Mark Blinch/COC
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Eleanor Harvey inspire la prochaine génération d’escrimeurs canadiens

À ses troisièmes Jeux olympiques, Eleanor Harvey a consolidé sa place dans l’histoire de l’escrime canadienne à Paris 2024, en remportant la toute première médaille olympique du pays dans ce sport.

L’athlète de 30 ans était classée 14e au monde à l’amorce du tournoi, mais a réussi à décrocher une médaille de bronze au fleuret individuel féminin.

Quatre jours plus tard, Équipe Canada est passée tout près de remporter sa deuxième médaille olympique en escrime, quand Harvey et ses coéquipières Jessica Guo et Yunjia Zhang ont terminé quatrièmes de l’épreuve féminine du fleuret par équipes.

L’avenir de l’escrime canadienne s’annonce prometteur et Harvey ne montre aucun signe de ralentissement. En fait, elle a connu la meilleure saison de sa carrière après les Jeux olympiques. En mars, elle a remporté la première médaille d’or de l’histoire du Canada en Coupe du monde au fleuret, malgré une pneumonie contractée en amont de la compétition qui s’est déroulée au Caire. Quelques semaines plus tôt, Harvey avait remporté l’argent dans une épreuve du Grand Prix en Italie, après avoir récolté l’argent à la Coupe du monde en Corée et le bronze à la Coupe du monde en Tunisie fin 2024.

Olympique.ca a rencontré Harvey pour discuter de sa séquence de succès, de la manière dont sa vie a changé depuis qu’elle est devenue médaillée olympique et de son expérience en tant qu’entraîneure d’épée auprès de jeunes enfants.

Comment as-tu commencé l’escrime ?

J’ai commencé à pratiquer l’escrime à 10 ans. Je cherchais un nouveau sport à essayer, car je voulais absolument participer aux Jeux olympiques. C’était mon rêve depuis mon enfance. Je pratiquais le karaté, puis le copain de ma mère à l’époque m’a suggéré l’escrime. Nous avons entendu une entrevue de l’escrimeuse canadienne Sherraine Schalm, et c’est à ce moment-là que nous avons décidé d’essayer l’escrime.

Nous faisions aussi des combats d’épée dans la cour arrière avec des bâtons, donc c’était logique. Quand j’ai découvert que c’était un sport olympique, j’ai su que c’était celui-là que je voulais pratiquer.

Maintenant que tu as eu un peu de temps pour assimiler l’expérience, quels sont les moments de Paris 2024 qui t’ont vraiment marquée ?

Je pense que mon quart de finale a été un moment crucial pour moi, car c’était une remontée – je tirais de l’arrière par plusieurs points – et j’ai réussi à trouver le bon état d’esprit pour revenir de l’arrière et gagner ce combat. Je pense que cela m’a rappelé qu’en escrime, tout peut arriver et tout est possible. Ce fut donc un moment vraiment important.

Puis, il y a eu la remise à zéro entre la défaite en demi-finale et le fait de devoir concourir à nouveau pour la médaille de bronze – c’était sans aucun doute le moment le plus important de toute la compétition pour moi. Je pense que l’attitude que j’ai adoptée dans le combat pour la médaille de bronze était vraiment bonne, très positive, et m’a placée dans un état qui, éventuellement, m’as permis de gagner.

Eleanor Harvey est assise sur la piste d'athlétisme, son entraîneur vient la rejoindre en souriant.
Eleanor Harvey célèbre sa victoire contre Alice Volpi d’Italie lors du combat pour la médaille de bronze de fleuret féminin aux Jeux olympiques de Paris 2024, en France, le samedi 27 juillet 2024. Photo de Darren Calabrese/COC

Est-ce qu’il y avait quelque chose de particulier que tu faisais du point de vue de la préparation mentale ?

Dans les compétitions normales, généralement, quand on perd, on est éliminé. Il y a généralement deux médailles de bronze. Ce n’est donc pas une situation normale.

