La butte de neige parfaite

En l’honneur du dévoilement du parcours olympique de surf des neiges et de ski-cross, voici un aperçu des coulisses de sa conception et de ses artisans.

PEMBERTON, C-B – Pemberton est située au nord de Whistler, blottie entre un coin de ciel et des montagnes majestueuses. La petite communauté d’environ 2000 âmes compte son lot d’aventuriers, d’expatriés et de jeunes familles. C’est aussi là qu’a élu domicile l’un des meilleurs concepteurs de parcours du Canada.

C’est une belle journée d’automne et les arbres ont pris des tons d’ocre et d’orange. Au circuit de BMX de Pemberton, Steve Petrie, lunettes noires et manches courtes, pellette de la terre pour convertir le monticule de départ en rampe de surf des neiges.

Il a deux jours et demi pour transformer le site. Propriétaire du Arena Snowparks, il doit aussi planifier la saison 2013/14 qui s’annonce très occupée avec les Jeux olympiques d’hiver qui l’amèneront dans l’Est.

Il en faut davantage pour décoiffer le natif d’Ottawa de 42 ans à l’allure décontractée qui conçoit et construit des demi-lunes et des parcours de snowboard cross et de slopestyle pour des compétitions aussi prestigieuses que les Jeux olympiques d’hiver de 2010 à Vancouver, les Championnats du monde de surf des neiges et le Arctic Challenge.

Bronzé et la barbe un peu longue, Steve Petrie, nous expliquera le temps d’un café les rudiments de la construction d’un parcours olympique et pourquoi il n’y a jamais assez de neige.

Terre à terre

Tout à commencer en 1994 quand Whistler Blackcomb a ouvert un des premiers parcs à neige du Canada. Steve Petrie travaillait alors à l’entretien des pistes pour pouvoir consacrer ses journées à la planche à neige. Il n’a pas tardé à s’aventurer dans le parc pour bâtir des sauts. Il n’y avait ni manuel ni méthode, mais à son avis, c’était une bonne chose.

Règle générale, « nous construisions le saut, l’ouvrions le lendemain et si les planchistes l’aimaient, c’était tant mieux. S’ils ne l’aimaient pas, on le modifiait, » raconte-t-il.

Mark

Mark McMorris. Photo: Alex Paradis

Lui-même planchiste de compétition, il passait sa vie à faire des sauts en aiguisant son oeil pour la construction de parcs.

« Je pense que j’ai joué un rôle important dans l’évolution de la construction de parcs parce que tous les soirs, j’étais dans la montagne à essayer de comprendre par moi-même, » dit-il.

Steve Petrie a fait de la compétition pendant environ quatre ans. Il a participé à quelques Coupes du monde et à la série nord-américaine de snowboard cross à Whistler.

« Chaque hiver, je gagnais en expérience. J’ai appris par essais et erreurs. À un moment, j’ai compris comment ça fonctionnait, mais je n’ai jamais eu de méthode officielle, » dit-il.

En 2013, la construction de parcs à neige est une affaire hautement technologique.

« Le saut moyen nécessite entre 2500 à 5000 mètres cubes de neiges et on multiplie cette quantité par quatre ou cinq sauts et par 1000 mètres cubes. Les rails demandent un peu moins de neige, »

Lucas Ouellette, gestionnaire de projet de l’Arena Snowparks, se trouve au magasin d’usine situé à sept minutes en voiture de Pemberton. C’est dans ce local spacieux et éclairé que le groupe fait de la magie au milieu des pistolets de soudage et des pinceaux. On y conçoit, modifie et produit des rails et des boîtes.

« C’est très scientifique maintenant et nous ne perdons presque plus de temps. Une fois sur place, nous savons exactement la quantité de neige dont nous aurons besoin pour bâtir un saut, » explique Lucas Ouellette.

Photo: Malin Dunfors

« Le saut moyen nécessite entre 2500 à 5000 mètres cubes de neiges et on multiplie cette quantité par quatre ou cinq sauts et par 1000 mètres cubes. Les rails demandent un peu moins de neige, » estime Steve Petrie.

Mais, dit-il en connaisseur, « plusieurs choses peuvent aller de travers dans la planification d’un événement important. »

Les Jeux de la pluie

Si les Jeux olympiques d’hiver de 2010 à Vancouver ont permis aux athlètes canadiens de se faire connaître sur la scène internationale, ce sont aussi les Jeux les plus humides de l’histoire olympique moderne.

