THE CANADIAN PRESS/Jeff McIntosh
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Du tremplin de plongeon à la piste de bobsleigh : le parcours particulier de Yohan Eskrick-Parkinson vers la glissade

Le bobsleigh est reconnu comme un sport qui cherche à grossir ses rangs avec des athlètes qui ont d’abord pratiqué d’autres sports. Souvent, ceux-ci proviennent de disciplines comme le rugby, le football ou l’athlétisme, qui ont en commun avec le bobsleigh plusieurs aptitudes qu’il faut avoir pour ce sport de glisse, comme la capacité de pousser et de sprinter.

Le parcours qui a mené Yohan Eskrick-Parkinson vers l’équipe nationale canadienne de bobsleigh a toutefois été plus inhabituel encore, lui qui s’est d’abord retrouvé sur un tremplin de plongeon et a gravi plusieurs des échelons que ce sport avait à offrir. C’est une simple observation de Lascelles Brown, détenteur de deux médailles olympiques au bobsleigh, qui a changé la trajectoire que prenait la carrière sportive d’Eskrick-Parkinson.

Quelques mois seulement après qu’il eut pris place dans un tobbogan pour la première fois, Eskrick-Parkinson a été nommé pour faire partie de l’équipe nationale, pour pousser le bobsleigh derrière le pilote et athlète olympique des Jeux de Beijing 2022 Taylor Austin. Après deux épreuves sur le circuit de développement de la Coupe nord-américaine en novembre, Eskrick-Parkinson a été promu dans les grandes ligues, lui qui a fait ses débuts à la Coupe du monde en janvier.

Olympique.ca s’est entretenu avec Eskrick-Parkinson à mi-chemin de sa première saison sur le circuit de la Coupe du monde IBSF pour savoir dans quelle mesure il réussit à s’adapter après être passé de la finesse requise au plongeon à la puissance brute du bobsleigh, et quels sont les avantages que lui procurent ses antécédents sportifs particuliers.

Dans quelles circonstances as-tu commencé à pratiquer ce sport?

J’ai commencé à faire du plongeon quand j’avais à peu près sept ans. En fait, on m’a demandé d’en faire parce que je n’avais pas le vertige! J’étais au Lindsay Park Centre à Calgary, où ils ont un bassin de plongeon. Je sautais de la plateforme quand un entraîneur m’a vu et m’a dit, « Hé, tu devrais l’essayer! » J’ai fait quelques camps d’été et j’ai tout simplement continué par la suite.

Quels sont les principaux faits saillants de ta carrière au plongeon?

Je dirais que la première grande étape pour moi a été à la fin de l’école secondaire, quand j’ai eu l’occasion d’aller faire du plongeon à l’Université Northwestern à Chicago. Ils ont une équipe de Division I [de la NCAA] et ç’a été formidable de pouvoir passer quatre ans là-bas.

Au départ, je m’attendais à devoir aller directement dans le monde du travail une fois mes études terminées, et prendre ma retraite du plongeon. À peu près à mi-chemin de mes études universitaires cependant, un de mes entraîneurs m’a dit, ‘Tu sais, si tu peux, tu devrais continuer — le plafond est encore haut ». Il s’avère que j’ai eu l’occasion de plonger pour Équipe Jamaïque.

Yohan Eskrick-Parkinson participe à l’épreuve de plongeon sur le tremplin de 3 m aux Jeux panaméricains de Santiago du Chili, le lundi 23 octobre 2023. (AP Photo/Esteban Felix)

Tout de suite après l’université, j’ai commencé à m’entraîner avec [le plongeur jamaïcain] Yona Knight-Wisdom. Nous sommes allés aux Jeux panaméricains, aux Jeux d’Amérique Centrale et des Caraïbes ainsi qu’à deux Championnats du monde [aquatiques] et à plusieurs Coupes du monde ensemble. Je pense que notre meilleur classement dans l’épreuve du 3 m synchro, ç’a été une 13e place aux Mondiaux [2024], ce qui est formidable. Jamais je n’aurais pensé pouvoir dire que je serais à ce niveau-là dans le monde pour quelque activité que ce soit.

Au Qatar, aux derniers Championnats du monde, nous sommes venus à cinq places de nous qualifier pour les Jeux olympiques. C’était donc serré. C’était vraiment spécial d’avoir eu la possibilité de batailler pour ça.

Dans quelles circonstances s’est fait le passage vers le bobsleigh?

