspirante. 

J’ai participé à un événement de lobbying à Ottawa avec eux où nous avons présenté un projet de mobilité durable pour l’accès au plein air au Canada. J’ai eu la chance de m’adresser à des membres du parlement pour leur exposer l’ampleur du problème et les solutions que nous proposions. Il faut rendre le plein air accessible à la population pour que les gens en comprennent l’importance de le protéger. Les changements importants passent par la sphère politique. Nous avons la chance de vivre dans un pays où les citoyens peuvent s’exprimer et nous avons utilisé ce privilège pour mettre de l’avant ce qui nous tient à cœur. 

J’ai aussi participé à la tournée Hot Planet Cool Athletes. Je suis allée dans des écoles en Ontario pour parler des changements climatiques et du pouvoir que nous avons en tant qu’individu. Le but est d’aider les jeunes à prendre conscience de la situation et de les inspirer à agir. 

Je me suis aussi associée à Louelec et à CAE, deux commanditaires dont les valeurs sont alignées avec les miennes et qui m’ont connu grâce à mon projet de carboneutralité avec WSP.

Puis j’ai la chance d’être panelliste pour la Journée des sports verts le 6 octobre!

Qu’est-ce que ça signifie pour toi de voir tes efforts pour devenir carboneutre reconnus par le CIO et d’être nommée pour un Prix «Action climat» du CIO?

J’étais vraiment touchée. J’adore mon sport et j’y dédis une grande partie de ma vie. Je le fais par passion et j’adore ce qu’il m’apporte. Pouvoir avoir un impact qui est plus grand que mes performances est quelque chose qui a beaucoup de valeur à mes yeux. Utiliser ma passion pour m’impliquer dans une communauté me procure un grand sentiment d’accomplissement. Cette nomination est une reconnaissance de ces efforts. Je consacre beaucoup de temps à mon projet de carboneutralité. Ça fait plaisir de voir mes efforts reconnus. 

Quels sont les impacts positifs de ton engagement dans ce projet sur ta carrière sportive, ton entourage et ta santé mentale ?

Je dirais que l’impact est très positif. C’est la première fois que j’ai un projet autre que mon sport ou mes études dans lequel je sens que je fais une différence à ma manière. C’est très motivant. Ça m’inspire à agir pour ce en quoi je crois. Ça donne un sens plus grand à ma carrière sportive. 

La réception des autres athlètes face à mon projet a été bonne. Je pense que dans les prochaines années, ce sera plus facile et plus intuitif pour les autres athlètes de s’inspirer de mon projet.