L’équipe derrière l’équipe : Le parcours de Tricia Smith, athlète de quatre Jeux olympiques devenue présidente du COC
Le Comité olympique canadien est fier de placer les athlètes au cœur de tout ce qu’il fait. À tous les niveaux de l’organisation, de notre conseil d’administration à nos stagiaires, notre équipe est composée de gens qui croient vraiment au pouvoir du sport – y compris un groupe impressionnant d’Olympiens, de Paralympiens, d’athlètes des Jeux panaméricains, d’anciens athlètes d’équipes nationales, d’athlètes des ligues récréatives et de passionnés du sport. Dans le cadre de cette série de textes, nous ferons connaître le récit de membres de notre équipe qui ont concouru à des Jeux et qui consacrent maintenant leur vie professionnelle à aider la prochaine génération d’athlètes d’Équipe Canada à réaliser leurs rêves.
Tricia Smith est une athlète olympique de quatre Jeux et a notamment remporté une médaille d’argent à ceux de Los Angeles en 1984, en plus de sept médailles aux Championnats du monde et une médaille d’or aux Jeux du Commonwealth.
Avocate, Tricia Smith a été élue membre du CIO en 2016 et a reçu de nombreuses distinctions, dont l’Ordre du Canada. Elle est bénévole dans le sport depuis plus de 40 ans, soit depuis 1980 en tant que membre du premier conseil des athlètes du COC. Elle est actuellement présidente du COC, vice-présidente de World Rowing, membre du conseil d’administration du Tribunal arbitral du sport, ainsi que membre des comités exécutifs de l’Association des comités nationaux olympiques et de l’Organisation sportive panaméricaine.
Cette entrevue a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.
Quel rôle le sport et votre famille sportive ont-ils joué dans la personne que vous êtes aujourd’hui?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille de cinq enfants dont les parents étaient des athlètes et qui ont fait du sport une partie intégrante de notre vie.
Mes parents se sont rencontrés dans le gymnase de l’Université de Colombie-Britannique. Ma mère a représenté le Canada aux Jeux panaméricains en basketball et mon père était une étoile de rugby à l’université. Ils étaient de jeunes parents actifs, et nous les enfants, étions actifs avec eux. On nous faisait sentir qu’il n’y avait rien que nous ne pouvions faire, qu’il s’agisse d’être remorqués sur des skis, de s’accrocher aux cordes de ski nautique derrière la voiture familiale à l’occasion d’une rare journée de neige à Vancouver, de participer à des jeux dans le quartier les soirs d’été, ou d’apprendre à faire du ski nautique avec tous les enfants du quartier derrière un bateau, qui, je pense, avait peut-être été construit à partir d’un ensemble à assembler. Mes parents devaient avoir beaucoup d’énergie. Je les ai toujours vus s’investir dans des rôles bénévoles, surtout dans le domaine du sport.
Nous avons tous fait de la natation de compétition à un moment donné. Je ne me souviens pas comment nous avons commencé, mais c’était probablement une bonne idée puisque nous vivions près de la plage. Shannon, la plus jeune de quatre ans, était de loin la meilleure. À l’âge de 14 ans, elle a remporté une médaille de bronze aux Jeux olympiques de Montréal en 1976. J’étais tellement fière d’elle.
Donc, des débuts idylliques?
Assurément. Comme beaucoup de familles, nous avons aussi connu des malheurs. Nous avons perdu ma brillante maman au début de la cinquantaine, victime d’une maladie cérébrale rare, et à peu près à la même époque, mon père a été opéré pour se faire retirer un disque vertébral. C’était une opération assez courante à l’époque, mais le chirurgien a endommagé un nerf et mon père a perdu l’usage de ses jambes. Ensuite, nous avons perdu mes deux frères. Jeff dans un accident de moto et Dean, presque exactement sept ans plus tard, dans une avalanche. Tous deux étaient des jeunes hommes talentueux, gentils et intelligents. Jeff était aussi avocat et nous partagions, lui et moi, le même sens de l’humour. Dean était un pilote de brousse, notre guide dans les montagnes ou sur le voilier qu’il avait construit.
