Une pionnière dans la lutte : Rencontrez Ohenewa Akuffo, lutteuse olympique

Ohenewa Akuffo fera ses débuts olympiques cet été au sein de l’équipe canadienne de lutte. Elle nous trace ici un portrait de ce sport, qui, pour les femmes, a pendant longtemps tiré de l’arrière par rapport aux autres sports. En résumé, Akuffo a grandi en même temps que la lutte féminine.

Vous avez commencé lutte au secondaire – qu’est-ce qui vous y a mené?

Il y avait une grève du zèle à mon école secondaire, et je m’étais promis d’essayer le premier sport qui serait offert après cela. Et ce fut la lutte; je me suis dit que je ne pourrais pas y arriver. Mais je ne suis pas une lâcheuse. J’ai essayé encore en 9e année, et ce fut mentalement et physiquement dur. Je me disais que je voulais persévérer et arriver à le maîtriser. Quinze ans plus tard, j’ai réalisé qu’on ne peut maîtriser ce sport, on peut seulement s’améliorer. La force mentale et physique est toujours nécessaire. Lorsque vous devenez bonne dans un aspect, l’autre semble suivre.

Décrivez vos premières expériences dans l’équipe de lutte de l’école secondaire.

Lorsque j’ai commencé, je ne savais pas ce que c’était. J’étais intriguée, c’était un sport de contact mais qui nécessitait plusieurs compétences, et il fallait vraiment être forte. Il faut savoir gérer les déceptions en lutte. C’est à la fois un sport d’équipe et un sport individuel, et j’aimais ça. Vous avez une équipe, mais le jour du combat, vous serez seule sur le tapis. Je trouvais cela intéressant et différent des autres sports.

Dans les équipes scolaires et dans le club de lutte, qu’est-ce qui a contribué à votre développement? Combien d’heures par semaine aviez-vous consacrées à l’entraînement?

La lutte est physiquement exigeante, et on doit lui consacrer beaucoup de temps. À l’école secondaire, c’est le sport qui avait le plus long calendrier. Vous commenciez en septembre et vous terminiez en mars. Vous avez votre équipe scolaire, mais aussi votre club. J’ai également pratiqué le judo en vue de m’améliorer en lutte. Donc, je ne faisais pas uniquement de la lutte, je m’adonnais également au judo! La lutte est un sport exigeant, et ce, dès le début. Il faut être vraiment dévoué.

Vous étiez la plus jeune de l’équipe nationale senior – qu’est-ce que cela signifie pour vous? Quelle importance cela revêt-il sur le plan personnel?

C’est à ce moment que j’ai réalisé que je pouvais apporter quelque chose au sport. Je ne savais rien des Championnats nationaux seniors et des Championnats du monde lorsque j’étais au secondaire. J’ai participé à un camp d’entraînement universitaire, et l’entraîneur m’a remarquée (a été impressionné) et m’a dit que je devrais participer aux Championnats nationaux seniors. Il a aussi dit qu’il ne fallait que personne ne me connaisse avant cela (pour garder le secret). Pour moi, ce fut ce qui m’a permis de réaliser que mes talents étaient spéciaux.

Il semble que vous ayez grandi en même temps que la lutte féminine acquérait (lentement) ses lettres de noblesse en Ontario. Cela fait-il de vous une pionnière?

Je suis honorée de savoir que je suis une pionnière dans le sport. Il y a plusieurs choses que les lutteuses ont aujourd’hui que nous n’avions jamais eues. Je pense à ce que je peux faire pour la prochaine génération d’athlètes féminines en lutte pour qu’elles aient un modèle et pour qu’elles soient à même de dire : « Moi aussi, je peux le faire ». C’est un honneur pour moi de participer à mes premiers Jeux olympiques.

Vous aviez déjà dit que les lutteuses féminines avaient dû « lutter » pour tout ce qu’elles avaient obtenu.