Mon expérience en escrime au sein de la NCAA m’a vraiment préparée, car dans la NCAA, c’est un format complètement différent. Il faut continuer la compétition, que l’on gagne ou que l’on perde. Il faut juste continuer.

À part ça, j’ai simplement discuté avec mes entraîneurs et mon conseiller en performance mentale. J’ai pris le temps de ressentir les sentiments qui accompagnent une défaite, tout en me faisant à l’idée que je me battais encore pour une médaille.

Nous avons été en mesure de me mettre dans un état d’esprit, rien qu’en discutant, où je savais que, quoi qu’il arrive, je n’allais pas compétitionner de manière craintive. J’allais le faire en me concentrant uniquement sur la réussite de mes touches.

Eleanor Harvey pose avec sa médaille de bronze.
Eleanor Harvey pose avec sa médaille de bronze. CP Photo/Christinne Muschi

Tu as connu énormément de succès après les Jeux olympiques. Peux-tu nous parler un peu de ton entraînement et de tes compétitions ?

Oui, je pense que [la médaille olympique] m’a vraiment donné confiance en moi et m’a prouvé que je devais aborder chaque tournoi en sachant que, chaque jour, je pouvais battre n’importe qui.

La saison précédant les Jeux olympiques a été l’une de mes pires depuis un bon bout de temps. Après les Jeux olympiques, quoiqu’il arrive d’ici le reste de la saison, c’est officiellement ma meilleure en carrière. Je pense que c’est en partie grâce à la confiance acquise aux Jeux olympiques, et aussi en partie parce que j’ai déménagé à Vancouver pour m’entraîner au Dynamo Fencing Club.

L’entraînement ici a été extrêmement bon. Je m’entraîne principalement avec des adolescents. J’ai une coéquipière de l’équipe nationale. L’escrime est tellement populaire ici que je peux la pratiquer autant que je veux, alors que dans beaucoup de clubs au Canada, il n’y a tout simplement pas assez de concurrentes de haut niveau pour me mettre vraiment au défi au quotidien.

Mon entraîneur et moi avons vraiment pu mettre l’accent sur ce en quoi nous croyons, car maintenant il y a beaucoup de preuves que ce que nous faisons fonctionne, et donc nous continuons simplement à faire exactement ce que nous avons fait depuis le début de la saison, mais en faisant confiance à notre plan, je pense, juste un peu plus.

Qu’est-ce que les gens ne savent pas, ou peut-être ne comprennent pas, à propos de ton sport ?

C’est une bonne question ! Cela demande beaucoup plus d’énergie qu’on l’imagine. Quand les gens essaient l’escrime, ils sont généralement surpris. Ils disent : « Oh, je suis fatigué ! » Je réponds : « Oui, j’espère ! »

Beaucoup de gens demandent : « Est-ce que ça fait mal quand on reçoit un coup ? » Et pas vraiment. On a quelques ecchymoses, mais c’est un des sports les plus sécuritaires.

Une autre chose à laquelle j’ai pensé : avec mon arme, le fleuret, ce n’est pas parce qu’on touche en premier qu’on obtient le point. C’est aussi une chose courante que les gens ne comprennent pas forcément quand ils regardent de l’escrime pour la première fois.

Eleanor Harvey pendant un combat.
Eleanor Harvey du Canada affronte Lee Kiefer des États-Unis en finale individuelle de fleuret féminin lors des Jeux panaméricains de Santiago 2023, le lundi 30 octobre 2023. Photo par Darren Calabrese/COC.

As-tu un moment préféré en tant que partisane d’escrime ?

Un moment qui ressort toujours pour moi est celui d’avoir vu ma coéquipière, Jessica Guo, remporter les Championnats du monde juniors. Je n’étais pas là en personne parce que j’étais trop âgée, mais je reste toujours éveillée toute la nuit pour regarder la compétition quand elle est en action.