Les perdre a évidemment été plus que dévastateur, comme un coup droit au cœur, en plus des défis auxquels mes parents ont dû faire face, cela a vraiment remis les choses en perspective. Cela m’a permis d’apprécier ce que j’avais eu et ce que j’avais encore. Tout le monde n’a pas cette chance. Cela m’a aussi permis de relativiser les choses en termes d’importance. De mauvaises choses arrivent dans la vie, des situations qui échappent à votre contrôle, mais vous pouvez décider de la suite des choses.
En ce qui me concerne, je pense que cela s’est traduit par le fait de ne pas perdre de temps ou d’énergie à aggraver les choses négatives, et d’essayer d’apporter ma contribution dans les domaines où je pense pouvoir aider à changer les choses. J’aimerais que tous les enfants aient les mêmes chances que moi, qu’ils aient le sentiment que tout est possible si l’on y croit.
J’ai beaucoup appris grâce au sport, j’ai fait des études, j’ai eu l’occasion de travailler avec des personnes exceptionnelles, au niveau national et international, et de créer des possibilités pour les jeunes là où ils n’en auraient peut-être pas eu autrement. J’ai eu l’occasion d’avoir un siège aux tables de prise de décision dans un domaine qui, selon moi, peut réellement rendre le monde meilleur.
Vous avez participé à quatre Jeux olympiques. Pouvez-vous énumérer quelques faits marquants.
Il y en a beaucoup, mais j’en citerai trois.
Tout d’abord, voir ma petite sœur remporter cette médaille aux Jeux olympiques de 1976. Quand j’y repense, c’était d’autant plus impressionnant qu’elle et d’autres athlètes se mesuraient à l’équipe dominante de l’Allemagne de l’Est, et nous savons aujourd’hui qu’elles faisaient partie du programme de dopage parrainé par l’État. En outre, à l’époque, le soutien apporté à nos athlètes aux Jeux n’était pas toujours au rendez-vous. Même si elle n’avait que 14 ans et qu’elle était classée parmi les environ 10 meilleures au monde dans cinq épreuves, son entraîneur n’a pas été sélectionné, et il n’a donc même pas été autorisé à être avec elle pour la soutenir, et il n’y avait pas de téléphone portable à l’époque. Nous pouvons toujours faire mieux, mais je suis reconnaissante que les choses aient changé pour nos athlètes et nos entraîneurs, de manière positive.
Deuxièmement, je n’oublierai jamais le rugissement de la foule quand nous sommes entrés dans le stade en tant qu’Équipe Canada dans la première cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques à laquelle j’ai participé à Montréal.
Enfin, le temps que ma partenaire d’aviron et moi-même avons passé à nous entraîner en Italie avec notre entraîneur pendant deux saisons avant les Jeux olympiques de 1984. Comme nous étions classées parmi les trois meilleurs duos au monde, nous avions un brevet « A » et pouvions prétendre à environ 1500 dollars de plus pour l’année pour des projets spéciaux. Notre projet spécial fut d’acheter des billets pour l’Italie après que notre entraîneur, qui n’avait pas de poste professionnel au Canada, ait accepté un poste chez les Italiens.
La première année, il nous a laissées utiliser son appartement et la deuxième année, nous avons trouvé le nôtre. Nous nous sommes rendus à toutes les régates de la saison en autocar avec les Italiens. Ils nous ont prêté une embarcation et des vélos, et notre entraîneur nous a prêté sa voiture quand nous devions aller faire des courses en ville. Nous étions toujours sur le podium dans les épreuves de la saison et aux Championnats du monde. Nous avons travaillé incroyablement dur, c’était très amusant, et j’étais vraiment fière de ce que nous avons pu accomplir par nous-mêmes, avec le soutien extraordinaire de notre entraîneur et de la communauté internationale de l’aviron. Je suis toujours très proche de nos amis italiens de l’époque et la génération suivante de ma famille est amie avec la génération suivante des leurs.
