(AP Photo/Mark Baker)
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Quinze ans après, Joannie Rochette revient sur son acte de bravoure qui lui a valu le bronze à Vancouver 2010

« D’un côté, c’est comme si c’était hier. Mais en même temps, je réalise à quel point beaucoup de temps s’est écoulé depuis ».

Effectivement, cela fait déjà 15 ans que Joannie Rochette s’est retrouvée au cœur d’une des histoires les plus touchantes dans l’histoire des Jeux olympiques à l’occasion de Vancouver 2010. Alors qu’elle cherchait le dénouement parfait à une carrière sportive qui en était à son apothéose, elle vivait en même temps un événement incroyablement grave, si bien que l’aplomb qu’elle a affiché sur la glace dans ces circonstances a été tout à fait remarquable.

« À Vancouver, c’est certain que ç’a été un moment difficile pour moi. Il y a eu plusieurs grands moments avec l’Équipe canadienne, mais perdre ma mère deux jours seulement avant ma compétition, ç’a vraiment jeté un froid sur tout. Cela dit, j’ai eu la chance d’être au Canada, entourée de gens qui tenaient à moi. Malgré tout, j’ai encore de bons souvenirs », a indiqué Rochette en janvier, peu après son intronisation au Temple de la renommée de Patinage Canada.

« Nous avons célébré le 10e anniversaire avec tous les athlètes [en 2020] et ç’a été un baume pour le cœur parce que j’ai pu parler de ce moment-là dans un état d’esprit plus serein ».

Au moment où la compétition de patinage artistique allait commencer durant la deuxième semaine de Vancouver 2010, Équipe Canada dans son ensemble connaissait des succès sans précédent et les partisans locaux ne se gênaient pas pour afficher leur fierté toute canadienne.

À ses deuxièmes Jeux olympiques, Rochette était considérée d’emblée comme un fort espoir de médaille pour le pays hôte. Après tout, elle était la médaillée d’argent en titre des Championnats du monde. Elle avait par ailleurs la réputation d’être une patineuse capable de réaliser des éléments techniques difficiles tout en faisant preuve d’un sens artistique que les partisans et les juges aimaient.

Cependant, ce que Rochette envisageait comme scénario a changé à jamais quand, tôt le matin du 21 février 2010, son père Normand a dû lui annoncer une nouvelle déchirante. Sa mère Thérèse était décédée subitement après avoir subi une crise cardiaque quelques heures seulement après son arrivée à Vancouver. Elle n’avait que 55 ans.

C’est arrivé deux jours seulement avant que Rochette doive se retrouver sur la patinoire pour le programme court chez les femmes.

La patineuse artistique Joannie Rochette, à gauche, discute avec son entraîneur Manon Perron, du Canada, de sa routine lors d’une séance d’entraînement aux Jeux olympiques de 2010 à Vancouver, en Colombie-Britannique, le dimanche 21 février 2010. (AP Photo/Mark Baker)

Bien soutenue par son entraîneure de longue date Manon Perron, Rochette s’est présentée à une séance d’entraînement officielle cet après-midi-là, avec l’intention d’accomplir la mission qu’elle s’était donnée en vue de Vancouver, même si c’était dans un contexte auquel il est tout à fait impossible de se préparer.

Quarante-huit heures plus tard, Rochette s’est présentée devant des gradins remplis au Pacific Coliseum. Les plus de 15 000 partisans qui étaient sur place n’ont même pas attendu qu’on prononce son nom au micro pour lui faire savoir, avec leurs cris et leurs applaudissements, qu’ils étaient derrière elle.

Après avoir tapé dans les mains de Perron, comme elle le faisait toujours, Rochette a pris sa place au centre de la patinoire. Dans les quelques secondes qui ont précédé le début de la musique, on aurait pu entendre une mouche voler. Tout le monde pensait à la même chose : comment allait-elle performer devant une planète entière qui la regardait vivre son deuil?

La réponse : de façon impeccable.

Chez plusieurs d’entre nous, les images et les sons de ce programme court ont marqué notre esprit à jamais. Le rugissement de la foule quand Rochette a complété sa combinaison triple-triple pour commencer son programme. Tout le monde qui tapait des mains en cadence avec sa musique de tango dont le rythme accélérait de plus de plus. La confiance qu’elle a affichée dans la façon d’exécuter tous ses éléments. Le sourire qu’elle avait à sa dernière pose et qui a vite disparu quand ses émotions ont pris le dessus. Les larmes qui coulaient pendant qu’elle s’inclinait devant la foule et, ensuite, ses sanglots au moment d’aller enlacer Perron à la sortie de la patinoire.

Son pointage n’allait en rien changer la façon dont nous allions nous souvenir de son courage et de sa performance. Les juges ont toutefois reconnu ce qu’elle venait d’accomplir en lui accordant un record personnel, ce qui lui procurait le troisième rang en prévision du programme libre qui allait avoir lieu deux jours plus tard.

Il s’avère que ce fut là sa dernière performance dans un cadre compétitif et il ne fait aucun doute que sa mère en aurait été très fière. Rochette a envoyé un baiser au ciel au moment de quitter la patinoire, pour ensuite apprendre qu’elle allait être une médaillée de bronze olympique.

Quinze ans plus tard, Rochette a reconnu à quel point le temps peut être quelque chose d’étrange.

« Quand j’ai vu la courte vidéo pour l’intronisation, aujourd’hui, ç’a ramené tellement de beaux souvenirs avec Manon. C’est comme si, chaque fois que je reviens dans le monde du patinage artistique, je vois les mêmes visages. Rien n’a changé, nous nous donnons un câlin et c’est comme si le temps s’est figé ».

Cependant, bien des choses ont changé pour Rochette, qui a fait ses études en médecine à l’Université McGill en 2020 et est maintenant inscrite dans un programme de résidence en anesthésiologie à l’Université de Montréal.

« J’ai commencé une autre carrière, je vis une autre vie, mais c’est toujours agréable de revenir, de réfléchir à tout ce qu’on a accompli, et de savourer tout ça ».

La Canadienne Joannie Rochette, médaillée de bronze, serre son père Normand dans ses bras après la cérémonie de remise des médailles en patinage artistique féminin, le jeudi 25 février 2010, aux Jeux olympiques d’hiver de 2010 à Vancouver. LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson

À titre d’athlète qui a vécu les hauts et les bas qui peuvent survenir aux Jeux olympiques, Rochette offre le conseil suivant à ceux et celles qui espèrent se retrouver à Milano Cortina 2026 dans un an.

« Je me souviens de mes premiers Jeux; je me sentais comme une enfant dans un magasin de bonbons. C’était tellement emballant. J’espère qu’ils pourront savourer l’expérience et être tout simplement heureux d’être là. Parce que oui, il y a toujours la pression pour obtenir de bons résultats et réaliser une bonne performance, mais au-delà de ça, ils doivent se souvenir pourquoi ils ont commencé à patiner, pourquoi aiment-ils leur sport?

« Ils ne doivent pas perdre cette étincelle, cette passion qui les a amenés à entreprendre ce parcours au départ. C’est facile de se laisser emporter par la pression d’une année olympique, mais la clé, c’est de rester dans le moment présent et de vivre pleinement cette aventure. C’est ce que je leur souhaite du fond du cœur ».