Le slopestyle sera-t-il le «Breaking Bad» de Sotchi 2014?
Au début, il s’agissait d’enfreindre les règles. Plus on bravait la culture traditionnelle des pentes de ski, plus on s’amusait. Mais à présent que ce sont des disciplines olympiques officielles, il faudra améliorer la performance selon les règles.
Le slopestyle fait son entrée officielle.
« Ces disciplines offrent un spectacle amusant à regarder et ajoutent un air de jeunesse à notre programme de sports olympiques d’hiver déjà bien rempli », déclare le président du CIO, Jacques Rogge, au sujet de l’inclusion du surf des neiges et du ski acrobatique slopestyle au programme des Jeux de 2014.
Bien sûr, il est possible de présenter un sport dans un contexte nouveau, mais cela en modifiera-t-il l’essence?
Comme le recommande Heisenberg, le protagoniste télévisé préféré de la série Breaking Bad : « Si vous ne me connaissez pas, je vous suggère fortement de procéder avec circonspection ».
À voir: Qu’ont en commun le slopestyle et la série télévisée #BreakingBad?
Le slopestyle nouveau genre
Deux ans seulement se sont écoulés depuis que le CIO a annoncé, le 4 juillet 2011, que le slopestyle (ski et surf des neiges) ferait ses débuts olympiques aux Jeux d’hiver de 2014.
Le CIO veut vraiment rajeunir les Jeux. C’est pourquoi l’adoption de la demi-lune et du slopestyle aux Jeux olympiques a été accélérée, explique le juge de freestyle suédois Simon « Simba » Tjernström, qui sera à Sotchi pour juger la première épreuve olympique de slopestyle.
Du même coup, « on peut se demander si ces sports respectent les exigences olympiques, en ce qui concerne les athlètes, la parité des sexes et les pays participants », dit-il.
Toutefois, ce fulgurant taux de croissance ne laisse pas beaucoup de place au débat.
« C’est tellement fou de faire partie de quelque chose qui a progressé de manière incroyable en si peu de temps », affirme la triple médaillée des X Games et championne du monde de surf des neiges slopestyle Spencer O’Brien de Courtenay, C.-B. « Juste à voir l’évolution des sites, on peut constater que le slopestyle a connu quelques années emballantes. Nous allons assister à une progression rapide. »
Une épreuve teintée de rouge et de blanc
Le Canada est le premier pays à avoir lancé sa propre équipe nationale de slopestyle, le 24 août 2011, tirant ainsi parti d’une grande expérience en ski acrobatique.
Selon le Centre canadien multisport, le ski acrobatique est l’un des trois plus grands producteurs de médailles sportives de la nation. Depuis l’introduction des bosses et des sauts comme sports de démonstration aux Jeux olympiques d’hiver de Calgary en 1988, les athlètes canadiens de ski acrobatique ont remporté 12 médailles olympiques.
Les Jeux olympiques d’hiver de 2010 ont été un événement teinté de rouge et de blanc, le Canada ayant récolté le plus grand nombre de médailles d’or que tout autre pays.
À voir: : Première partie – Un adieu aux Jeux olympiques tels qu’on les connaît
Deuxième partie – Rebelles, revendicateurs et boute-en-train olympiques
Le succès canadien a pris son envol avec le skieur de bosses québécois Alexandre Bilodeau qui a remporté la première médaille d’or olympique du pays en sol canadien (aucun Canadien n’a remporté l’or à Calgary en 1988 ou aux Jeux olympiques de 1976 à Montréal). En tout, le Canada a remporté deux médailles d’or en ski acrobatique (Alexandre Bilodeau et Ashleigh McIvor, en ski cross féminin) et une d’argent (Jennifer Heil, ski de bosses féminin).
Pourtant, le professeur agrégé Scott Martyn ne croit pas pour l’instant que le Canadien moyen est tout à fait prêt à prendre ces nouveaux sports olympiques à cœur.
