Montage photo de Sydney Pickrem, Katerine Savard et Marie-Sophie HarveyAP Photo/Fernando Vergara - Andrew Lahodynskyj/COC - Candice Ward/COC
AP Photo/Fernando Vergara - Andrew Lahodynskyj/COC - Candice Ward/COC

Nager, encore nager : Trois nageuses d’expérience d’Équipe Canada parlent de leur vision du sport et de la vie

Le programme canadien féminin de natation a été, ces dernières années, une puissance qui a accumulé les médailles pour le pays. Plusieurs nageuses estiment que les succès de l’équipe aux Jeux de Rio 2016 ont été un tournant décisif, mais il faut aussi souligner qu’il a fallu plusieurs années avant cela pour que l’équipe canadienne féminine de natation se dote d’une profondeur qui lui a permis de se rendre jusque-là, et que celle-ci a continué de progresser grâce au développement d’autres jeunes athlètes de talent.

Olympique.ca s’est récemment retrouvé autour d’une table avec Katerine SavardSydney Pickrem et Mary-Sophie Harvey – qui, collectivement, comptent six participations aux Jeux olympiques – en vue d’une discussion libre sur leurs carrières et leurs vies, l’état de santé de la natation canadienne ainsi que les clés de la longévité chez l’athlète.

Olympique.ca : Katerine, on a eu l’impression que tu es venue près de mettre fin à ta carrière il y a quelques années, mais tu as fini par continuer. Qu’est-ce qui te permet de rester motivée?

K. S. : J’ai pensé à la retraite en 2016, quand j’ai eu un creux de vague. J’avais l’impression de ne plus savoir quel était mon rêve. J’ai donc dû me trouver un objectif et ça m’a aidée à continuer jusqu’en 2020. Maintenant, mon rêve, c’est d’être la première nageuse canadienne chez les femmes à disputer les Jeux olympiques pour la quatrième fois!

Katerine Savard nage pendant un entraînement.
La Canadienne Katerine Savard s’entraîne au Centre aquatique de Tokyo avant les Jeux olympiques de Tokyo 2020, le 20 juillet 2021. Photo par Mark Blinch/COC

Et ça, je le fais pour moi. Je veux prouver à moi-même que je peux encore être une des meilleures nageuses au monde, même si je prends de l’âge. Ça fait à peu près 15 ans que je fais partie de l’équipe nationale et je suis toujours là!

O.ca : Qu’as-tu appris sur toi au fil des ans en faisant davantage figure de vétéran dans l’équipe? Te considères-tu comme un leader au sein du groupe?

K. S. : Je ne sais pas si je me considère comme un leader. Je trouve que mes coéquipières m’apprennent des choses tous les jours, même si elles sont plus jeunes. 

S. P. : Je pense que tu es plus un leader que tu penses l’être — surtout parce que tu participes à tellement de relais. Je crois aussi que tu l’es plus que tu le penses tout simplement parce que tu es toujours joyeuse. Nous pouvons compter sur elle. Nous savons qu’elle va toujours répondre à l’appel et faire ce qu’il y a à faire.

K. S. : Merci. Je peux parfois être vraiment dure envers moi-même.  

S. P. : Ouais, ça aussi nous le savons [rires].

M.-S. H. : Ouais, elle n’est pas du tout du genre à se vanter. 

O.ca : Vous avez toutes dû livrer différentes batailles au fil de vos carrières. Comment avez-vous fait pour passer au travers ces moments difficiles?

S. P. : Dans mon cas, ça concernait ma santé mentale. J’avais l’impression qu’il y avait Sydney la personne, Sydney la nageuse, Sydney la coéquipière, Sydney le leader. C’étaient toutes là des entités distinctes à mes yeux. 

Il y a eu une longue période où je me fichais de Sydney la personne. Mon attention était entièrement tournée vers Sydney la nageuse. Ensuite, quand ma propre santé mentale venait en conflit avec ça, j’avais l’impression de n’avoir aucune identité. Alors, pour moi, il a fallu travailler à intégrer les deux et à mettre ça à l’avant-plan, en étant consciente du fait que ce ne sont pas des entités distinctes.

Sydney Pickrem lève le bras à la fin d'une course.
Sydney Pickrem du Canada participe à la finale du 200 m brasse féminin lors des Jeux panaméricains de Santiago 2023, le lundi 23 octobre 2023. Photo par Andrew Lahodynskyj/COC

J’ai eu des moments où j’ai dû prendre un peu mes distances de la natation et prendre du recul. J’ai ressenti un fort sentiment de culpabilité parce que je ne pouvais pas être là pour mes coéquipières et mes entraîneurs, et je me disais des choses comme, « Oh, mon Dieu, ils vont me détester ». Cependant, mon thérapeute me demandait des choses comme, « Que penses-tu que tes entraîneurs vont dire si tu décides maintenant de ne pas disputer une course? Vont-ils moins t’aimer? » J’étais comme, non, bien sûr que non. C’est donc clair comme de l’eau de roche, mais à ce moment-là, je n’avais pas cette impression-là.

