Jill Moffatt est photographiée lors d'un entraînement.Merijn Soeters
Merijn Soeters

Jill Moffatt d’Équipe Canada se donne pour mission de soutenir les athlètes qui sont parents

Jill Moffatt a pris sa retraite de l’aviron, mais elle n’a pas quitté le monde du sport pour autant, loin de là. Maintenant, celle qui a participé à deux éditions des Jeux olympiques s’appuie sur son vécu d’athlète et sa formation universitaire en matière d’égalité des sexes pour se donner de nouveaux objectifs : compléter un programme de doctorat et aider à gérer MOMentum.

MOMentum est un organisme à but non lucratif qui a été fondé par une équipe d’athlètes olympiques et d’universitaires et qui se consacre au soutien d’athlètes féminines au Canada. La philosophie de base de l’organisation, c’est que personne ne devrait avoir à choisir entre une carrière sportive et fonder une famille.

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Tout au long de ses études de premier cycle et de maîtrise, Moffatt s’est penchée sur l’égalité des sexes dans le contexte des sciences de la santé. Elle s’attendait à faire carrière dans le domaine des politiques de santé pour les femmes, mais elle n’avait jamais envisagé d’intégrer le sport à tout ça.

Toutefois, quand elle a reçu une bourse de recherche en journalisme à la suite des Jeux olympiques de Tokyo 2020, Moffatt a décidé de réaliser un reportage sur la maternité chez les athlètes au Canada, dans une large mesure parce que la congélation d’ovules était souvent un sujet de discussion au sein de l’équipe nationale féminine d’aviron, dont elle faisait partie.

« J’ai commencé à poser des questions et à entendre toutes sortes d’histoires, surtout de la part de personnes comme [les athlètes olympiques] Melissa Bishop, Kim Gaucher et Mandy Bujold, et j’étais époustouflée », a indiqué Moffatt.

Jusque-là, elle n’avait jamais vraiment eu conscience des difficultés de fonder une famille au milieu d’une carrière sportive, puisqu’elle ne prévoyait pas avoir des enfants à ce stade-là de sa vie. En revanche, une fois qu’elle a commencé à explorer ce sujet, Moffatt n’arrivait plus à penser à autre chose. Maintenant, un an après Paris 2024, le travail de doctorat de Moffatt s’appuiera sur ses antécédents en sciences de la santé, en journalisme et dans le monde du sport pour analyser la couverture médiatique qu’on accorde aux athlètes mères.

« Je trouve que les politiques sont intéressantes, mais c’est aussi le cas des idées qu’il y a derrière les façons de parler de la maternité chez les athlètes — ce que tout ça veut dire et implique, question de jeter un regard sur des choses que nous tenons pour acquis », a dit Moffatt.

Le regard que Moffatt porte sur la couverture médiatique de Paris 2024

En ce qui regarde la couverture médiatique des athlètes mères et de la parentalité pendant les Jeux olympiques de 2024 à Paris, Moffatt mentionne l’importance d’accepter la tension quand il s’agit de couvrir les questions en lien avec l’égalité des sexes. C’est-à-dire établir un équilibre entre un hommage aux progrès qui ont été faits et reconnaître les difficultés qu’il a fallu surmonter pour y arriver, ainsi que le travail qu’il reste à accomplir.

« Un des éléments que j’ai trouvé vraiment intéressant à propos des Jeux de Paris, c’était la couverture sur la garderie pour les enfants d’athlète, a déclaré Moffatt. Je trouve qu’il y a eu une pointe de réactions positives et ensuite, c’était à peu près tout.

« Dans le monde dont je rêve, nous pourrions avoir plus de couverture du genre : comment nous nous sommes rendus jusqu’ici’ ou voici les femmes qui ont vraiment poussé pour ça. Une grande partie de la couverture a été réactive, plutôt que proactive ».

Une des choses qui donnait espoir à Moffatt en ce qui concerne la couverture à Paris 2024, c’était que les médias posaient des questions aux athlètes parents sur les réalités de la vie quand on cherche à trouver le bon équilibre entre ses responsabilités parentales et ses devoirs sur le plan sportif.

« Les athlètes mamans ne sont pas celles qui le passent sous silence », a noté Moffatt.

Plusieurs de ces athlètes parents avaient aussi besoin de se défaire de leurs propres idées préconçues sur les façons de combiner le sport et les enfants. Par exemple, la skieuse acrobatique et double médaillée olympique Cassie Sharpe a déclaré à olympique.ca l’automne dernier qu’au moment de tomber enceinte, sa première pensée a été de se dire qu’elle allait devoir prendre sa retraite parce que « je ne peux pas faire ça, je ne suis pas une super-héroïne ».

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Le concept de la « super maman » est une image problématique de la femme qui semble indiquer qu’elles peuvent « tout faire » — un discours qui, comme Moffatt et ses collègues l‘ont relevé dans un article publié dans The Conversation, ne tient pas compte des enjeux systémiques qui existent quand on devient mère et qu’on pratique un sport de haut niveau sans soutien adéquat. Les attentes selon lesquelles que quelqu’un devrait être capable de « tout faire » mettent une pression énorme sur les épaules de toutes les femmes qui exercent une profession, y compris les athlètes.

