Alannah Yip sur le mur d'escalade.Thomas Skrlj/COC
Thomas Skrlj/COC

La grimpeuse Alannah Yip parle de résolution de problème sur le mur et hors compétition, et comment les rêves deviennent des objectifs

Alannah Yip et son sport adoré, l’escalade sportive, ont tous les deux fait leurs débuts olympiques à Tokyo 2020

Yip, de même que son coéquipier et ami de longue date Sean McColl, ont alors été les premiers athlètes olympiques du Canada en escalade sportive. Yip a pris la 14e place de l’épreuve féminine du combiné.

Depuis ce temps, elle a connu des hauts et des bas, à la fois sur le mur d’escalade et en dehors du sport. Elle a réussi à passer à travers une saison difficile sur le circuit de la Coupe du monde en 2023, et elle a ensuite réalisé une grande performance qui lui a valu la médaille de bronze aux Jeux panaméricains de Santiago 2023. Tandis que loin des murs d’escalade, Yip a dû composer avec un diagnostic d’alopécie au mois de décembre dernier.

L’athlète de 30 ans a cherché à tirer les enseignements qui s’imposaient à la suite de toutes ces expériences qu’elle a vécues et à s’en servir pour informer sa prise de décision en route vers les Jeux olympiques de Paris 2024.

Les Séries de qualification olympique (OQS), qui mettront de l’avant l’escalade sportive de même que le breaking, le BMX freestyle et le skateboard, se mettront en branle du 16 au 19 mai à Shanghai, en Chine, et seront suivies d’une autre compétition du 20 au 23 juin à Budapest, en Hongrie. Par l’entremise de ces Séries de qualification olympique, 10 places de quota seront attribuées pour chacun des genres au combiné bloc et difficulté tandis que cinq places de quota seront accordées pour chacun des genres en escalade de vitesse. 

Nous avons discuté avec Yip avant la première compétition des Séries de qualification olympique pour connaître sa façon de voir les choses dans sa quête d’une participation à ses deuxièmes Jeux olympiques et pour savoir quelles sont les leçons qu’elle a retenues depuis Tokyo 2020.

O.ca : Parle-nous un peu de l’année dernière, notamment de ton expérience à Santiago et le fait d’avoir remporté la médaille de bronze. Dans l’ensemble, comment évalues-tu ton année 2023?

A. Y. : L’année 2023 n’a assurément pas été ma meilleure sur le plan des performances. Après les Jeux olympiques de Tokyo, j’ai eu de la difficulté à retrouver ma confiance sur les murs et dans les compétitions. Bien que j’aie fait de mon mieux pour bien me préparer en vue de la saison 2023 de la Coupe du monde, je pense que je n’en ai pas fait assez. Je n’en ai surtout pas fait assez au niveau de l’aspect mental.

Je suis quand même parvenue à trouver mon rythme au moment d’arriver à Santiago, ma préparation pour cette compétition s’est vraiment bien passée. J’avais commencé à travailler avec un nouveau psychologue du sport et il commençait à y avoir une vraie bonne chimie entre nous, ce qui fait que les choses sur lesquelles nous avions travaillé se sont avérées des outils dont j’ai pu me servir au cours de cette compétition. J’ai eu un camp d’entraînement fantastique avant, j’ai appris tellement de choses pendant cette période que j’ai pu entreprendre les Jeux panaméricains avec un niveau très élevé de concentration, j’étais vraiment dans le moment présent et j’ai pu savourer le fait d’être là.

J’ai aussi été capable de réaliser ce qui a probablement été ma meilleure performance depuis ma compétition de qualification olympique à [Los Angeles] au début de l’année 2020.

Alannah Yip sur un mur d'escalade pendant une épreuve de difficulté.
Alannah Yip participe au segment de difficulté de la finale de l’épreuve féminine de bloc et difficulté aux Jeux panaméricains de Santiago 2023, le mardi 24 octobre 2023. Photo de Thomas Skrlj/COC

O.ca : As-tu été en mesure d’identifier ce qui a mené à ta baisse de confiance?

A. Y. : Je pense que cette baisse de confiance avait plusieurs causes. C’est sûr que j’ai vécu ce qu’on appelle « le blues post-olympique » pendant un bon bout de temps. Je pense que de changer l’équipe qui m’entourait, mes entraîneurs et le personnel de soutien, a été un élément important dans ma capacité à m’en sortir. 

En fait, je travaille actuellement avec mon petit frère pour mon entraînement musculaire. Il a un diplôme en activité physique et en ce moment il fait une maîtrise en préparation physique.

O.ca : Le blues post-olympique est quelque chose de bien réel, même pour ceux et celles qui travaillent en coulisses. C’est une énorme dose d’adrénaline et ensuite, tout à coup c’est fini. Ça te fait dire, ‘attendez un instant, il n’y a vraiment plus rien maintenant?’

A. Y. : Ouais, ç’a été plutôt fou comme expérience. Il y a tellement de choses qui se passent à l’approche des Jeux, il y a beaucoup de battage publicitaire et médiatique et tout ça. Puis, dès la seconde où tu redescends de ta dernière escalade, c’est terminé et tu dois retourner à la maison. Ç’a été brusque et c’est difficile à gérer. 

