Justine Dufour-Lapointe – Sois olympique
Voici, dans ses propres mots, ce que Sois olympique signifie pour Justine Dufour-Lapointe.
La photo. C’est ce dont on me parle le plus souvent. La photo de ma sœur Chloé et moi, main dans la main et yeux dans les yeux, sur le podium de Sotchi. J’avais reçu la médaille d’or de l’épreuve de bosses, et Chloé, l’argent. Elle a été prise pendant la cérémonie de remise des médailles, juste avant que nous recevions les fleurs.
Même si j’ai souvent entendu que c’était un des plus beaux moments des Jeux de Sotchi 2014, on m’a souvent demandé pourquoi je lui ai pris la main alors que je venais de gagner la médaille d’or. C’était mon heure de gloire après tout.
Pour moi, c’est une drôle de question. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il y avait l’énorme podium et j’ai pensé « ça y est, mon rêve se réalise. » À l’instant où j’ai réalisé que je vivais le rêve qu’on s’imagine depuis toujours, pour vrai, j’ai été submergée par les émotions. Ça fait peur.
J’ai tourné la tête et Chloé était là. Je me suis dit « Je vais sauter sur le podium, mais je ne suis pas toute seule parce qu’on l’a fait ensemble. Nous avons tellement travaillé fort, tellement fait de sacrifices pour en arriver ici. On va vivre ce moment ensemble. » J’ai pris sa main et ça m’a calmée. Et sur le podium, même avec tout le chaos, je jure que je pouvais entendre ma famille. J’entendais ma mère, mon père et ma sœur Maxime, qui a terminé douzième de la même épreuve, crier dans la foule.
Sois olympique, ça signifie quoi? Pour moi, c’est ma relation avec mes sœurs et tout ce que ça représente. Avoir mes sœurs avec moi, dans les hauts et les bas, est la meilleure chose qui me soit arrivée. Elles me soutiennent et elles m’aident. Je les aide quand elles ont des problèmes. Nous sommes plus fortes ensemble que séparément. Notre système de soutien nous profite à toutes les trois, dans le sport comme dans la vie.
Quand j’y repense quatre ans plus tard, les Jeux de Sotchi sont encore un peu surréels. C’était plus qu’extraordinaire et au-delà de mes rêves les plus fous. Je sais que sans mes sœurs, je ne me serais jamais rendue là.
J’ai grandi à Montréal avec des parents très actifs. Pour eux, c’était important que nous fassions du sport. Tous les week-ends, nous allions faire du ski dans les Laurentides. J’ai suivi mes premiers cours à trois ans. J’étais toute petite, juste quatre ans, et mes sœurs sont plus vieilles que moi. Chloé avait sept ans et Maxime, neuf ans. Elles voulaient faire du ski toute la journée et s’amuser dans les sous-bois. Mais moi j’étais fatiguée! J’avais juste quatre ans!
Ma mère voulait que tout le monde soit heureux et elle essayait de m’acheter avec du chocolat pour que je continue à skier. Elle m’offrait du chocolat en me disant « allez, encore une, encore une. » Je continuais évidemment à skier. À la fin de la saison, elle a eu toute une surprise quand le dentiste a annoncé que j’avais des problèmes de dents. Le verdict : trop de sucre pendant l’hiver.
Heureusement pour mes dents, elle n’a plus jamais eu à m’acheter avec du chocolat. Tout ce que je voulais, c’était skier. Comme mes sœurs.
Je suis la plus jeune et quand on est le bébé, on veut faire comme ses grandes sœurs parce qu’on les trouve cool, fines et belles. Je voulais être comme elles. Je les regardais skier et je voulais les suivre.
C’est Maxime qui m’a fait connaître les bosses. Elle a vu une compétition de ski acrobatique et dit qu’elle n’avait jamais rien vu d’aussi cool. À douze ans, elle s’est inscrite à un club. Chloé et moi, on allait la voir en compétition. Elle était tellement heureuse et elle faisait tous ces sauts. Elle avait l’air tellement cool! L’année suivante, j’ai dit que je voulais faire la même chose. Chloé aussi. J’avais huit ans, et c’est comme ça que j’ai commencé le ski de bosses.