« Les Canadiens ont tendance à être aveuglés par le hockey », dit-il. « À juste titre puisque nous avons souvent une équipe en lice pour une médaille, autant chez les hommes que chez les femmes. »
M. Martyn estime que le changement des générations renversera cette tendance puisque les plus jeunes sont plus portés sur les sports extrêmes parce qu’ils ont grandi avec eux.
Prenons l’exemple de la lutte féminine, dit-il. « Vous ne demandez pas à un groupe d’hommes grisonnants de se débarrasser d’une épreuve masculine pour faire place à une épreuve féminine. »
La lutte féminine a tenu bon, grâce à une nouvelle génération et à une forte pression extérieure.
« Nous sommes dans la même situation en ce moment », ajoute-t-il.
Saut périlleux
« À l’heure actuelle, les hommes et les femmes concourent sur les mêmes pistes, mais à l’avenir, il est possible que les skieuses de slopestyle aient besoin de plus petits sauts pour exceller rapidement dans leur sport », fait remarquer Emma Dahlström, la Suédoise de 19 ans et reine du ski slopestyle.
« En ce moment, nous effectuons de très grands sauts et c’est malheureusement pourquoi le risque de blessures est si élevé », ajoute Dahlström.
Cependant, il faut prendre des risques pour repousser ses limites.
Nous n’avons qu’à penser à Mark McMorris, de Regina, qui a atteint des sommets inespérés dans un sport qui évolue à la vitesse de l’éclair.
En l’occurrence, le surf des neiges.
« J’ai rencontré Mark lorsqu’il avait 16 ou 17 ans; il avait déniché quelques commanditaires. Personne ne le connaissait, mais il était tellement bon », affirme Spencer O’Brien. « À le voir ainsi réussir trois triples corks, c’est à se demander comment il a pu progresser ainsi en quelques années? Il devait toujours repousser les limites. Je crois que le slopestyle masculin sera l’une des épreuves les plus emballantes des Jeux olympiques. »
Mais le juge de ski acrobatique Simon Tjernström s’inquiète un peu à propos de la saison prochaine, tandis qu’il se souvient du nombre élevé de blessures survenues l’an passé, surtout chez les femmes. « Un grand nombre de jeunes participent aux compétitions, ce qui se traduit parfois par un manque de jugement, en particulier pendant la période qui précède les Jeux olympiques », dit-il.
Crise de croissance
Le ski slopestyle a été confronté à certains défis de croissance dans ses efforts pour s’adapter aux nouvelles épreuves et aux règles de sécurité mises en place par la Fédération internationale de ski (FIS) à l’aube des Jeux olympiques.
En avril dernier, le CIO et la FIS ont proposé l’idée d’utiliser des juges « hybrides » qui pourraient juger à la fois les épreuves de ski acrobatique et de surf des neiges. Cette décision, destinée à réduire les coûts et à améliorer l’efficacité des épreuves, a été assez mal reçue par les athlètes, et la proposition a été retirée en raison de protestations massives.
L’histoire semble se répéter, aux dires de Simon Tjernström.
Il cite à titre d’exemple l’expression libre (ou hot dogging), c.-à-d. des gens qui se mettent spontanément à effectuer des sauts en ski et qui s’amusent comme des fous. « La FIS a ensuite ajouté l’épreuve des bosses qui, à mes yeux et à ceux de plusieurs, a ruiné le sport. »
Selon lui, ces innombrables règles font que c’est la perfection et non l’expression individuelle qui devient l’objectif à atteindre, retirant ainsi tout le plaisir du sport.
« Les skieurs veulent participer aux Jeux olympiques parce que c’est une compétition de haut niveau, et de nombreux skieurs plus âgés voient les Jeux olympiques comme un événement d’une incroyable importance. Mais quelle est l’incidence sur le sport », s’interroge Simon Tjernström. « Vous laissez à une autre personne, qui n’a aucune passion pour le sport et qui n’a qu’une vision à court terme, le soin de prendre des décisions à propos de votre sport. »
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Une médaille d’or olympique, bien sûr. C’est bien là le point essentiel.
Les épreuves de surf des neiges slopestyle auront lieu à compter du 7 février, et les épreuves de ski à compter du 11 février.