Je me suis entraîné en Écosse au cours des dernières années de mon parcours au plongeon, mais quand je retournais à Calgary l’été, j’avais un entraîneur en musculation qui était en ancien bobeur, Lascelles Brown. Un jour que je m’entraînais avec lui, je me souviens que je m’exerçais à faire des sauts dans un escalier. J’ai sauté à une hauteur de huit marches à peu près sans élan et Lascelles m’a regardé et m’a dit, « Tu sais, tu devrais peut-être essayer le bobsleigh ».

C’était il y a deux ans environ. Ensuite, quand j’ai pris ma retraite du plongeon, je l’ai contacté et  j’ai commencé à pratiquer le bobsleigh en juillet.

Comment ça s’est passé quand tu as essayé de faire du bobsleigh pour la première fois?

Quand nous avons commencé pendant l’été, le seul endroit où je pouvais m’entraîner était la Ice House à Calgary. Il y a une rampe qui descend, puis qui remonte et, en tant que freineur, c’était tout simplement ça mon boulot; c’est tout ce que j’avais besoin de faire pour m’entraîner, en fait. Alors j’ai fait ça pendant cinq mois environ. Je trouvais ça plutôt emballant.

Ils vous lancent tout simplement dans la mêlée. Je me suis présenté et Melissa Lotholz, qui est actuellement [pilote] dans l’équipe [nationale] en ce moment, elle était l’entraîneure à ce moment-là — je ne savais pas que j’allais être son coéquipier deux mois plus tard! C’est elle qui me disait comment faire, alors elle me disait des choses comme, « Voilà, tout ce que tu dois faire, c’est que tu dois pousser ceci et ensuite y prendre place comme ceci ». J’ai alors pensé, « OK, je suis capable de faire ça ». Tout ce qu’il te faut, ce sont les qualités athlétiques brutes pour sauter à bord de quelque chose qui va très vite.

La première fois que j’ai dévalé [une piste officielle], c’était en octobre, à Whistler, et c’est la première fois que j’ai ressenti les forces centrifuges et les virages. C’est à ce moment-là que je me suis dit, « C’est fou tout ça! »

Quelles sont les aptitudes que tu avais développées au plongeon qui te semblent utiles pour le bobsleigh? Et quels sont les éléments qui te semblent tout à fait nouveaux?

Je pense que dans mon cas, la phase de transition avait quelque chose d’intéressant parce que j’avais des antécédents différents de la plupart des autres athlètes qui faisaient leurs débuts au bobsleigh cette année. Plusieurs des athlètes sont des joueurs de football ou de baseball, ou proviennent de sports où il faut courir.

[Au plongeon], c’est plutôt axé sur les sauts, alors j’ai cette puissance explosive, mais ce qui est différent, c’est de comprendre la technique qu’il faut avoir pour sprinter sur la glace et pousser le bob. Alors je mets beaucoup l’accent là-dessus, je travaille fort à cet égard.

Un aspect qui a été plutôt facile, c’est la capacité à exploiter les fibres rapides des muscles. C’est ce qui m’a permis d’être bon au plongeon. Je voulais sauter le plus haut possible sur le tremplin parce que ça impressionnait les juges. Maintenant, au bobsleigh, j’espère que ça va paraître dans les poussées.

Que penses-tu de ta saison jusqu’ici, maintenant que tu as eu l’occasion de disputer des courses de la Coupe du monde?

Au moment de m’entraîner en prévision des courses, j’étais bien conscient du fait que le niveau de compétition allait être très élevé. Nous parlons ici de gens qui pratiquent ce sport depuis des années tandis que moi, j’en suis à mes débuts. C’était donc, évidemment, un défi difficile à relever d’essayer de suivre le rythme de tout ce monde-là. Cependant, j’apprends très vite et c’est comme un baptême de feu.

C’est intéressant d’être considéré comme un négligé dans ce contexte, compte tenu que je sais déjà ce qu’il est nécessaire de faire mentalement dans un cadre compétitif — je sais comment gérer la pression. Toutefois, mettre ça en pratique dans ce sport représente aussi quelque chose de différent, n’est-ce pas? Le plongeon, c’est un processus très contrôlé et réfléchi, tandis qu’au bobsleigh, tu dois y aller juste en pensant au fait que tu dois faire avancer le bob le plus rapidement possible. C’est une question de force physique à 100 %. Si j’y allais à 100 % en force et en puissance au plongeon, je raterais mon plongeon, parce que ce n’est pas ça la façon de faire. Alors le fait de pouvoir me concentrer juste là-dessus, c’est vraiment spécial.

