Le Conte de deux sœurs en route vers Paris 2024
La campagne d’une durée de six ans de deux sœurs canadiennes qui font de la voile dans le but de se retrouver aux Jeux de Paris 2024 a eu un effet bénéfique inattendu : elles se sont rapprochées plus que jamais auparavant.
Au mois de mars dernier, Georgia et Antonia Lewin-LaFrance, de Chester en Nouvelle-Écosse, ont eu droit à un bon coup de vent dans les voiles quand elles se sont qualifiées pour représenter Équipe Canada aux Jeux olympiques. Puis, les sœurs ont fait quelque chose qui ne leur venait pas du tout naturellement après avoir pris la huitième place aux Championnats du monde de 49er FX 2024 en Espagne.
« Nous nous sommes enlacées plusieurs fois. C’est drôle de s’enlacer quand tu portes du matériel de voile parce que tu portes tout cet équipement, des vestes de sauvetage et des combinaisons. On se sent comme un gros ballon dirigeable », déclare Antonia.
Elles avaient de la difficulté à croire ce qu’elles venaient d’accomplir à la suite d’une campagne de six ans pour se rendre jusqu’aux Jeux olympiques de Paris 2024. Mais surtout, elles n’arrivaient pas à croire qu’elles s’enlaçaient comme elles le faisaient.
« C’est drôle parce que plus jeunes, nous n’étions pas si proches que ça. Nous n’étions pas les meilleures amies du monde, comme certaines sœurs le sont », affirme Georgia.
Toute personne qui a des frères ou des sœurs peut sans doute comprendre. Les liens du sang sont plus forts que tout, dit l’adage, mais il est tout aussi vrai que les rapports au sein d’une fratrie sont souvent complexes. Certains membres d’une même famille sont les meilleurs des amis, tandis que d’autres n’ont pas des rapports très étroits — et, dans le pire des cas, certains ne s’adressent même plus la parole. D’autres se trouvent quelque part entre les deux.
Les rapports au sein d’une fratrie peuvent se compliquer en raison de petites choses dans l’enfance et l’adolescence, comme en se disputant pour l’utilisation de la salle de bain ou de l’eau chaude, ou pour des questions plus importantes comme la place qu’on occupe au sein de la famille, le favoritisme des parents ou bien la rivalité fraternelle, tout simplement.
Pour bien comprendre le chemin que les deux sœurs ont parcouru dans leurs rapports entre elles, il faut remonter au tout début, avant qu’elles décident de faire de la voile ensemble en 2018.
Georgia, qui a maintenant 24 ans, a su dès l’enfance qu’elle voulait participer aux Jeux olympiques, soit aussitôt qu’elle a commencé à faire de la voile au Chester Yacht Club en Nouvelle-Écosse.
Elle voulait suivre les traces de sa sœur aînée Antonia, qui est aujourd’hui âgée de 26 ans.
« J’étais assez vieille pour commencer à faire de la voile et Georgia était encore trop jeune. Ma mère m’a récemment raconté que si j’allais faire de la voile, Georgia était jalouse », explique Antonia.
Jeunes filles, elles sont toutes deux devenues des passionnées de la voile, mais elles ont pris le large dans des directions différentes. Les sœurs ont toutes deux affiché des résultats honorables à l’échelle internationale chez les jeunes, mais séparément. Georgia disputait des compétitions dans des embarcations à deux, tandis qu’Antonia préférait les monoplaces.
Il y a six ans, quand Georgia a commencé à envisager sérieusement la possibilité d’aller aux Jeux olympiques et qu’elle se cherchait une nouvelle partenaire pour faire partie de son équipage, elle s’est tournée vers sa sœur.
« Antonia était clairement l’option la plus sérieuse parce que je savais que peu importe ce qui allait arriver, nous allions toutes les deux batailler pour faire en sorte que ça fonctionne », déclare Georgia.
Un problème important se posait cependant. Antonia était étudiante universitaire à son année préparatoire en médecine à l’époque, et bien qu’elle ne l’avait pas encore vraiment exprimé en tant que tel, elle en avait fini avec la voile.
« J’ai dit que je prenais un peu de recul, mais dans les faits j’avais décidé d’abandonner », dit Antonia.
« Je pense qu’à ma deuxième année d’université ou quelque chose comme ça, Georgia avait besoin d’un membre d’équipage en vue d’une compétition quelconque. Je pense que c’étaient les championnats nationaux américains. Je m’étais dit à l’époque que je n’avais jamais été membre d’un équipage, alors ça allait être quelque chose d’intéressant. Au bout du compte, ç’a été quelque chose de formidable. »
Antonia a décidé d’y aller d’un dernier tour de piste. Pour Georgia, cela signifiait qu’elle naviguerait en compagnie d’une personne qu’elle connaissait mieux que quiconque.
« Nous avions chacune suivi notre propre parcours chez les jeunes. Antonia avait obtenu de très bons résultats chez les jeunes. Je trouvais qu’il était important d’avoir quelqu’un en qui je croyais et en qui j’avais confiance. Je voulais vraiment aller aux Jeux olympiques et avoir du succès », explique-t-elle.
