Jamie Lee Rattray : Un témoignage de persévérance
Il m’a fallu beaucoup de temps avant que je puisse aller à mes premiers Jeux olympiques.
J’avais 29 ans quand j’ai finalement pu mettre les pieds sur une patinoire olympique pour la première fois à Beijing et pu voir les anneaux partout. Je me sentais un peu à côté de mes souliers, mais je n’avais que quelques minutes à ma disposition pour savourer le moment avant de devoir commencer le boulot.
Un peu plus de deux semaines plus tard, quand la sirène a retenti et que nous avions remporté la médaille d’or, je me souviens encore de ce que j’avais ressenti à ce moment-là, cette sensation d’avoir la chair de poule partout sur mon corps. Je ne savais pas trop comment réagir ni quoi faire de mes mains ou de mes jambes.
C’était un moment plutôt surréaliste.
La déception ne me définit pas
J’avais été retenue dans les équipes pour les Championnats du monde en 2015 et 2016, ce qui était formidable puisqu’à ce moment-là, j’essayais encore de m’établir en tant qu’athlète professionnelle. Je n’ai pas beaucoup joué dans ces équipes-là, mais j’y ai gagné beaucoup d’expérience. Au début d’une période quadriennale, le but c’est toujours d’essayer d’accéder à l’équipe olympique dans la dernière année.
Cependant en 2017, je me suis mis tellement de pression sur les épaules que c’était presque trop, au point où je n’éprouvais plus de plaisir. Au lieu de me concentrer seulement sur ce que j’avais besoin de faire, je pensais à ce que tout cela représentait dans son ensemble et je ne crois pas que ça m’a beaucoup aidée dans mon développement.
Le fait de ne pas avoir été retenue au sein du groupe centralisé a été dur sur le moral et cet appel téléphonique où on m’a annoncé la décision a été un des moments les plus difficiles de ma vie. Toutefois, si on regarde les choses dans leur ensemble, c’était probablement la meilleure chose qui pouvait m’arriver.
Il m’a fallu à peu près deux semaines pour digérer le tout. Heureusement, je faisais encore partie du programme de l’équipe nationale et je savais donc qu’ils avaient assez confiance en moi pour me considérer encore comme un atout. J’ai été en mesure de rester à Toronto et de jouer pour une excellente équipe à Markham, et aussi de faire de l’entraînement supplémentaire. J’ai vraiment tout misé là-dessus et mis de côté tout le reste. Je m’étais dit que j’allais y aller une année à la fois et que j’allais continuer de foncer jusqu’à ce qu’ils me disent d’arrêter. C’était ma motivation.
Je me suis entraînée avec des joueurs de la LCF cette année-là pour donner un coup de barre. Ils m’ont donné beaucoup d’énergie et m’ont bien accueillie dans leur groupe. En dehors de la glace, j’ai toujours pris soin de moi, faisant attention à des choses comme bien manger, mais j’ai commencé à tout faire de façon plus réfléchie. Quand tu es une jeune athlète, tu fais parfois les choses par automatisme sans le réaliser. Si tu le fais de façon plus réfléchie, avec le temps tu prends de meilleures habitudes. C’est là quelque chose que j’avais besoin de réaliser.
Au camp d’entraînement qui a suivi, en septembre 2018, j’étais dans la meilleure forme de ma vie. J’avais une étincelle dans les yeux. Il y avait la Coupe des Quatre Nations qui s’en venait en novembre et au départ je n’ai pas été retenue dans cette équipe-là, mais on m’a rappelée quand des joueuses se sont blessées. Ça m’a donné un élan. J’ai eu droit à une occasion et j’ai été en mesure de montrer ce que je pouvais faire. J’ai continué à pousser jusqu’à la fin de l’année et j’ai été de nouveau retenue dans l’équipe du Championnat du monde en 2019.
Ç’a été là une étape importante qui a fait en sorte que j’ai pu amorcer la période quadriennale du bon pied.
Créer un climat de confort
Je pense que ce qu’il y a de plus spécial avec notre équipe olympique de hockey féminin, c’est que n’importe qui pouvait être soi-même dès le départ et ça permettait à tout le monde d’être à l’aise, mais aussi de donner son meilleur niveau de jeu sur la glace. Si tu te sens mal dans ta peau dans le vestiaire, tu ne vas pas jouer aussi bien que tu peux le faire. Alors, nous avons vraiment essayé de créer un climat où tout le monde pouvait être soi-même et jouer son rôle.
Ça ne se résume pas toujours seulement à ce que tu fais sur la glace ou dans le gymnase. Je pense qu’il est important de passer du temps de qualité avec ses coéquipières et d’apprendre à les connaître d’une autre façon. Je pense que ça aide beaucoup dans la façon dont nous nous soutenons les unes les autres. Cela a probablement été la meilleure équipe dont j’ai jamais fait partie en termes de proximité entre les joueuses.
Créer ce genre de climat part des dirigeants et ça passe ensuite par le personnel d’entraîneurs, mais ça commence aussi avec nous, les joueuses. Il faut forcer les unes et les autres à rendre des comptes. Si vous créez un climat où vous savez que tout le monde est à l’aise et est capable d’être soi-même, ça devient la source de votre succès.
