Éducation olympique

Lettres à mon jeune moi – Brock McGillis

Il n’est pas difficile de le constater… le hockey fait partie intégrante de la culture canadienne. Les villes et les partisans canadiens sont passionnés de hockey, et cette frénésie est contagieuse. Quand on grandit dans les rangs de l’élite du monde du hockey, comme l’ancien gardien de but Brock McGillis, on vit dans un environnement « hypermasculin ». Un environnement où les garçons deviennent des hommes dans une sphère de valeurs, de relations et de rituels masculins.

Après avoir eu le plaisir d’interviewer Brock, nous avons appris que nous sommes tous uniques et que nous aimons tous des choses différentes, alors pourquoi se conformer à cette idée d’une normalité dans le sport? Le deuxième billet publié sur le blogue #UneEquipe s’intitule « Lettre au jeune moi », écrit par Brock, maintenant âgé de 34 ans. Dans cette lettre, Brock s’écrit les mots qu’il aimerait dire au jeune de 18 ans qu’il était, au moment où il révélait son homosexualité. Son histoire en est une de déni, de peur, de rejet et de force. Pour toutes ces raisons, je tiens à remercier Brock de nous l’avoir racontée.

Cher Brock,

À 18 ans, te souviens-tu lorsque tu en avais six et que tu détestais jouer au hockey? Lorsque tu laissais les enfants sur le banc jouer à ta place… tu détestais tellement ce sport que tu avais offert ton casque à un coéquipier qui avait brisé le sien.

Papa en avait tellement marre; jusqu’à ce que tu veuilles être gardien de but. Va enfiler tes jambières; une vie de douleur et de malheur (tant physiques qu’émotionnels) t’attend.

Cette année-là, tu te souviendras d’avoir regardé un film avec un personnage gai et d’avoir demandé à tes parents : « Suis-je gai? » Et leur réponse a été : « Pas sûr, mais si tu l’es, tu l’es ».

C’était comme si de rien n’était, et on ne t’a pas posé plus de questions.

Tu es devenu gardien de but, et tu as réalisé dès ton plus jeune âge que tu étais gai. Papa, maman et ton jeune frère, Cory, ont été d’un grand soutien et n’ont pas porté de jugement envers l’homosexualité. C’est en fait la première chose que je voulais te dire.

En ce moment, tu es tellement absorbé dans ce monde du hockey. Jouer à de hauts niveaux, vivre l’expérience de ce monde « hypermasculin » jusqu’à en devenir malsain. Tu fais semblant d’être heureux et tu désires ardemment être accepté. Tu te décris comme un enfant confiant dans ce genre de bravade « hypermasculine », mais il s’agit d’une façade qui t’empêche d’être toi-même. Tu es devenu un coureur de jupons, refoulant ainsi ta sexualité au point de te mettre en colère contre toute pensée non hétérosexuelle.

Tu te sens vide à l’intérieur.

Tu ne comptes plus les fois où tu as entendu des phrases comme « c’est gai » ou « quel homo » dans le vestiaire tout au long de ta carrière de joueur de hockey. Des mots comme homo, pédé et tapette font partie du vocabulaire quotidien. Ces mots sont utilisés pour rabaisser les joueurs, les affaiblir et les féminiser, parce que le hockey est un sport destiné aux hommes les plus virils.

Tu es convaincu d’être incapable d’être heureux et confortable en étant toi-même tout en jouant au hockey.

Pour ton information, gai, Brock McGillis et joueur de hockey sont tous des synonymes.

Je ne suis pas là pour te dire que tout ira bien, que lorsque tu te réveilleras demain, tous tes problèmes seront résolus, car ils ne le seront pas. La route est longue devant toi. Je sais simplement que la façon dont tu te sens en ce moment, suicidaire et déprimé, et la peur de te révéler comme un imposteur, combinée à la volonté de poursuivre ta carrière de hockey, créent un mélange toxique.

En y repensant, tu aurais dû faire appel aux membres de ta famille. Mais la peur qu’ils commettent une erreur et dévoilent ton secret par inadvertance était si grande que tu avais l’impression de ne pouvoir en parler à personne.

Rends-nous ce service :

Continue de foncer. Tu ne te sens peut-être pas à l’aise de sortir du placard maintenant, mais ce n’est pas grave. Un jour, crois-moi, tu te sentiras libéré. Persévère.

Comme tu le constateras, sur la patinoire, tu oublieras ton secret. Mais bientôt, tes luttes intérieures commenceront à te rattraper et à détériorer ta carrière de hockey. Je sais que c’est difficile à entendre; tu as de grandes aspirations, mais ta lutte entraînera un grand nombre de blessures psychosomatiques. Tu auras la mononucléose infectieuse (mono) deux fois et tu boiras beaucoup pour engourdir ta douleur.

N’oublie jamais qu’il y a une vie après le hockey.