Elle est triple championne du monde aux niveaux cadet et junior, et voir une Canadienne remporter un titre de Championnats du monde, c’est inédit. Même si elle est plus jeune que moi, et je pense qu’elle a probablement grandi en me regardant plus souvent, nous sommes coéquipières maintenant, alors la voir remporter un Championnat du monde, c’était vraiment génial.

Je suis certaine que ta conquête d’une médaille à Paris est un moment important qui restera gravé dans la mémoire de nombreux jeunes escrimeurs canadiens. Quand j’ai parlé à Cassie Sharpe, médaillée olympique canadienne en ski demi-lune, elle m’a dit qu’elle voulait inscrire sa fille à l’escrime après avoir regardé ta compétition à Paris 2024 !

C’est trop spécial! Nous avons besoin d’enfants qui sont de bons athlètes !

Tu entraînes de jeunes escrimeurs. Comment trouves-tu cette expérience ?

J’aime beaucoup travailler avec les enfants. C’est vraiment amusant d’apprendre à connaître des jeunes et de trouver différentes façons de tisser des liens avec eux. C’est ce qui m’inquiétait un peu en quittant Calgary, où j’ai été entraîneure ces quatre dernières années, pour venir ici. À Calgary, j’avais de bonnes relations avec tous les enfants. J’avais l’impression d’être l’une des raisons pour lesquelles ils aimaient venir pratiquer l’escrime.

À mon arrivée ici, je savais que c’était un nouveau groupe d’enfants, donc il m’a fallu un peu de temps pour atteindre ce niveau. Maintenant, je suis très satisfaite de l’influence que j’ai exercée au club, en animant un cours pour les tout petits. Je n’avais jamais travaillé avec des enfants aussi jeunes auparavant, mais j’aime vraiment ça. C’est plus facile, d’une certaine manière, car l’accent est moins sur des choses spécifiques à l’escrime, et plus sur une bonne énergie, le plaisir et la participation.

Quant aux enfants plus âgés, je ne suis pas leur entraîneure personnelle, je ne leur dis pas exactement quoi faire, mais je participe à leurs cours. Je m’efforce vraiment de les connaître individuellement et de devenir une ressource pour eux s’ils ont des questions sur l’escrime. Ou, s’ils sont moins compétitifs et qu’ils aiment simplement l’escrime, juste pour le sport, je veux quand même contribuer positivement à leur expérience au club d’escrime.

Tu es aussi un modèle au sein de ton équipe. Y a-t-il des conseils que tu as donnés à tes coéquipiers plus jeunes ?

Je pense que ce ne sont pas nécessairement des mots qui ont été prononcés de manière explicite. En tant que doyenne et athlète la plus expérimentée de l’équipe, j’exerce incontestablement une influence plus grande sur la culture de l’équipe. J’ai remarqué quand de nouveaux escrimeurs se joignent à l’équipe, ils cherchent à voir comment je vais réagir dans telle ou telle situation.

Aussi, dans les épreuves par équipes, quand nous combattons tous ensemble, quelle énergie voulons-nous voir sur le banc parmi ceux qui ne concourent pas? De quoi parlons-nous entre les combats?

L’ambiance que nous avons instaurée est vraiment saine et positive. Entre les combats et même pendant les combats, nous avons réalisé que nous sommes une équipe qui aime garder l’ambiance un peu plus légère, plus amusante. Nous avons cependant vraiment eu de nombreux moments où nous avons su déployer l’intensité nécessaire dans les moments les plus importants.

Je pense que si nous avons toute notre équipe et que nous sommes capables de trouver ces moments et de trouver cette énergie, je pense que nous formons un groupe qui peut être une menace pour n’importe quelle autre équipe dans le monde.