O.ca : Tu te sens mieux maintenant?

A. Y. : Aucun doute. J’ai l’impression d’avoir de plus en plus le vent dans les voiles et Santiago a été une expérience formidable pour moi. J’étais tellement brûlée à la suite de ma saison que j’ai failli ne pas aller à Santiago. Je suis tellement contente toutefois de l’avoir fait parce que la période de préparation qu’il y a eu avant a été fantastique; ça m’a mise dans d’excellentes dispositions mentalement et physiquement. 

L’expérience que j’ai vécue là-bas était comme l’expérience olympique que je n’avais pas eu l’occasion de vivre à Tokyo. J’ai pu faire connaissance avec d’autres athlètes, j’ai pu passer du temps avec mon équipe. [En escalade] nous ne passons jamais beaucoup de temps ensemble sur la route, chacun fait plus ou moins sa petite affaire. Alors le fait d’être là en tant qu’équipe unifiée et d’avoir cette sensation de faire partie de quelque chose de plus grand, de faire partie d’Équipe Canada, c’était incroyable.

Je me nourris encore de cette énergie en ce moment et je suis extrêmement motivée à l’idée de m’entraîner et de bien performer à l’occasion des prochaines compétitions de qualification olympique.

Trois athlètes sur le podium de Santiago 2023.
Alannah Yip gagne la médaille de bronze à l’épreuve féminine de bloc et difficulté aux Jeux panaméricains de Santiago 2023, le mardi 24 octobre 2023. Photo Thomas Skrlj/COC

O.ca : On parle ici des Séries de qualification olympique qui s’en viennent.

A. Y. : Oui. L’escalade est un des sports au programme des Séries de qualification olympique, qui sont organisées par le CIO. Ce sera l’événement de qualification olympique pour 50 pour cent des athlètes en lice en escalade, en skateboard, en breaking et en BMX [freestyle].

O.ca : On a modifié le format de compétition alors qu’on a fait de l’escalade de vitesse une discipline distincte. Est-ce la formule que tu préfères, d’avoir seulement le combiné bloc et difficulté, ou aimais-tu le fait de devoir intégrer l’élément de vitesse?

A. Y. : Je suis très contente qu’ils aient décidé de faire de la vitesse une autre discipline, pour différentes raisons. Je pense que c’est très bon pour la croissance de notre sport. Il va maintenant y avoir 28 athlètes de plus aux Jeux olympiques. C’est passé de seulement 20 par genre au combiné et voilà qu’on va en avoir 14 de plus [par genre] en vitesse. Alors c’est une avancée, il va avoir une épreuve médaillée de plus. Ça nous met sur la bonne voie pour la suite. 

Il y a aussi le fait que séparer l’escalade de vitesse du reste fait tout simplement du sens. L’escalade de vitesse est, à la base, un différent type de sport que le bloc et difficulté. Ça ressemble beaucoup plus à de l’athlétisme puisqu’en gros, c’est un sprint à la verticale. Tandis que le bloc et difficulté sont davantage une question de résolution de problème, où chaque ascension et chaque ronde de compétition te met face à quelque chose de nouveau. Ton défi, c’est de déterminer quelle est la meilleure façon, pour toi personnellement, de gravir le mur et ensuite, de mettre tout ça à exécution. 

Alannah Yip grimpe un mur de la compétition de bloc.
Alannah Yip participe au segment de blocs de la finale féminines de l’épreuve de bloc et difficulté lors des Jeux panaméricains de Santiago 2023, le mardi 24 octobre 2023. Photo par Thomas Skrlj/COC

O.ca : Si quelqu’un regarde une compétition d’escalade pour la première fois et te voit au combiné bloc et difficulté, quel conseil lui offrirais-tu?

A. Y. : Tu surveilles la personne qui, de façon générale, se retrouve le plus haut sur le tracé de difficulté et sur les blocs. Il y a trois occasions de récolter des points aux blocs. Il y a en quelque sorte deux endroits au fil du parcours où tu obtiens cinq points et 10 points, et ensuite le sommet, où tu obtiens 25 points. C’est donc basé sur un pointage cumulatif où les points s’additionnent en cours d’épreuve. 

À mon avis, ce qu’il faut surtout surveiller — et ce sont les moments que je préfère dans ce sport — c’est quand il y a une ascension et que deux grimpeurs ou plus choisissent des tracés complètement différents. Je trouve que ce sont là les moments les plus emballants et magiques dans notre sport parce que ça montre qu’il n’y a pas une seule vraie façon de faire quelque chose. Il s’agit de trouver ce qui est la bonne façon de faire pour toi. Un problème donné peut avoir plusieurs solutions.