Vous étiez impliquée au sein du premier conseil des athlètes de l’Association olympique canadienne (comme elle s’appelait à l’époque), qui a vu le jour juste avant le boycottage de 1980. Quelles ont été les répercussions pour vous?
Des représentants des athlètes de tous les sports ont été invités pour la première fois à une réunion avec l’Association olympique canadienne. Très peu de sports avaient des comités d’athlètes à l’époque. J’étais l’une des deux rameurs qui avaient créé un comité des athlètes en aviron, c’est peut-être pour cette raison que j’ai été choisie. On nous a demandé ce que nous pensions d’un éventuel boycottage. Je ne peux pas dire qu’on nous ait vraiment laissé le choix. C’était à l’époque de la guerre froide avec l’Union soviétique. La Russie avait envahi l’Afghanistan et on nous avait dit que le monde devait s’opposer collectivement à cette menace et à cette agression. Nous étions bien sûr déçus, mais le sentiment général était que si l’on nous demandait de faire notre part, nous devions le faire. Le Canada a donc adhéré au boycottage. Plus tard, j’ai compris à quel point nous avions été naïfs et que nous avions été essentiellement utilisés. Les autres n’ont pas fait grand-chose. Le commerce s’est poursuivi, les échanges ont continué. Le boycottage sportif n’a rien donné. En fait, quand je suis retournée à l’université à l’automne, quelqu’un m’a même demandé quel résultat nous avions obtenu aux Jeux. Ce fut une grande leçon. Cela peut paraître cliché, mais s’il est vrai que le sport a un grand pouvoir, sa valeur et son pouvoir unique viennent de l’engagement, et non du désengagement, du rassemblement des gens et de l’édification de ces ponts essentiels, et non de l’édification de murs. Au fil des ans, j’ai vu plus de changements positifs grâce à cette approche que grâce à n’importe quel boycottage.
Vous êtes bénévole depuis plus de 40 ans dans le domaine du sport, notamment en tant que vice-présidente de World Rowing. Parlez-nous du travail que vous y avez accompli en matière d’égalité entre les sexes.
Beaucoup de choses. Le processus a été long, donc je ne mentionnerai que quelques éléments qui ont été particulièrement importants. Tout d’abord, quand je suis devenue présidente de la Commission des femmes, j’ai pu mener un changement de structure afin que les membres de la Commission des femmes proviennent de toutes les autres commissions de World Rowing. Cela a créé une dynamique d’intégration, les questions précédemment catégorisées comme « questions féminines » étant désormais des questions de World Rowing, et n’étaient plus marginalisées comme étant le travail d’une seule commission. Ainsi, par exemple, l’identification des raisons pour lesquelles il y avait si peu de juges-arbitres féminines et le développement de stratégies pour remédier à cette situation sont devenus le travail de la Commission des juges-arbitres, et non de la Commission des femmes. Les questions médicales affectant spécifiquement les femmes sont devenues le travail de la Commission médicale. Le développement d’un programme de compétition équilibré, le rôle de la Commission des compétitions, et ainsi de suite. Nous avons aussi veillé à ce que les femmes qualifiées soient informées et aient la possibilité de s’engager sur la voie des postes de direction. Cela a finalement abouti à l’élection de femmes à des postes de direction au sein du conseil et à l’instauration d’un équilibre entre les sexes au sein du conseil. Nous avons aussi commandé une étude sur l’histoire des femmes dans le sport afin de mieux comprendre comment certaines structures s’étaient développées et, le cas échéant, comment y remédier. Nous avons rassemblé des données pour montrer où nous en étions, nos forces et nos faiblesses, et nous avons identifié des moyens de progresser, y compris en modifiant les règles si nécessaire, puis nous avons mesuré et soutenu les changements à l’aide de données. J’ai vu des procès-verbaux de World Rowing (la FISA à l’époque) qui documentent des discussions sur la croyance que l’aviron pourrait affecter négativement la capacité des femmes à porter des enfants. Quand j’ai commencé, il y avait peu de femmes dans les instances dirigeantes, la distance des épreuves féminines était encore la moitié de la distance des épreuves masculines et il y avait moins d’épreuves féminines. Aujourd’hui, le conseil est parvenu à un équilibre entre les sexes et les épreuves et distances sont les mêmes pour les femmes et les hommes. Nous avons posé les bases de ces changements.