Je me suis vraiment entourée d’une belle équipe maintenant, qui comprend un psychologue, un psychiatre et mes entraîneurs. Si je nage vraiment bien et je suis heureuse, évidemment que c’est la combinaison parfaite. Toutefois, si je suis heureuse et que ça ne se reflète pas dans la piscine, eh bien, vous savez, je peux quand même vivre le reste de ma vie dans le bonheur.

C’est aussi un éternel combat. Quelqu’un m’a récemment demandé: « Tout ça est derrière toi maintenant? L’anxiété, la dépression? » J’ai répondu non. Tous les jours, je dois faire un petit bilan personnel. C’est un processus quotidien, mais je savoure mon cheminement plus que jamais. J’adore mon sport. Je veux être entraîneure après ma carrière d’athlète. Alors, oui, c’est tout un cheminement!

M.-S. H. : Je pense que parfois, on oublie qu’on est des êtres humains et on se voit seulement comme des athlètes qui doivent performer. On a un objectif et on pense qu’il suffit de suivre une ligne droite pour le réaliser, mais ce n’est jamais le cas. 

Personnellement au cours des dernières années, j’ai dû travailler pour retrouver l’amour que j’avais pour mon sport. J’ai une meilleure perspective des choses maintenant parce que je ne dispute pas nécessairement des courses pour les résultats, mais par amour de la natation.

Marie-Sophie Harvey enlace deux coéquipières.
Mary-Sophie Harvey du Canada célèbre avec ses coéquipières après avoir remporté la médaille d’or du relais féminin 4 x 100 m quatre nages lors des Jeux panaméricains de Santiago 2023, le mercredi 25 octobre 2023. Photo par Andrew Lahodynskyj/COC

O.ca : En jetant un regard sur qui vous étiez quand vous étiez de plus jeunes athlètes, quels conseils donneriez-vous à la version plus jeune de vous-même maintenant que vous êtes passées au travers toutes ces difficultés?

K. S. : Je dirais qu’il y a différents chemins pour se rendre jusqu’au sommet. Parfois, chez certains athlètes, on voit le chemin le plus facile ou le plus attrayant, mais il a plusieurs façons différentes d’aller jusqu’au sommet.

M.-S. H. : Ce que je dis maintenant aux enfants, c’est qu’il ne faut pas définir votre carrière en fonction des médailles. C’est plutôt le parcours qui compte. Parfois, quand on vieillit, on a tendance à accorder plus d’importance à la performance et on a tendance à oublier pourquoi on a commencé à pratiquer son sport, c’est-à-dire par amour pour ce sport. Je crois que c’est aussi une bonne chose de se rappeler constamment que tu fais ce que tu fais parce que tu adores ton sport.

Ce n’est pas seulement le principal conseil que je donne aux enfants, c’est aussi ce qui me permet de passer au travers en ce moment. Je me concentre sur l’amour que j’ai pour mon sport.

S. P. : Je fais toujours remarquer aux enfants que je ne saurais leur dire quels sont mes meilleurs chronos, ni à quels endroits je les ai réalisés tellement j’ai participé à de nombreuses compétitions. Par contre, je peux vous raconter les souvenirs que j’ai, les histoires de choses qui me sont arrivées de façon inattendue avec mes coéquipières et tout ce que nous avons vécu d’un peu fou. Ce sont ces moments-là dont je vais me souvenir, et que je vais chérir avant tout.

O.ca : Vous parlez des souvenirs que vous avez créés avec vos coéquipières et, évidemment, vous êtes toutes des athlètes expérimentées. Avez-vous un moment favori en tant que fans d’Équipe Canada, en dehors de vos propres compétitions, qui vous ont vraiment emballée?

S. P. : Oui, c’est le cas! En 2017 [aux Championnats du monde de World Aquatics], je me suis retrouvée à devoir sortir [de la piscine] pendant mon épreuve du 200 m QNI parce que je m’étouffais avec de l’eau. À ce moment-là, j’étais comme, oh mon Dieu, ce n’est tellement pas le genre de chose qui arrive. Qu’est-ce qui vient de se passer?

Cela m’a définitivement affectée plus que je l’aurais voulu. Les Mondiaux sont une longue compétition; c’est arrivé le deuxième jour et ma course suivante allait avoir lieu le huitième jour. À mi-chemin de la compétition, Kylie [Masse] avait sa finale du 100 m dos et un de mes entraîneurs m’a dit, « Tu dois y aller. Fais juste t’asseoir dans les gradins et savoure tout simplement le cheminement que cette compétition te procure ».

