Annie Pelletier plonge en position carpée.

Annie Pelletier : leçons de vie et de résilience de ma famille

Bonjour, je m’appelle Annie Pelletier et je suis une olympienne des Jeux d’Atlanta 1996. Pour réaliser un rêve olympique, il faut que plusieurs étoiles soient bien alignées ; le talent, la passion, la santé, la chance, la persévérance, les opportunités, la motivation et l’inspiration. Laissez-moi vous parler de mon frère Michel qui a été une très grande source d’inspiration dans ma quête olympique et mon premier héros, mon père.

Mon petit grand frère Michel est né en janvier 1963, soit 11 printemps avant moi. C’est donc mon grand frère, mais dans la vraie vie, c’est mon petit frère. Pourquoi ? Parce que du plus loin que je me rappelle, j’avais compris que je devrais toujours le protéger, lui montrer la voie, l’accompagner, l’écouter, l’encourager et être patiente. Que certains petits défis pour moi allaient en être de très grands pour lui. Qu’il allait falloir n’être jamais loin pour lui comme il avait toujours été là, tout près, pour moi.

Mon frère a contracté une méningite à cinq mois, a par la suite souffert d’hydrocéphalie, a été opéré au cerveau et a survécu non sans séquelles. Depuis 56 ans, il vit avec une d.i., une déficience intellectuelle ou comme je préfère le dire, en interchangeant les deux premières lettres, une i.d., pour intelligence différence. Dès mon jeune âge, je voyais que mon frère devait travailler deux et trois et quatre fois plus fort que les autres pour réussir à attacher ses souliers, se souvenir de son chemin, écrire, compter, s’habiller convenablement, brosser ses dents, descendre les escaliers, cuisiner, manger, courir, sauter et même marcher.

Alors que j’étais douée à l’école et que j’apprenais vite en gymnastique et ensuite en plongeon, mon frère lui passait des journées entières à faire des tâches en plateaux spécialisés, écoutait sa musique préférée des années 60, regardait les matchs des Expos et des Canadiens et m’attendait patiemment quotidiennement.

Après chaque entraînement, dès l’âge de 8 ans jusqu’au début de ma vingtaine, mon frère affectueusement surnommé le Gros (rien à avoir avec son tour de taille !) ou Mimi, sortait de sa petite bulle et venait s’asseoir à la table pour me demander comment avait été mon entraînement. Parfois, je lui racontais mes bons coups en mangeant mon souper avec appétit et parfois, j’étais silencieuse en laissant couler mes larmes de fatigue et de découragement dans mon spaghetti. Il restait toujours là. Sans rien dire. Juste là. En me fixant. En partageant ma joie ou en m’amenant un mouchoir pour sécher mes larmes.

Tout au long de mon cheminement, je réalisais combien j’étais privilégiée d’avoir la santé, le talent, la fougue, les bons entraîneurs et des parents dévoués pour m’accompagner et mettre à ma disposition tous les outils nécessaires pour réaliser mon rêve olympique. Aussi, je me sentais un devoir de persévérer et d’atteindre la perfection pour honorer la chance que la Vie m’avait offert. À chaque fois que j’ai voulu abandonner le sport pour cause de blessures, de peurs ou de pannes de motivation, je finissais toujours par me relever avec aplomb en songeant à mon frère et sa détermination à affronter les défis, les épreuves et les deuils que ses propres limites physiques et cognitives lui imposaient.

Moi, je sais que j’ai gagné à la loterie de la vie, en naissant en pleine santé et douée sportivement. Depuis ma tendre enfance, grâce à lui, j’ai développé une fascination et une affection toute naturelle et profonde pour les enfants handicapé.es, les gens différents.

Toute petite, je voulais être leur amie, je voulais leur parler, savoir leur nom, leur âge, l’origine de leur condition, leur état et leurs défis pour comprendre leur réalité. Dès mon entrée à l’université, j’ai débuté un baccalauréat en orthopédagogie avec le but d’aller enseigner aux enfants atteints de trisomie. À mon retour des JO en 1996, les portes des communications se sont ouvertes et j’ai décidé d’y tenter ma chance et de parfaire mes habiletés.

Ma vie professionnelle a donc pris le chemin du lutrin, mais mon implication sociale s’est développée à titre de Marraine des athlètes spéciaux d’Olympiques Spéciaux Québec. Depuis près de 25 ans maintenant, je suis impliquée bénévolement dans une multitude d’événements en passant par tous les Jeux provinciaux, les visites à l’aéroport à leur départ et arrivée, les événements de levée de fonds, la Soirée des Célébrités (SUMMA), la diffusion de compétitions à RDS, et depuis la dernière année, des rencontres sur ZOOM où je me rends disponible pour répondre à toutes leurs questions, rire, danser, faire des exercices et les écouter me raconter mille et une histoires de vie, leur vie.