O.ca : Quel aspect de l’escalade sportive aimerais-tu que les gens connaissent mieux

A. Y. : La même chose, je dirais. J’aimerais que les gens comprennent que nous ne répétons pas des tracés qui sont identiques d’une fois à l’autre. Il faut s’entraîner à faire tous les différents types de mouvement possibles, parce que s’ils nous présentent quelque chose de complètement nouveau aux Jeux olympiques, ou à n’importe quelle compétition, il faut être capable d’identifier quel type de mouvement il est nécessaire de faire et, espérons-le, être capable de le faire.

Bref, nous n’avons jamais vu ces parcours. Nous n’avons pas la possibilité de regarder d’autres grimpeurs les gravir. Aux blocs, dans les demi-finales, dans le cas de certains formats de compétition du moins, nous ne pouvons même pas discuter avec d’autres gens pour avoir une idée de ce à quoi ça ressemble. Il y a juste le mur et toi, et j’adore ça.

Alannah Yip sur un mur de bloc.
La grimpeuse canadienne Alannah Yip participe aux qualifications de l’épreuve féminine de bloc en escalade sportive aux Jeux olympiques de Tokyo 2020, le mercredi 4 août 2021. Photo par Andrew Lahodynskyj /COC

O.ca : Es-tu déjà allée à Paris?

A. Y. : Oui, à quelques reprises.

O.ca : Quels sont tes souvenirs les plus marquants?

A. Y. : Il y a notamment la première fois où j’y suis allée avec ma famille, en simples touristes, quand j’avais 11 ans. Mon père et moi avions partagé une crêpe aux bananes devant la tour Eiffel. Que c’était emblématique! Je suis certaine que la crêpe était tout à fait hors de prix, mais c’est un très beau souvenir. 

Les Championnats du monde d’escalade de 2016 ont eu lieu à Paris et j’en étais alors à ma première année sur le circuit de la Coupe du monde. On venait d’annoncer que l’escalade allait faire partie du programme des Jeux olympiques de Tokyo 2020. 

Quand j’ai commencé à faire de l’escalade, les Jeux olympiques n’étaient pas une possibilité, ce n’était même pas près d’être une possibilité. L’escalade, c’était pour les enfants bizarres qui n’étaient pas capables de jouer au soccer. La plupart d’entre nous étaient en quelque sorte des « cancres » de sports dits « normaux ». Alors nous nous sommes tournés vers autre chose, nous nous sommes tournés vers l’escalade. 

J’ai réalisé une très bonne performance à cette compétition, alors au cours de cette semaine-là j’ai réalisé que j’étais peut-être capable d’aller aux Jeux olympiques. Ç’a été un moment décisif.

Alannah Yip s'entraîne sur un mur d'escalade.
Alannah Yip s’entraîne à l’anneau olympique de Richmond, C.-B., le vendredi 19 mars 2021. (Photo: Christopher Morris/COC)

O.ca : Tu dis que tu étais l’enfant qui a échoué dans les autres sports. Cependant, si tu n’étais pas une athlète olympique en escalade sportive et que tu pouvais choisir de participer aux Jeux olympiques dans un autre sport, de quel sport s’agirait-il?

A. Y. : Aurais-je les habiletés qu’il faut pour exceller dans cet autre sport ou serais-je obligée de me débrouiller avec mes habiletés médiocres?

O.ca : N’importe quel sport où tu aimerais exceller.

A. Y. : Alors je dirais le ski acrobatique ou le ski cross. Je pense qu’à Vancouver 2010, c’était la première fois qu’il y avait du ski cross et j’étais là. J’avais 16 ans à ce moment-là et ce sport-là me captivait beaucoup. Ça n’a pas fait de tort non plus que nous ayons gagné beaucoup de médailles.

J’étais à la cérémonie d’ouverture à Vancouver [comme spectatrice] et ç’a été un moment charnière pour moi. On sait à quel point la cérémonie d’ouverture peut être longue… Je n’ai pas bougé de tout le défilé des athlètes! J’étais tellement fascinée, juste à imaginer comment ce serait de marcher dans le stade pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques comme représentante de mon pays.

Malheureusement, je n’ai pas pu faire ça à Tokyo, mais peut-être à Paris!

O.ca : À ce moment-là en 2010, ton sport était encore à six ans de devenir un sport olympique! Il semble que tu rêvais d’une cérémonie qui, pour toi à l’époque, était inaccessible.

A. Y. : Oui, absolument. À l’époque, c’était un rêve, pas un objectif. Ce sont deux choses différentes dans ma tête. Un rêve, c’est quelque chose qui n’est pas réaliste, qui n’est pas faisable, et un objectif est quelque chose qui l’est. Donc, c’était tout à fait un rêve que j’avais à ce moment-là.

O.ca : Alors, à quel moment s’est fait le changement d’optique dans ta tête? Y a-t-il eu un moment où les Jeux olympiques sont devenus un objectif plutôt qu’un simple rêve?

A. Y. : C’est vraiment aux Championnats du monde de 2016 à Paris que c’est arrivé. Je pense que j’étais à l’aéroport à Chicago ou c’était pendant une escale en route vers les Championnats du monde. J’ai allumé mon téléphone et on venait d’annoncer que l’escalade allait faire partie du programme des Jeux de Tokyo 2020. J’ai trouvé que c’était plutôt sensationnel.