Alors je suis allée dans les gradins et j’ai regardé sa finale. Quand je l’ai vue établir un record du monde, j’étais comme, « Wow! C’est une de mes meilleures amies! » C’était tellement un moment privilégié et ça m’a ramenée au coeur de la compétition, alors que je m’en étais éloignée.

Des médaillées sur le podium.
La gagnante de la médaille d’or de la Hongrie, Katinka Hosszu, est entourée de la gagnante de la médaille d’argent de l’Espagne, Mireia Belmonte à gauche, et de la gagnante de la médaille de bronze du Canada, Sydney Pickrem, lors de la cérémonie de médailles du 400 m quatre nages individuel féminin aux championnats du monde World Aquatics à Budapest, en Hongrie, le dimanche 30 juillet 2017. (Photo AP/Petr David Josek)

Je ne crois pas qu’elle réalise à quel point ç’a changé les choses pour moi. J’ai ensuite gagné une médaille le huitième jour [au 400 m QNI] et si je n’avais pas vécu ce moment-là où j’ai juste savouré le fait de faire partie de l’équipe et de pratiquer mon sport, et tout ce que ça signifiait pour moi, je ne pense pas que j’aurais pu revenir à la base. Cette histoire-là, j’y pense souvent.

K. S. : Pour ma part, en 2016 [aux Jeux olympiques], la première journée de la compétition de natation, la journée que les filles ont gagné [le bronze au relais 4×100 m libre], j’étais dans les gradins. C’est la première fois que je réalisais qu’il était possible de remporter des médailles — pour les personnes avec qui je m’entraînais tous les jours. C’est un de mes moments préférés à vie. Je ne participais même pas à la course, mais le fait de voir les filles le faire a changé quelque chose dans ma tête. J’ai réalisé que si elles étaient capables de le faire, j’étais capable d’y arriver moi aussi.

M.-S. H. : Je n’étais pas à Rio, mais j’étais aux Championnats nationaux d’été à l’époque. Chaque soir, nos courses s’arrêtaient pour qu’on puisse les regarder nager. Ce qui fait qu’on les a vues remporter chacune de leurs médailles et partout autour de la piscine, les gens criaient et vous encourageaient toutes. C’était électrisant, même si on n’était pas là-bas en chair et en os. 

C’est là que tout a commencé pour l’équipe féminine en natation canadienne. Et ça se poursuit encore à ce jour.

À LIRE : Rio 2016: Début d’une nouvelle ère en natation

Des nageuses célèbrent sur le bord de la piscine.
À gauche à droite, Taylor Ruck, Brittany MacLean, Katerine Savard et Penny Oleksiak du Canada remportent la médaille de bronze du relais féminin 4 x 200 m libre lors des Jeux olympiques de Rio 2016, à Rio de Janeiro, au Brésil, le mercredi 10 août 2016. LA PRESSE CANADIENNE/Sean Kilpatrick

[Note de la rédaction : C’était la première fois en 20 ans que le Canada remportait une médaille olympique dans une épreuve de natation chez les femmes.] 

S. P. : Oui, je pense que c’est énorme ce qui est arrivé à ce moment-là. En 2014, la mentalité, c’était, « peut-être qu’on va pouvoir décrocher une médaille aux Mondiaux? » Puis, il y a eu ce changement à Rio et c’est ça qui est devenu la nouvelle normalité. D’avoir pu assister à cette transformation a été vraiment cool. C’est certain que ça nous inspire, même si c’est nous qui contribuons à ces statistiques maintenant. 

M.-S. H. : Oui! C’est cool d’en faire partie. Je vois les plus jeunes athlètes qui sont inspirés par tout ça et je pense que c’est un bon tonique pour tout le monde. Il suffit de voir aller Summer [McIntosh]! Elle est née l’année où j’ai commencé à nager, en 2006. Aujourd’hui, elle est une des meilleures au monde.

Je me souviens que sa mère m’avait dit qu’elle avait l’habitude de me regarder nager plus jeune, parce qu’on dispute les mêmes épreuves. C’est fou pour moi de voir ça maintenant parce qu’elle est quelque chose comme 20 secondes plus rapide que moi!


Savard et Pickrem participeront aux Championnats du monde de World Aquatics 2024 à Doha, au Qatar. Les épreuves de natation commenceront le 11 février et se poursuivront jusqu’au 18 février.  

Bien que les résultats n’aient aucune incidence directe en vue des Jeux olympiques, les nageurs et nageuses pourront réaliser des temps qui les rendront admissibles à une sélection au sein de l’équipe olympique. La sélection des athlètes se fera après les Essais olympiques 2024 qui auront lieu au mois de mai. Le processus de qualification olympique des pays pour les relais sera confirmé après les Championnats du monde. 

La liste complète des membres d’Équipe Canada présents à Doha se trouve ici

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