Antoine Valois-Fortier : Une préparation unique vers des JO dans la Mecque du judo
Le judoka québécois Antoine Valois-Fortier se dirigeait à pleine vapeur vers ses troisièmes Jeux olympiques… jusqu’en février, à cause de vous savez quoi.
Sa saison fructueuse, pendant laquelle il a notamment décroché une troisième place aux Championnats du monde, a pris fin trois mois d’avance — mettant l’obtention de son billet olympique sur pause.
Il y a quelques semaines, l’équipe canadienne de judo a repris l’entraînement en Alberta dans une formule bien spéciale. Le médaillé de bronze de Londres 2012 raconte son retour sur le tatami et donne sa perspective unique sur ce qui pourrait l’attendre l’an prochain : le plus grand rendez-vous sportif au monde, dans la Mecque du judo.
L’arrêt a été assez brusque. Je m’en souviens très bien, parce que c’était la journée de ma fête, le 13 mars. On ne se doutait pas à ce moment-là que ça allait être une pause aussi importante mais, sur le coup, on s’est dit : « Ah, une petite pause, ça va être le fun, ça va faire du bien. » Mais plus le temps passait, plus on se rendait compte de l’importance de la situation.
Vous savez, le judo, c’est un sport individuel. Mais on a vécu ça en équipe. On a essayé de garder contact en groupe le plus possible, autant avec l’équipe de Judo Canada qu’entre partenaires d’entraînement et athlètes. On essayait de garder le moral et de se concentrer sur ce qu’on pouvait contrôler pour passer au travers de tout ça.
L’annonce du Comité olympique canadien [de ne pas participer aux Jeux s’ils se tenaient à l’été 2020], puis l’annonce du report des Jeux, ç’a été plusieurs journées… mon dieu, en montagnes russes. À presque toutes les heures, on avait une nouvelle majeure qui sortait à ce sujet.
Quand Équipe Canada a fait son annonce, j’étais fier que le Canada prenne les devants avec une décision qui semblait de plus en plus logique. Mais c’est certain que dans mon petit moi-même, j’étais un peu stressé, je me disais « d’un coup que les Jeux ont quand même lieu ».
Puis, quand les Jeux ont été reportés officiellement, ç’a été d’un côté un soulagement, d’un autre côté une petite frustration : j’en ai plus de fait dans ma carrière qu’il m’en reste à faire, donc j’aurais aimé que les Jeux soient tenus cet été. J’étais prêt, j’avais eu une bonne saison, tout allait bien en vue d’une qualification olympique. La dernière compétition a eu lieu en février, et la période de qualification pour les Jeux se terminait en mai… Alors aujourd’hui, aucun judoka ne peut dire qu’il ou elle est officiellement qualifié-e.
C’est un peu agaçant. On reste sur le qui-vive, sans savoir la suite des choses. Je pense que c’est ça, le plus dur. Mais malgré ma déception et ma frustration, je sais que c’était la bonne chose à faire, puisque la situation dépasse de beaucoup le monde du sport.
Au moins, le confinement a plutôt bien été, même s’il y a eu des hauts et des bas de motivation. Il n’y avait pas beaucoup de bonnes nouvelles qui sortaient. C’était important de comprendre et de relativiser un peu, de réaliser qu’aussi difficile que ç’a pu être pour nous, on l’a quand même eu « facile ».
On est restés en contact avec toute l’équipe. Judo Canada a organisé quelques petites activités pour nous garder connectés… et sains d’esprit. Du côté de l’entraînement, on faisait tous avec les moyens du bord, en se débrouillant du mieux qu’on pouvait. Je n’ai pas fait d’entraînement spécifique au judo, plutôt de la préparation physique générale, des poids et haltères, et de la course à pied avec mon chien (qui m’en veut encore, je pense!).
Et puis finalement, on a repris l’entraînement au début juillet. Je connais assez bien Nicolas Gill, le directeur de la haute performance chez Judo Canada; aussitôt qu’il fait face à l’adversité, il trouve des solutions. Donc je me doutais qu’il regardait ses options, mais le retour s’est opéré très rapidement!
9 autres judokas, une nutritionniste, un préparateur physique, notre entraîneur et moi sommes donc partis pour Lethbridge, en Alberta. Trois semaines là-bas, une semaine ici à Montréal, puis encore trois semaines en Alberta. C’était trippant de se retrouver sur le tapis de judo, de refaire du judo, surtout en gang. Ç’a été assez difficile, mais ça revient rapidement.
Et en plus, Judo Canada a créé un bel environnement, la fameuse petite « bulle », pour nous permettre de reprendre le judo : on habite dans un hôtel, on mange dans une pièce séparée à laquelle personne d’autre n’a accès, on est les seuls au dojo, on lave tout avant et après les entraînements… C’est super le fun, on ne pourrait pas demander mieux. On a attendu tellement de semaines pour pouvoir retourner sur le tatami!
Les compétitions devraient reprendre en septembre, mais j’ai hâte de voir si ça va vraiment se réaliser. Les choses changent vite, et c’est le plus gros défi pour toute la planète en ce moment. On a mille et une questions, et aucune réponse. Mais on se prépare pour retourner à la compétition en septembre, et on fait tout ce qui est en notre pouvoir pour que ce soit un retour sécuritaire.
Je me fais souvent demander ces temps-ci si je suis inquiet par rapport aux Jeux olympiques l’année prochaine. Chaque athlète se le fait beaucoup demander dans les médias, et je pense que la réponse, c’est pas mal toujours un peu la même : ça évolue tellement rapidement… Alors on se concentre sur ce qu’on a à faire, on y va une journée à la fois, puis on se prépare pour des Jeux à l’été 2021. Et je suis confiant que dans un an, on sera en mesure de bien performer malgré tout ce qui sera arrivé.
Surtout avec l’ampleur, la tradition et l’excitation qui entourent une compétition de judo à Tokyo.
Le judo est né au Japon. Il a fait son entrée au programme olympique aux Jeux de 1964, à Tokyo, et les Japonais ont beaucoup à coeur la tradition — l’an prochain, la compétition olympique de judo va se dérouler dans le même bâtiment où cette discipline a connu ses premiers Jeux, le Nippon Budokan (qu’on peut qualifier de Mecque du judo).
Le judo est un des sports les plus médiatisés et les plus importants là-bas. Très souvent, le Japon accueille les Championnats du monde. Participer à cette compétition-là, c’est vraiment, vraiment, vraiment hot. Mais là, les Jeux olympiques, on dirait que je ne peux même pas m’imaginer à quel point ça va être fou : les spectateurs connaissent leur judo, ils sont super attentifs, il y a des banderoles de judo partout dans la ville, c’est très rare qu’on voit ça. Nous, on peut juste en être heureux, et ça génère encore plus d’excitation chez les athlètes.
Ça va être trippant.
Antoine Valois-Fortier est médaillé de bronze des Jeux olympiques de Londres 2012 en judo. Il évolue chez les -81 kg et occupe actuellement le 5e rang mondial dans cette catégorie de poids.