L’équipe derrière l’équipe: une kayakiste qui pagaie dans le sillon de son père
Émilie Fournel a participé à trois éditions des Jeux olympiques, dont deux fois au sein de la même équipe de kayak que son frère Hugues. Émilie a remporté plusieurs médailles en Coupe du monde et aux Championnats du monde ainsi que quatre médailles aux Jeux panaméricains, vivant de nombreux faits saillants au fil de sa carrière, par exemple lorsqu’elle a décroché l’or au sein de l’équipage du K-4 500 m devant une foule partisane à l’occasion des Jeux panaméricains de 2015 à Toronto. Émilie agit maintenant comme gestionnaire du marketing des athlètes et de l’héritage des olympiens au COC.
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Parle-nous un peu de toi et de ton enfance?
Je suis une personne qui adore l’été. J’adore être en plein air, travailler dur et être près d’un plan d’eau. Pendant mon enfance à Montréal, j’ai eu la chance de vivre tout près du lac Saint-Louis et du canal de Lachine dans l’ouest de l’île. Mon père, Jean, était un olympien lui aussi et il a disputé des courses sur ce même canal quand on s’en était servi pour les Jeux olympiques 1976.
J’ai été retenue dans l’équipe nationale à l’âge de 15 ans seulement. Je suis allée à mon premier camp d’entraînement à Halifax et, à l’époque, je parlais très peu l’anglais. Je me souviens que j’avais six ou sept ans quand je me suis installée dans un kayak pour la première fois. Vous savez, quand tu es une enfant, on te dit toujours quoi faire. « Ne va pas là, ne fais pas ça, arrête-toi au panneau d’arrêt. » Dans un kayak, tu es assise toute seule. Tu es la capitaine du bateau. C’est toi qui décides d’aller à gauche ou à droite. Il y avait un effet calmant et ça me donnait un sentiment de liberté.
Cet effet calmant a été mis à l’épreuve quand tu n’avais que 11 ans. Dis-nous ce qui est arrivé?
J’ai perdu mon père quand j’étais toute jeune. J’avais seulement 11 ans. Ç’a été une période tellement difficile. Toutefois, cette expérience-là m’a appris que tu peux trouver du positif même dans la pire des situations. Plus tard en carrière, après une mauvaise course ou une mauvaise séance d’entraînement, j’arrivais quand même à trouver des aspects positifs en toutes circonstances ou presque.
Mon père a tellement exercé une forte influence sur moi. Il a contribué à l’héritage des Jeux olympiques 1976. Il a fait partie d’un programme pour que des Montréalais participent aux Jeux.
À l’époque, j’étais jeune, alors je n’ai pas vraiment apprécié tout ce qui s’est alors passé à sa juste valeur. Maintenant, avec le recul, je trouve que mon père était en quelque sorte un superhéros. Lui et ma mère ont lancé un club de canoë à Pointe-Claire, où je vis maintenant. Ils voulaient inciter plus de gens à pratiquer ce sport. Nous avions souvent des gens en pension chez nous pour qu’ils puissent participer. Quand mon père est tombé malade en raison de la leucémie, tout est arrivé si vite. Le cancer a frappé rapidement. Nous étions si petits, mais tout le monde dans notre communauté sportive a essayé de nous protéger. C’était très réconfortant de voir la façon dont tous ces gens se sont rassemblés autour de nous.
Comment tout ça s’est-il manifesté après le décès de ton père ?
Quand je me suis qualifiée pour mes premiers Jeux olympiques, c’était à l’occasion des Championnats panaméricains ici à Montréal au bassin olympique, où mon père avait disputé des courses aux Jeux olympiques de 1976. À l’époque, j’avais 18 ou 19 ans. Je me suis entraînée avec acharnement, sachant que mon père était lui aussi passé par là auparavant. Il y a toutes sortes de questions que j’aurais aimé lui poser sur la meilleure façon de se préparer pour un tel moment. J’étais adolescente. Je n’arrêtais pas de me dire que je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Je me souviens de m’être placée à la ligne de départ au bassin olympique et quelques-uns de ses coéquipiers, des gens qui avaient disputé des courses avec lui, étaient là pour m’encourager. Ç’a été un moment très fort pour moi. Plusieurs personnes sont venues me voir après ma qualification et m’ont apporté des photos des Jeux olympiques de 1976 et m’ont raconté des anecdotes sur mon père. Nous étions sur le même quai qu’il avait foulé quand il était un athlète. C’était irréel comme sentiment.
Tu as eu une longue et belle carrière dans ton sport. Comment t’es-tu retrouvée au COC?