Il faut le voir pour le devenir
Je pense que c’est vraiment important que les jeunes aient des modèles à suivre. J’ai eu la chance d’en avoir de très bons d’origine autochtone. Je pense que c’est important d’être soi-même, mais aussi de montrer que les rêves peuvent devenir réalité. Je sais que ça fait un peu kitsch, mais si tu peux le voir, tu peux le devenir. C’est tellement un cliché, mais c’est vraiment la vérité. Je suis contente d’être ce genre de modèle pour des jeunes, bien que je trouve important d’être transparente dans ma façon de raconter ce que j’ai vécu de différent des autres.
J’ai grandi à Kanata dans la banlieue ouest d’Ottawa. Ma mère est Métisse mais elle a aussi été adoptée, alors je n’en sais pas beaucoup sur mes racines autochtones, bien que j’aimerais en apprendre davantage et y faire une plus grande place dans ma vie. Je me souviens d’avoir joué aux Championnats nationaux autochtones de hockey en 2010 et d’avoir appris à connaître quelques-unes des filles et la façon dont elles avaient été élevées, qui était très différente de ce que j’avais connu. Je pense que ça m’a vraiment aidée à me faire prendre conscience de l’existence d’autres communautés.
J’ai participé à une tournée en Saskatchewan après les Jeux olympiques, ce qui m’a permis de rendre visite à des communautés des Premières Nations dans cette province. Ç’a été tellement spécial et plaisant comme expérience de pouvoir montrer ma médaille, mais aussi de jouer un peu au hockey avec des jeunes dans ces communautés. Plus nous avons de la visibilité et plus nous sommes accessibles, mieux c’est, je pense.
Dans la communauté de la Première Nation de Saulteaux, l’aréna était rempli, tout le monde était là on dirait. Nous avons disputé un petit match des étoiles avec quelques anciens de la LNH et c’était tout simplement remarquable de voir la communauté se rassembler de cette façon. Nous avons signé pas mal d’autographes et rencontré beaucoup des gens formidables. Je pense que ç’a ramené un certain sentiment de communauté après la COVID. Nous avons fait beaucoup de route au cours de cette tournée, mais c’était extraordinaire. Je suis vraiment contente d’avoir pu y participer.
Je pense qu’une seule personne ou une simple histoire racontée peut exercer une grande influence. La visibilité, surtout après les compétitions d’envergure, est très importante. Pas tous les athlètes vont être aussi ouverts que d’autres, mais si te sens à l’aise de le faire, alors vas-y.
Je me suis toujours sentie à l’aise de parler ouvertement de ma vie personnelle. Le mois de la Fierté représente quelque chose de très important, surtout à Toronto, on le souligne vraiment beaucoup ici. Le plus spécial, c’est que toute cette énergie te met dans le bain et t’amène à t’impliquer. Tout le monde est simplement content d’être là et d’être soi-même. Je pense que c’est vraiment important que les jeunes voient ça. Moi, quand j’ai fait mon coming out, j’ai eu l’impression qu’un poids a été enlevé de mes épaules. Si quelqu’un de jeune a du mal à gérer sa situation et peut voir une de ses idoles en parler ouvertement et être à l’aise dans ce contexte, peut-être que ça peut l’aider.
J’ai pris plus de temps que d’autres à faire cette démarche. J’étudiais à l’université. Je savais déjà que j’étais homosexuelle, mais avoir cette conversation-là avec ta famille peut représenter quelque chose de difficile pour bien des gens. Plusieurs de mes coéquipières le savaient, mais c’était important pour moi de le dire et de me sentir tout à fait bien dans ma peau.
Je suis pas mal chanceuse que personne ne m’ait rendu la vie dure à cause de ça. Je sais que certaines personnes ont vécu des choses différentes, mais mes parents ont été très ouverts et accueillants face à la situation et je ne crois pas que c’était une très grande surprise pour eux.
Je pense que cela a aidé à tous les niveaux, dans ma vie personnelle, mais aussi au hockey. Je me suis sentie plus libre dans tout ce que je faisais. C’est donc important d’avoir ces conversations. Ça peut faire peur, c’est sûr, mais une fois que c’est fait, tu sens vraiment qu’un poids a été enlevé de tes épaules.
Après tous les hauts et les bas, et mon parcours comme joueuse de hockey qui n’ont pas été sans heurts, je suis fière de l’attitude et de l’approche que j’ai adopté dans le cadre mon métier.
Je n’ai jamais vraiment perdu mes objectifs de vue. Plus jeune, mon objectif avait toujours été de me retrouver aux Jeux olympiques et de remporter la médaille d’or, et ça me semble encore plutôt surréaliste que je sois arrivée à le faire.
À ses premiers Jeux olympiques, Jamie Lee Rattray a remporté l’or avec Équipe Canada aux Jeux olympiques d’hiver de Beijing 2022. Elle a inscrit cinq buts et quatre mentions d’aide pendant le tournoi. Cette production est venue s’ajouter à celle de quatre filets enregistrés au Championnat du monde féminin de l’IIHF 2021, où elle a aidé Équipe Canada à remporter son premier titre mondial en près d’une décennie.