Yohan Eskrick-Parkinson met un casque avant de s’entraîner à Calgary, vendredi 25 octobre 2024.THE CANADIAN PRESS/Jeff McIntosh

Quels sont tes objectifs d’ici la fin de la saison, et ensuite pour la période d’entraînement qui aura lieu en prévision de la saison suivante?

Un objectif important pour moi pour ce qui reste de la présente saison, c’est de chercher à tirer profit de toutes les occasions que je vais avoir de pousser, à tout donner à chaque fois.

J’espère vraiment pouvoir participer aux Championnats du monde. J’adorerais pouvoir me retrouver en piste à ce moment-là. Je trouve que ce serait vraiment formidable d’y aller coup sur coup avec les Championnats du monde d’un sport d’été, puis ceux d’un sport d’hiver, d’être présent à ce niveau-là, et d’avoir un avant-goût de ce que ça pourrait être comme sensation de se retrouver aux Jeux olympiques l’an prochain, si je suis en mesure de me qualifier.

Une fois la saison terminée, peu importe comment ça se passe, je vais retourner chez moi pour m’entraîner au printemps et tout reprendre à zéro. Je veux travailler sur chacun des éléments de base.

À quoi ressemble la dynamique d’équipe? Tu as participé à des épreuves de synchro, alors la présence d’une dynamique de sport d’équipe n’est rien de nouveau pour toi, mais à quel égard est-ce différent au bobsleigh?

Je pense que c’est la nature du sport, mais le niveau d’énergie est beaucoup plus élevé [au bobsleigh]. Nous nous motivons les uns les autres, il y a beaucoup d’intensité au moment de se préparer pour une course. Au plongeon, tu veux que l’ambiance soit un peu plus calme et contrôlée, tout en restant forte.

Le programme est quelque peu en reconstruction en ce moment, et c’est sans doute pourquoi nous avons tous ces nouveaux athlètes qui se sont amenés et ont profité de l’occasion. Maintenant, il reste à voir où tout ça pourra nous mener. Je trouve ça spécial, parce que ça veut dire que dans deux ans, ou peut-être que dans six ans, certains d’entre nous serons en mesure de dire, « Regardez tout le chemin que nous avons parcouru! »

En rafale avec Yohan Eskrick-Parkinson

Quel athlète admires-tu?

J’admire beaucoup Yona Knight-Wisdom, mon coéquipier [au plongeon]. C’est un athlète très intelligent dans la façon dont il s’entraîne. J’ai vécu et je me suis entraîné avec lui pendant deux ans, alors j’ai vraiment appris à bien le connaître et je l’admire beaucoup. Il y a bien des choses qu’il m’a dites qui me sont restées et je réalise qu’elles m’interpellent de plus en plus au fil du temps, au moment où je continue de pratiquer un sport de haut niveau.

Je veux aussi mentionner mes mentors du programme et en dehors du programme [de bobsleigh] qui nous aident. Le bobsleigh a connu une histoire plutôt folle au Canada, plusieurs des bobeurs sont encore impliqués, ou du moins, ils sont encore disponibles pour prodiguer des conseils — Lascelles Brown, Jesse Lumsden, Neville [Wright]. Tous ces gens-là ont énormément aidé en nous faisant des recommandations ici et là quand ils le peuvent.

Ton plus beau souvenir au bobsleigh jusqu’ici?

Oh, probablement ma première descente! Ma première à Whistler, c’était fou parce que c’est la piste la plus rapide au monde. Alors tu te dis qu’au moins, ce ne sera jamais pire que ça!

Je me souviens d’avoir sauté dans le bob et de m’être dit, « OK, c’est correct. C’est cahoteux. » Ensuite, je me suis dit, « Un instant… ça va devenir pas mal plus fou que, n’est-ce pas? » Virage un, virage deux, ça allait en s’accélérant, et j’ai ri aux éclats — j’ai vraiment hurlé de rire — et Taylor [Austin], mon pilote, je pense que je l’ai déconcentré un peu. Il m’a dit qu’il n’avait jamais entendu quelqu’un rire.

As-tu un rituel ou une routine d’avant-course?

Un élément vraiment important, c’est la visualisation. Ça occupait une place très importante au plongeon. Tu t’apprêtes à faire quelque chose qui dure une seconde et demie seulement, mais un plongeon nécessite quelque chose comme 1000 mouvements, alors il faut que tu ralentisses tout ça dans ta tête, que tu sois attentif à tes sensations et que tu visualises le tout. Chaque jour que je suis à la piste pour glisser, j’en fais avant d’y aller. Aussi, de la musique pour me mettre dans l’ambiance et avoir le niveau d’énergie nécessaire pour performer!