Quand les sœurs ont commencé à faire de la voile ensemble, des problèmes de longue date sont toutefois revenus sur le tapis, indique Georgia.
« Si vous nous voyiez en personne, vous constateriez vite que nos personnalités sont à l’opposé l’une de l’autre. Quand nous avons commencé à nous entraîner ensemble, nous avons un peu réalisé à quel point nous étions différentes. Dans mon cas, j’ai clairement une personnalité de type A. »
Antonia interrompt en disant, « Tu ne peux pas dire ça, moi aussi j’ai une personnalité de type A. C’est juste que tu es super organisée et un cas limite de personne perfectionniste. »
On ne peut pas dire que les eaux ont été calmes dans les premières années de leur campagne olympique. Elles disent que c’est seulement l’an dernier qu’elles ont commencé à trouver la bonne manière de faire pour éviter de s’arc-bouter l’une contre l’autre.
C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’elles ont commencé à travailler avec une travailleuse sociale certifiée.
« Parce que nous sommes des sœurs, nous avions de la difficulté à faire en sorte que nos personnalités s’harmonisent. Dans un tel contexte, il y a bien plus de frontières qui sont floues », déclare Georgia.
Antonia ajoute, « Il y a eu des disputes, de grosses disputes. Nous avions besoin de quelqu’un pour nous aider dans nos rapports. Elle était presque comme une conseillère matrimoniale. Ç’a changé la donne. »
Georgia affirme que la travailleuse sociale les a amenées à voir de quelles façons leurs personnalités étaient différentes et les a aidées à comprendre pourquoi l’une pouvait voir les choses d’une façon et l’autre sœur, d’une autre.
Antonia déclare que la travailleuse sociale les a amenées à réfléchir sur les problèmes qui sont d’abord apparus durant leur enfance.
« [Quand nous étions des enfants] Georgia a voulu me frapper et j’ai réagi comme ça (elle lève les mains au-dessus de sa tête pour se protéger), ce qui fait que Georgia a frappé mon coude et s’est fait mal. Georgia a commencé à pleurer et je me suis fait gronder. J’avais beaucoup de colère profonde en lien avec des situations comme celle-là. »
Georgia affirme que la travailleuse sociale les a aidées à accepter leurs rôles, ainsi qu’à faire la distinction entre les moments où il fallait agir en coéquipières et ceux où elles pouvaient être des sœurs, tout en sachant quand il était acceptable d’être les deux à la fois.
« Dans notre embarcation, je suis à toutes fins utiles la capitaine, en ce sens que quand vient le temps de dire quelque chose, c’est moi qui ai le dernier mot. Cependant, nous avons aussi eu des problèmes parce qu’Antonia est évidemment la sœur aînée et dans une relation normale, c’est la sœur la plus âgée qui a souvent le dernier mot. »
« Toutes les équipes de voile se disputent, souligne Antonia. Ils mentent s’ils disent qu’ils ne se disputent jamais. C’est juste que dans notre cas, ça arrivait plus souvent et c’était peut-être plus compliqué. »
C’est pourquoi finir au huitième rang en Espagne, et se rapprocher ainsi d’une place à Paris, s’est avéré un moment inoubliable pour Antonia.
« Je n’avais jamais vu Georgia exprimer ses émotions de cette façon. Elle est habituellement plutôt stoïque. »
« Je ne suis pas tellement expressive d’habitude », renchérit Georgia en hochant la tête.
« Au moment de franchir la ligne d’arrivée, elle riait et pleurait en même temps. J’étais sous le choc. Ça m’a pris quelques secondes pour réaliser que je pleurais moi aussi », raconte Antonia.
À ce moment-là, Georgia pensait au fait que ce résultat était une façon de remercier toutes les personnes qui avaient cru en elles et les avaient soutenues. Elle a commencé à penser à tous les hauts et les bas qu’elles avaient vécus sur leur parcours et elle n’a jamais cessé de sourire dans les jours qui ont suivi.
« Je ne m’étais jamais sentie aussi heureuse de ma vie. J’étais fière de moi, mais tout aussi fière d’Antonia », dit-elle.
Antonia déclare de son côté: « C’était un sentiment irréel de réaliser que nous avions réussi, mais aussi que nous étions maintenant les personnes les plus importantes au monde l’une pour l’autre. »
À Paris 2024, les deux sœurs veulent s’assurer que si elles ne décrochent pas un bon résultat, ce ne sera pas en raison des rapports entre elles. Elles veulent être sur la même longueur d’onde, un facteur qui a mené à des tensions dans leurs rapports par moments.
« Plus tôt dans notre campagne, j’ai réalisé que je n’étais jamais vraiment capable de rester détendue quand j’étais avec Georgia, du moins de la façon dont tu peux l’être avec quelqu’un de vraiment proche. Je parierais que c’était la même chose pour Georgia », avance Antonia.
« Maintenant, la dynamique est différente et je peux être complètement ouverte et franche avec Georgia. Le niveau de stress que ça m’enlève est énorme. C’est comme un poids qui a été enlevé de mes épaules, un poids que je ne savais même pas qu’il existait. »
Ce sentiment de rapprochement est quelque chose que les deux sœurs espèrent pouvoir embouteiller et apporter avec elles à Paris 2024 et même après.