À 23 ans, tu joueras au hockey en Europe et tu révéleras ton homosexualité. Mais même à ce moment‑là, tu mèneras encore une double vie. Tu rencontreras un homme et tu le fréquenteras pendant trois ans sans que personne le sache. La paranoïa sera constante. Au point où ses amis parleront de toi en utilisant un pseudonyme. Tu ne voudras pas qu’ils sachent que tu es un joueur de hockey, tu as toujours l’intention de poursuivre ta carrière.

Tu persévéreras et tu joueras éventuellement dans l’équipe de hockey de l’Université Concordia, à Montréal.

Malgré l’amour que tu ressens pour ton partenaire, tu lui diras devoir coucher avec des femmes pour maintenir les apparences. Votre relation prendra fin, mais elle demeurera toujours l’un de tes plus grands regrets. Ça te fera toujours mal de penser à quel point tu voulais qu’on t’accepte dans un monde qui ne te donnerait jamais son approbation.

Cependant, bientôt quelqu’un viendra dans ta vie pour tout remettre en place : Brendan Burke.

Brendan, le fils de Brian Burke, président des Flames de Calgary, a déjà déclaré publiquement qu’il était homosexuel. Il a ses propres aspirations comme cadre de direction dans la LNH. Tu communiqueras enfin avec lui et vous vous lierez rapidement d’amitié. Tu seras étonné de pouvoir partager ton combat avec quelqu’un.

Brendan a la motivation pour changer la façon dont les homosexuels sont perçus dans le sport.

Malheureusement, le 5 février 2010, Brendan perdra tragiquement la vie dans un accident de voiture. Deux jours avant sa mort, en vous échangeant des messages sur Facebook, il t’écrira : « J’ai hâte au jour où tu avoueras à ta famille qui tu es et où tu te sentiras aussi bien que moi. »

Ce sera les dernières paroles qu’il t’aura dites.

La seule personne qui connaîtra ton secret sera partie.

Peu de temps après, tu trouveras la force dans les paroles de Brendan et tu parleras à ton jeune frère, lui aussi hockeyeur semi-professionnel, jouant aux États-Unis.

Et Cory te répondra : « Et puis, tu es Brock, je t’aime et je m’en fiche! »

Grâce à son soutien, tu annonceras au reste de ta famille que tu es homosexuel. Mais pas au monde du hockey. Après tout, ton frère y joue toujours et ton père continue d’être entraîneur au niveau junior. Il sera peut-être recruté comme entraîneur dans la Ligue de hockey de l’Ontario (LHO). Tu as toujours deux cousins, l’un dans la Ligue de hockey de l’Ontario et l’autre dans le milieu du sport interuniversitaire canadien (SIC) qui pourraient te défendre et accidentellement dévoiler ton secret au monde entier si quelqu’un utilisait un langage homophobe dans les vestiaires.

Enfin, lorsque tes blessures auront raison de toi, ta carrière de hockey prendra fin. Tu te sentiras libre et tu vivras ton homosexualité sans être jugé par la communauté du hockey.

Tu obtiendras ton diplôme de l’Université Concordia et tu commenceras à entraîner des athlètes sur la patinoire et ailleurs. Tu ressentiras de la joie et un bonheur incroyable à aider des centaines de joueurs à atteindre leurs objectifs. Ne divulguant jamais ta sexualité aux athlètes, tu t’empresseras de faire taire tout vocabulaire homophobe utilisé en ta présence. Tu seras déterminé à changer la culture du monde du hockey.

Tu découvriras que certains athlètes et tes parents savaient déjà que tu es gai. Malgré un peu de panique au début, tu commenceras à réaliser à quel point c’est cool. Fait intéressant, tu constateras que les jeunes commenceront à s’excuser auprès de toi pour avoir dit quelque chose d’homophobe. Tu hocheras la tête et tu passeras à autre chose.

En novembre 2016, certaines choses te pousseront à l’annoncer au monde du hockey.

Des gens, que tu considérais comme des amis, ne te parleront plus. Tu perdras des occasions d’emploi. Ce sera tout un défi d’être l’une des premières personnes à sortir du placard dans la communauté du hockey. Mais laisse-moi te dire que tu as perdu plus d’amis et d’occasions en cours de route en t’empêchant d’être fidèle à toi-même.

Tu es maintenant un modèle pour ceux qui luttent tout comme toi. De plus, le soutien de la part du public que tu recevras en tant qu’homosexuel sera incroyable.

Je sais, ce que je viens de te dire te semble impossible, mais sache une chose : un jour, tu auras le courage de célébrer ce qui, selon toi, te rend faible à 18 ans. Tu persévéreras avec audace et courage; tu perpétueras la passion de Brendan à essayer de changer la culture du jeu tout en étant un mentor pour les jeunes. Tu voyageras à la grandeur du pays pour parler à ceux qui cherchent du soutien dans le monde du hockey.

Toutes t(m)es amitiés.

Brock McGillis

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