Nous étions des pionnières, alors à nos débuts, nous devions faire nos preuves pour obtenir tout ce que nous avions. Pas seulement pour les tapis, mais également en ce qui concerne les tournois internationaux. C’était l’époque où nous essayions de faire admettre ce sport au programme olympique. Aussi, aux Championnats du monde, il fallait travailler fort pour présenter le sport et pour montrer qu’il était digne des Jeux olympiques. J’ai eu la chance de participer aux premiers Jeux panaméricains (en lutte féminine). Pour chaque « première » (du sport), il fallait montrer qu’il était plus que temps d’avoir notre place. Il fallait prouver que nous méritions depuis longtemps notre place et que les organisateurs étaient chanceux de compter sur nous. Nous devions toujours faire de notre mieux.

Comment le Ghana a-t-il influencé votre carrière en lutte? (Akuffo, dont les parents sont originaires du Ghana, y a vécu de l’âge de trois ans à l’âge de huit ans.)

Je pense que c’est la lutte qui vous choisit et que ce n’est pas vous qui choisissez ce sport. Il faut avoir certaines qualités pour rester dans ce sport. Je suis chanceuse d’avoir été choisie par la lutte. Vous devez aussi avoir de la personnalité. Mon succès en lutte vient du fait que je n’ai jamais abandonné. Même si je fais une contre-performance, je n’abandonne pas. C’est une qualité que m’a apportée le Ghana, car j’ai pu voir une autre culture où les gens ne tiennent rien pour acquis. Ils n’ont pas les mêmes commodités que nous, mais ils profitent de tout ce qu’ils ont. En ce qui me concerne, j’ai remporté quelques championnats nationaux, et je ne les ai jamais tenus pour acquis. Chaque participation était pour moi ma première fois. On ne sait jamais. C’est ce que m’ont apporté le Ghana et le fait d’avoir pu voir un monde différent.

Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce sport et qui vous a poussé à vous y adonner aussi longtemps?

La lutte est comme un jeu d’échec où vous utilisez votre esprit et votre corps. Elle me fascine, car à chaque action correspond une réaction, et vous devez toujours être sur vos gardes. Cela vous maintient en état d’alerte; j’aime ce jeu où vous devez toujours connaître vos manœuvres. Si vous en faites une mauvaise, mais que vous vous corrigez et que vous persévérez, le jeu ne s’arrête pas.

Décrivez votre entraînement, particulièrement à l’approche de tournois d’envergure comme les Jeux olympiques?

La préparation pour les Jeux olympiques est un parcours de 15 ans. Je m’y prends plus précisément par cycle de quatre ans. Depuis les derniers essais olympiques, j’ai examiné mes points forts et mes points faibles. À l’approche des Jeux de Beijing, mon plan s’articule autour de la discipline, la nutrition, la préparation physique. L’aspect mental compte également pour beaucoup – c’est ce qui a fait la différence pour moi. C’est du travail! Même en dehors du tapis, c’est la moitié du travail. Vous devez vous préparer, scruter vos adversaires. Mais vous devez également rester concentrée. Les Jeux olympiques représentent une expérience exceptionnelle, mais à la fin, vous devez retourner à la vraie vie. Vous devez également équilibrer votre vie.

Décrivez votre personnalité sur le tapis… et en dehors du tapis.

Je suis très concentrée. Je suis une force avec laquelle il faut compter. C’est une occasion de démontrer mes capacités, et pour moi, c’est sérieux. C’est vraiment une démonstration de mes habiletés et du temps consacré par mes entraîneurs et mes partenaires d’entraînement pour m’aider à réaliser mon rêve. C’est le moment où le dur labeur porte ses fruits. En dehors dut tapis, je profite de tout et je vis le moment présent.

À quoi pensez-vous alors que vous vous apprêtez à faire vos débuts sur la scène olympique?

Je pense que je vais tout donner sur ce tapis et profiter de chaque instant. Cela fait 15 ans que je m’y prépare. C’est tout un voyage et j’ai eu l’occasion d’apprendre à me connaître.