À partir de ce moment-là, nous avons fait de la compétition ensemble, nous nous sommes entraînées ensemble et nous avons voyagé ensemble. À un certain point pendant notre adolescence, nous faisions deux heures et demie de route tous les week-ends pour aller camper à Lake Placid pour l’entraînement. Nous étions les sœurs voyageuses. Encore aujourd’hui, elles sont toujours mes colocs, sauf que maintenant, on dort dans des hôtels. On s’entraîne aussi au gym ensemble. Nous sommes très, très proches. On fait quelque chose ensemble tous les jours.
Ça n’a pas toujours été facile. Quand j’étais petite, je trouvais mes sœurs super cool, mais à un certain point, j’ai eu envie de faire les choses à ma façon. Ma mère m’a dit, « Justine, tu peux avoir des ex‑amies, des ex‑chums, mais tu ne peux pas avoir des ex‑sœurs. Tes sœurs vont être là pour le reste de tes jours. Tu ne veux pas bien t’entendre avec elles? » Et elle a ajouté qu’ensemble, si on se tient, on forme un triangle. Et tu sais quoi? Personne ne peut défaire un triangle parce que c’est une forme de support.
On vient ensemble, point. Nos parents pensaient que ça correspondait à nos valeurs et pour nous la famille, c’est primordial.
On n’est pas pareilles. On est très différentes et parfois, on argumente. Nous sommes des sœurs, c’est normal. Ma mère nous a conseillé de ne jamais aller nous coucher fâchée. Elle nous disait de commencer nos phrases par « j’ai besoin » ou bien « je me sens ». Parler de nos sentiments n’est pas toujours évident, mais c’est essentiel. La raison pour laquelle on travaille aussi bien ensemble, c’est parce qu’on est vraiment, vraiment différente. Prenez Maxime. C’est notre intellectuelle : elle est rationnelle et elle réfléchit avant d’agir. Elle est calme, et c’est vers elle que je me tourne pour prendre une décision. Chloé est près de ses émotions. Elle est précise et minutieuse. Quand je skie, je suis comme un Jack Russell ou un tigre. Je suis intense.
On a beaucoup de plaisir ensemble. On rit. Il n’y a pas que le ski dans la vie. On aime la mode. On est passionnées de vêtements, de maquillage et de coiffure. On n’est pas que des athlètes, on est des filles qui sont des athlètes.
Les Jeux de Sotchi ont été plus faciles parce qu’on les a vécus ensemble. Il se passait énormément de choses et j’étais jeune. Je n’avais que 19 ans. Chloé avait déjà de l’expérience olympique. Elle a terminé cinquième à Vancouver 2010 et elle connaissait la pression des Jeux. Ça nous a aidées. Tous les soirs, on faisait nos étirements, on écrivait dans notre journal, on riait des événements de la journée et on se racontait des blagues. C’était comme à la maison! Je me sentais bien parce que mes sœurs étaient là. Elles m’ont soutenue du début à la fin. Ça ressemblait moins à la plus grosse compétition de ma vie.
Pendant l’épreuve, j’ai réussi à me concentrer entièrement sur ma course. J’avais une battante à l’intérieur de moi. Je me suis dit : « tu es une battante, tu es un tigre. C’est mon moment, c’est ma journée. »
On nous demande souvent s’il y a beaucoup de compétition entre nous et la réponse est non. Peu importe ce que je fais, c’est moi qui le fais. Je ne peux pas être fâchée contre elles si elles sont meilleures que moi. On respecte toujours ça. C’est ce que notre mère nous a appris. Si tu fais de ton mieux, c’est la meilleure qui va gagner. Mon père, lui, dit qu’il est fier de nous, peu importe le résultat. De cette façon, on ne perd jamais.
J’adore être sur le podium, mais je suis contente quand une de mes sœurs donne une bonne performance et gagne une médaille. Je les encourage et elles m’encouragent aussi. On essaie de se pousser, mais d’une façon positive. Pour moi, c’est ça être olympique.
On profite du moment présent parce que ce qui nous arrive est unique. Et comme dit ma mère, le ski ne fait qu’un temps, on sera toujours des sœurs.