Eleanor Harvey d'Équipe Canada célèbre avec Yunjia Zhang et Jessica Guo.
Eleanor Harvey d’Équipe Canada célèbre avec Yunjia Zhang et Jessica Guo alors qu’elle participe à l’épreuve féminine de fleuret par équipe contre la France lors des Jeux olympiques de Paris 2024, en France, le jeudi 1er août 2024. Photo de Mark Blinch/COC.

Qu’as-tu appris depuis le début de ta carrière ?

Cette saison, c’était la première fois que je remportais une médaille d’or en Coupe du monde dans la catégorie senior. J’ai réalisé que je pratiquais l’escrime depuis 20 ans et que je participais à des étapes de la Coupe du monde senior depuis 15 ans. Il m’a donc fallu 15 ans de compétition pour enfin en remporter une.

Je pense que c’est un bon message pour beaucoup de jeunes athlètes qui se remettent peut-être en question. J’ai vécu tellement de moments où je me disais vraiment : « Oh, j’étais bonne avant, et maintenant je ne le suis plus. » Ça arrive encore et encore, du moins dans mon cas, et je pense que ça arrive à beaucoup de gens, mais pour une raison ou une autre, j’ai persévéré et j’ai réussi à gagner une Coupe du monde.

Je pense donc qu’il est normal de se remettre en question et d’avoir des hauts et des bas. Cependant, quand vous y consacrez du temps, et pas seulement cela, mais que vous vous placez réellement dans un environnement où vous pouvez avoir du plaisir dans votre entraînement quotidien, je pense que cela augmente vraiment les chances qu’éventuellement, quelque chose de vraiment bien puisse se produire.

Questions en rafales avec Eleanor Harvey

Un ou une athlète que tu admires ?

Sherraine Schalm.

Des rituels ou des routines avant une compétition ?

Je fais beaucoup d’étirements. Mon entraîneur se moque toujours de moi, car il dit que j’ai l’air d’une vieille dame qui s’échauffe pour un cours de Zumba ou quelque chose comme ça. J’aime me sentir détendue !

J’ai aussi une obsession : lacer et relacer mes chaussures jusqu’à ce qu’elles soient parfaitement égales. Je déteste avoir l’impression qu’une chaussure est plus serrée que l’autre. Ça m’agace vraiment. Alors parfois, je me surprends à les lacer quatre fois avant le combat, comme un tic nerveux.

Si tu n’étais pas une escrimeuse, quel sport pratiquerais-tu ?

Je pense que j’aimerais quelque chose comme le badminton. Ou peut-être un autre sport de combat, comme le taekwondo.

Quelle est la meilleure représentation de l’escrime dans la culture populaire ?

Il y en a eu des bonnes de la Corée! Il y avait une série télévisée dont le personnage principal était une sabreuse de l’équipe nationale, et c’était probablement la meilleure que j’aie jamais vue.

Quand on voit de l’escrime dans des séries américaines, c’est généralement assez mauvais. Et ils utilisent même des termes que je n’avais jamais entendus! Dans Brooklyn 99, un des personnages pratiquait l’escrime et il disait des mots comme « redopio ». Par exemple : « Oh, je t’ai eu avec mon redopio ! »

Une amie qui a vu cet épisode et s’est demandée : « Qu’est-ce que signifie le mot redopio? » Je lui ai répondu : « Je n’avais jamais entendu ça ». Je crois qu’ils ont aussi fait dire au personnage : « Oh, je suis le roi du croisé! ». « Croisé » est en fait un terme d’escrime. Alors maintenant, mon amie m’appelle simplement la reine du croisé.

Cette équipe de scénaristes a probablement juste cherché sur Google « terminologie de l’escrime ».

Honnêtement, je ne suis pas très douée avec la terminologie. J’utilise quatre parades principales, et j’en confonds encore deux. Mon entraîneur me dit : « D’accord, parade sept! » et j’exécute la parade huit à la place [rires].

Harvey et d’autres membres de l’équipe nationale de fleuret participeront à la Coupe du monde d’escrime qui se déroulera du 1er au 4 mai 2025 à Vancouver.