À l’instar de l’équilibre qu’il doit y avoir entre célébrer et faire preuve de réalisme en ce qui concerne les progrès qui ont été faits en matière d’égalité des sexes aux Jeux, ce que vivent les athlètes au moment de reprendre la pratique de leur sport après avoir donné naissance est, elle aussi, une situation où il faut dire : oui, mais aussi

« De nombreuses études montrent qu’avec du soutien, c’est faisable. [Avoir des enfants] n’est pas quelque chose qui met fin à une carrière quand on a la bonne forme de soutien », a dit Moffatt.

Non seulement ce soutien représente-t-il un élément très important, quand on cherche à normaliser l’idée de renouer avec le sport de haut niveau post-partum, la communauté du sport doit aussi faire attention de ne pas trop aller dans l’excès contraire en tenant pour acquis que les athlètes peuvent « remonter la pente » du jour au lendemain. Il faut reconnaître le fait qu’il est nécessaire de s’ajuster et de s’adapter pour composer avec les importants changements qui surviennent sur les plans physiologique, émotionnel et du mode de vie après avoir accouché.

Changer la façon de financer

Moffatt considère que le financement du sport au Canada est un des éléments clés qui empêchent les organismes nationaux de sport (ONS) d’offrir un meilleur soutien. Les budgets de plus en plus serrés des ONS mettent le fardeau financier davantage sur les épaules des athlètes pour ce qui est du financement de leurs parcours sportifs, faisant en sorte que les familles ont moins d’argent pour envisager des choses comme la congélation d’ovules ou la fécondation in vitro. Non seulement ça, mais quand les ressources sont à ce point limitées, des questions aussi importantes que l’égalité des sexes sont souvent mises de côté lorsqu’on établit les priorités en matière de politiques et de programmes.

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Moffatt dit qu’elle adorerait voir un plus grand nombre d’ONS être proactifs en matière de soutien parental, mais elle reconnaît que plusieurs d’entre eux peinent déjà à financer la base de leurs activités. Des initiatives aussi importantes que le congé parental, les besoins en matière de garde d’enfants au moment de s’entraîner et de voyager, ainsi que le travail de spécialistes en sciences du sport qui ont l’expertise requise pour encadrer un retour au sport post-partum sont souvent mises en veilleuse. La dernière hausse du financement du sport accordée par le gouvernement fédéral date de 2005. Le Comité olympique canadien a indiqué au mois de mars 2024 que le pouvoir d’achat des ONS a décliné de 33 % depuis ce temps.

« L’égalité des sexes est négligée parce qu’ils n’ont pas la capacité de mettre ces choses-là en place, ils essaient juste de garder la tête hors de l’eau, a souligné Moffatt. Il faut qu’il y ait des changements importants dans la façon dont nous finançons le sport au Canada ».

Les athlètes parents ont fait un gain important en octobre 2024, quand le gouvernement fédéral a annoncé le financement de brevets supplémentaires pour les athlètes qui sont enceintes par l’entremise du Programme d’aide aux athlètes de Sport Canada.

Avant qu’on apporte ce changement, la grossesse était considérée comme une blessure, ce qui fait qu’on obligeait les athlètes à recourir à leur brevet pour blessure pour continuer d’avoir droit à du financement. Étant donné qu’elles n’avaient droit qu’à un seul brevet pour blessure, les athlètes devaient soit se déclarer blessées pour recevoir du financement durant leur grossesse, ou alors garder leur brevet pour une blessure réelle et ainsi perdre leur financement pendant leur grossesse. Les nouveaux brevets pour grossesse peuvent servir de plusieurs façons, un peu comme le congé parental dans les autres milieux de travail.

« Bien des athlètes craignent d’être victimes de discrimination parce qu’elles veulent avoir un enfant et reprendre ensuite leur carrière sportive, et certaines doivent effectivement composer avec ça, a indiqué Moffatt. Alors le fait d’avoir quelque chose du genre en place permet à tout le moins aux athlètes de savoir que c’est là une voie qu’il est normal de vouloir suivre, si elles le veulent. Elles en ont tout à fait le droit. »

Moffatt considère le financement direct sous la forme de subventions aux athlètes comme un des grands succès de MOMentum jusqu’ici. C’est là une initiative qui a été rendue possible en partie par le fait que Moffatt ait obtenu une Subvention Héritage d’OLY Canada de la part du Comité olympique canadien. MOMentum a été en mesure d’accorder de l’argent à quatre athlètes olympiques et trois athlètes paralympiques en vue de Paris 2024. Offrir des fonds aux athlètes restera une priorité à l’approche de Milano Cortina 2026.

À l’occasion de la journée internationale de la femme, MOMentum a aussi lancé son programme de réseautage entre pairs, qui a été conçu pour mettre en contact des athlètes avec d’autres athlètes pouvant offrir des conseils en matière de planification familiale dans le contexte d’une carrière sportive.

Les athlètes canadiennes veillent donc les unes sur les autres. Le système sportif aurait intérêt aussi à veiller sur elles.