Que pensez-vous apporter au rôle de présidente du Comité olympique canadien en tant qu’athlète olympique?
Je n’avais jamais pensé à devenir présidente du Comité olympique canadien jusqu’à ce qu’un des membres du conseil d’administration me pousse à y penser. Je pensais que j’avais assez à faire avec mes autres rôles de bénévole et la création d’une entreprise, et je ne me voyais pas vraiment dans un tel rôle. Finalement, j’ai été convaincue que je pouvais apporter ma contribution. Je suis très choyée d’être présidente du COC.
Il est évident que le fait d’être une athlète olympique est d’une aide précieuse dans ce poste. J’ai vécu mon expérience d’athlète aux Jeux il y a de nombreuses années, donc beaucoup de choses ont changé, mais j’espère que je peux encore m’identifier aux athlètes d’aujourd’hui. Je comprends qu’un ou une athlète doit faire preuve de créativité pour atteindre son plein potentiel, souvent avec des ressources extrêmement limitées. Je comprends l’importance des relations entre les différents acteurs du système sportif. Cette compréhension nous permet de nous assurer que nous fixons les bonnes priorités afin de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir les athlètes, les entraîneurs et le système de la meilleure façon possible. Si vous êtes passé par là, vous comprenez. Cela me donne probablement une certaine crédibilité en tant que dirigeante du conseil d’administration du COC. Il est vrai que les gens sont impressionnés quand vous leur dites que vous êtes un ou une athlète olympique.
Tout aussi important, j’ai aussi apporté à ce rôle ma formation et mon expérience juridiques, ainsi que mon expérience dans la création d’une entreprise prospère depuis les 30 dernières années. Je dois dire que depuis que j’ai quitté mon emploi rémunéré, la partie bénévole de ma vie est encore plus agréable. Je ne suis plus constamment un peu en retard sur tout!
Quand vous avez pris la présidence du COC en 2015, l’organisation était confrontée à une situation tumultueuse, avec des plaintes concernant une culture toxique au sein de la direction. Comment avez-vous vécu cette situation?
C’était très difficile, c’est certain.
En prenant la présidence à ce moment-là, j’ai cru que je pouvais contribuer à traiter divers enjeux. Je me souviens que je travaillais jusqu’à minuit ou plus tard tous les jours, entre le COC et mon travail professionnel, mais je n’ai jamais eu de ressentiment parce que je voyais clairement la voie à suivre pour améliorer la situation. Nous avons commandé une enquête indépendante et mis en œuvre toutes les recommandations, dont beaucoup concernaient des pratiques exemplaires de gouvernance. Je suis convaincue que presque toutes les questions ou tous les problèmes dans le sport, et dans bien d’autres domaines, peuvent être attribués à une mauvaise gouvernance. C’est pourquoi il est si important d’exceller dans ce domaine.
C’est l’une des choses dont je suis le plus fière en ce qui concerne ce que nous avons fait pour redresser la barre après une perte de confiance aussi dévastatrice de la part du public canadien.
À différents Jeux multisports, vous passez souvent d’une compétition à l’autre en tant que l’une des plus grandes partisanes d’Équipe Canada. Pourquoi est-ce si important pour vous?
Je me souviens d’avoir participé à de grandes compétitions, généralement loin de chez moi, d’avoir ramé jusqu’à la ligne de départ et du bonheur d’entendre quelqu’un crier « Go Canada ». En fait, c’était tellement inhabituel que je me souviens d’avoir dit une fois à ma partenaire d’aviron : « Qui est-ce? »
Donc, je connais la différence que cela a fait pour moi d’entendre « Go Canada » ou de voir le drapeau. C’est pourquoi j’essaie toujours de faire la même chose pour nos athlètes. De plus, qui ne voudrait pas aller voir nos athlètes extraordinaires? C’est toujours un privilège. Encourager, c’est facile.