J’ai allumé la vasque pour l’ouverture des Jeux du Québec quand j’étais adolescente et j’ai ensuite porté le drapeau pour le Québec aux Jeux du Canada en 2001. J’ai eu la chance d’aller aux Jeux olympiques trois fois, deux fois avec mon frère, alors il y a eu plusieurs moments spéciaux. Malheureusement, je n’ai pas disputé des courses à mon goût aux Jeux olympiques et les résultats que j’y ai obtenus ne sont pas le reflet du réel potentiel que j’avais. Pendant ma carrière, j’ai remporté plusieurs médailles à la Coupe du monde et aux Championnats du monde.
Cependant, les années et l’expérience m’ont appris qu’il y a d’autres aspects importants au-delà d’une médaille olympique. Je n’ai pas eu ma médaille, mais ce que j’ai eu à la place, c’est la chance de voir l’incidence que le sport peut avoir et quelle force ça pouvait représenter pour m’aider à passer au travers une des périodes les plus difficiles de ma vie. Quand j’ai pris ma retraite, j’ai occupé quelques emplois différents avant d’avoir la chance d’occuper le poste que j’ai maintenant au COC. J’ai maintenant l’occasion de m’assurer que les athlètes ne sont pas juste des résultats sur un bout de papier. Je les aide à profiter d’occasions où ils peuvent raconter leurs histoires, ou bien à profiter de débouchés à l’extérieur du terrain de jeu.
Je suis en mesure d’aider des olympiens à bâtir des choses dans leurs communautés, de les aider à construire l’héritage qu’ils veulent laisser et à transmettre ce qu’ils ont appris à la génération suivante au moyen des différents programmes que nous avons. Effectuer ce travail, c’est une occasion de boucler la boucle pour moi parce qu’encore une fois, je vois à quel point le sport a la force de changer des vies.
Parle-moi de tes fonctions et de ce que tu fais exactement sur une base quotidienne dans le cadre de ton travail au COC.
Du côté du marketing des athlètes, notre équipe gère les demandes que reçoit le COC pour la participation d’athlètes à des activités, notamment celles qui sortent du cadre sportif sur le terrain. Ça peut aller d’une visite dans la communauté ou dans une école jusqu’à un événement du gouvernement ou d’une entreprise. Nous sommes un peu l’intermédiaire qui cherche à faire le lien entre les olympiens et de bonnes occasions, en s’assurant qu’il y ait un juste équilibre par rapport aux exigences en matière de performance et aussi dans le nombre d’olympiens différents qui auront l’occasion de faire connaître leur histoire.
Du côté de l’héritage des olympiens, nous avons ce que nous appelons la Subvention Héritage d’OLY Canada, alors que les olympiens peuvent présenter leur candidature pour obtenir des subventions qui les aideront à lancer ou optimiser des projets auxquels ils participent dans leurs communautés. Ce programme, qui en est maintenant à sa sixième année, a beaucoup de valeur je trouve. En tant qu’olympiens, nous avons l’occasion de poursuivre nos rêves. Ceci est une façon de redonner, de transmettre ce que nous avons appris à la génération suivante et à la communauté dans son ensemble. Personne ne devient olympien(ne) tout(e) seul(e). Il y a tellement de gens qui se rassemblent derrière chaque olympien(ne) et je pense que c’est une magnifique façon pour eux de redonner.
Comment ton père réagirait-il en voyant tout ce que tu as été en mesure d’accomplir, non seulement dans le sport, mais aussi dans ta carrière en dehors du sport?
Maintenant, je vais avoir les larmes aux yeux, mais c’est correct, ce seraient des larmes de joie. Au cours de mes 20 années d’implication dans mon sport, personne ne m’a jamais parlé des résultats de mon père ou à quel point il pouvait être rapide dans un kayak. Ce qu’ils me racontaient, c’est à quel point mon père travaillait fort pour son sport ; à quel point il était généreux de son temps et toujours prêt à donner un coup de main.
Moi, bien que j’aurais voulu gagner une médaille olympique plus que tout au monde, ce qui me galvanise vraiment, c’était le sentiment d’avoir un but bien précis dans la vie et d’appartenir à une communauté très spéciale. J’ai maintenant un travail au COC qui me permet de vivre quelque chose de semblable. J’ai récemment lancé un programme sans but non lucratif pour permettre à un plus grand nombre de gens à Montréal d’avoir accès à des plans d’eau, comme j’ai moi-même pu le faire. En ce moment, j’ai la chair de poule juste à y penser, mais ce sont toutes ces choses-là, je pense, qui sont les réalisations dont mon père serait le plus fier.