Pour moi, redonner au suivant, m’impliquer bénévolement et donner de mon temps aux Athlètes Spéciaux d’Olympiques Spéciaux Québec , organisme qui contribue à enrichir, par le sport, la vie des personnes présentant une déficience intellectuelle, fait partie de mes valeurs, de mes priorités, de mes sources de bonheur. J’ai reçu tellement plus que ce que j’ai pu donner à ces jeunes de cœur. J’ai déjà confié que lors de mes plus grandes épreuves de vie, mon amour, mon attachement et ma mission avec les Athlètes Spéciaux ont contribué à me maintenir la tête au-dessus de l’eau. Pour une ex-plongeuse, c’est peu dire. L’activité physique, le sommeil, une saine alimentation et le BÉNÉVOLAT sont indéniablement interreliés pour maintenir un équilibre mental et contrer l’adversité. En m’impliquant bénévolement auprès d’eux, en leur donnant du temps, de l’attention, de la valorisation, de l’importance, je me suis fait un cadeau. Pour la vie.

Mon papa, mon premier héros

7 juillet 2016. Le ciel est d’un bleu magnifique. Une journée d’été parfaite, petite brise, on entend la cigale. Je m’en souviens comme si c’était hier. Moi, je suis en pleine santé. Nouvelle maman comblée, mon petit Arthur aussi. Il aura 7 mois demain. Je devrais être heureuse et avoir le cœur léger. Mais je pleure. À chaudes larmes. Je suis en état de choc, incrédule, paniquée, décontenancée.

Aujourd’hui, j’ai appris que mon papa que j’aime tant allait mourir. Bientôt. Très bientôt. Aujourd’hui, à 42 ans, j’accompagnais mon premier héros, mon premier amour, à son rendez-vous chez le pneumologue et le verdict est tombé : tumeur de 6 cm au poumon gauche avec métastases dans les glandes surrénales. Cancer de stade 4. Après discussion, une seule solution s’offre à lui ; la chimio palliative.

Mon père dit qu’il va y réfléchir. Mais déjà dans la voiture sur le chemin du retour, son idée est faite. Il ne fera pas de chimio. Je comprends donc qu’il a vu son dernier printemps. Et qu’il ne me reste que quelques mois à ses côtés. Peut-être six. Je compte sur mes doigts. Il verra peut-être mon bébé, son petit-fils adoré, souffler sa première chandelle d’un an le 8 décembre ? Je m’accroche. Dans trois semaines, je dois partir pour Rio où je dois analyser les compétitions de plongeon aux Jeux olympiques. Je ne veux plus partir. Je rage. Je veux rester près de lui. Mais je suis sous contrat et mon père veut que j’honore mes engagements. Il me regardera tous les jours. Ne manquera aucune présence de sa fille à la télé.

Mon père a commencé à prendre de la morphine pendant que j’étais là-bas. Sa voix a immédiatement changé. Il a perdu l’appétit. Il tousse de plus en plus. Il a mal. Plusieurs petits maux apparaissent. Une journée, il semble revenir à la vie. Le lendemain, il semble flirter avec la mort. Je reviens du Brésil le 25 août. En débarquant de l’avion, je saute dans ma voiture en direction de la maison familiale pour lui sauter dans les bras. Il m’a attendu. Il est là. Différent, mais somme toute, sur ses deux pattes, souriant, avec toute sa tête et son humour légendaire.

Quelques jours passent et les nerfs le lâchent. Il décline rapidement. Ce ne fut pas facile de le voir partir un peu plus chaque jour, mais grâce aux professionnels de la santé qui nous encadraient dans cette dernière étape de vie, nous avons pu prendre bien soin de lui, de façon familière, confortable, chaleureuse, dans sa propre maison.

Mon père n’a finalement pas vu mon petit garçon se déguiser pour la première fois à l’Halloween, ni faire ses premiers pas quelques jours plus tard, ou encore moins fêter sa première année de vie. Mais il aura vu ses meilleurs amis, ses collègues de travail, ses coéquipiers de golf, ses frères, ses enfants, ses petits-enfants et arrière-petits-enfants et son épouse adorée jusqu’au tout dernier moment dans le confort de son foyer.

Mon père, mon premier héros, mon premier coach, mon chauffeur de taxi, parfois massothérapeute, parfois cuisiner, parfois psychologue, mon plus grand fan s’est envolé le 3 octobre 2016. Dignement. Le sourire aux lèvres. Courageusement en trois injections, moi à ses côtés. C’était à mon tour de lui tenir la main.

Annie Pelletier a remporté le bronze au tremplin de 3 m aux Jeux olympiques d’Atlanta en 1996.

La fondation proches aimants Petro-Canada a été fondée en novembre 2020. L’objectif est d’appuyer les proches aidants en milieu familial, ceux et celles qui s’occupent d’un membre de la famille, d’un ami ou d’un être cher vivant avec une déficience physique ou mentale tout en inspirant le Canada à suivre le pas. Plus de huit millions de Canadiens – environs le quart – sont des proches aidants.