Le gestionnaire de projet de l’Arena Snowparks, Lucas Ouellette, rit en repensant à la construction de la demi-lune. « Les conditions étaient terribles. »

« Il n’y avait rien. De l’autre côté de la montagne, une excavatrice remplissait des réservoirs de neige qui nous étaient ensuite transportés par un énorme hélicoptère Sikorsky. L’hélicoptère vidait le réservoir sur le site et nous mettions la neige en place. »

Sauf qu’il n’y avait pas assez de neige.

« Nous avions du mal à passer la dameuse autour de la demi-lune parce qu’il y avait de la boue partout et à certains endroits, la couche de neige n’avait pas plus d’un pied d’épaisseur. Pour bâtir l’entrée de la demi-lune, nous sommes allés dans la forêt remplir des seaux de neige. »

Lucas Ouellette n’en revient toujours pas.

« Ça a fonctionné, se réjouit-il. Du point de vue des planchistes et des spectateurs, la demi-lune était entièrement blanche. Ils n’ont pas vu les balles de foin, les échafaudages et les planches de contreplaqué qui maintenaient les murs en place. »

Revenons au 10 janvier, quand Steve Petrie est arrivé à Cypress pour commencer la construction de sa première demi-lune olympique. Il pleuvait des cordes et du gazon poussait dans la demi-lune. « Il n’y en aura pas de facile, » a-t-il pensé.

Pour l’aider, il pouvait compter sur la plus grosse équipe avec qui il n’avait jamais travaillé : 20 employés de sa propre entreprise (quatre opérateurs de machine et 16 façonneurs) et 100 bénévoles. C’est sans compter les dameuses neuves et les hélicoptères.

Selon Steve Petrie, les Jeux olympiques sont le « paradis de la construction » parce qu’on y obtient tout ce dont on a besoin.

« Les épreuves auront lieu coûte que coûte. Il faut s’entourer de sa meilleure équipe parce que peu importe ce que dame Nature nous réserve, il faut une demi-lune. »

Noël blanc

Steve Petrie et son équipe ont été sauvés par deux semaines de belle neige en décembre.

« Nous avons été très chanceux. Ils ont été capables de nous faire de la neige au début de l’hiver avant l’arrivée des températures chaudes et de la pluie. Nous n’avions plus qu’à protéger notre monticule de neige. En fin de compte, nous avions juste assez de neige pour la demi-lune et nous avons dû faire preuve de minutie parce que nous ne pouvions pas nous permettre de perdre un seul flocon. »

Comme le dit le proverbe, la nécessité est mère de l’invention et Steve Petrie a développé une toute nouvelle technique pour construire ses demi-lunes.

« Normalement, beaucoup de neige se retrouve dans le fond de la demi-lune. Ça fait partie du processus, mais cette fois, nous n’avons pas poussé la neige à partir du fond, nous l’avons gardé sur les murs, » explique-t-il.

« Je n’avais jamais fait de butte de neige aussi parfaite. »

L’équipe s’est servie d’un laser installé au sommet de la demi-lune qui pouvait projeter un rayon horizontal ou vertical.

« Nous avons érigé un des murs de la demi-lune et nous avons pointé le laser vers le bas pour déterminer exactement à quelle hauteur placer la neige et nous avons poussé, poussé, poussé, » explique Steve Petrie en mimant la construction avec ses mains. Ils ont ensuite répété l’opération pour l’autre mur.

« À la fin, les deux côtés de notre demi-lune avaient moins de dix centimètres de différence. Elle était parfaite. Je n’avais jamais fait de butte de neige aussi parfaite, » conclut-il en riant.

Le déclin

Depuis, les demi-lunes et ceux qui les construisent sont devenus une espèce en voie de disparition.

Steve Petrie, qui a construit d’innombrables demi-lunes depuis 11 ans, s’aperçoit que la nouvelle génération ne les fréquente plus autant. Les jeunes sont attirés par les rampes et les rails.

Construire une demi-lune n’est pas donnée et si personne ne s’en sert, les centres de ski ne voudront plus payer pour déplacer de la terre et façonner de la neige. Moins de demi-lunes signifie aussi moins de constructeurs de demi-lunes « qui ont le tour et la patience, » renchérit-il.

Le déclin de la popularité des demi-lunes s’explique en partie parce qu’au tout début, les centres de ski ont investi beaucoup d’argent dans la construction de demi-lunes, mais ils n’avaient pas les bonnes personnes pour les construire. Les planchistes ont rapidement délaissé les demi-lunes mal faites et sont partis s’amuser sur d’autres pentes.

Il ne faut pas s’en faire pour Steve Petrie qui pense qu’il ne s’agit que d’un cycle.

« Les demi-lunes recommencent à être plus populaires, dit-il en donnant l’exemple de son fils de dix ans. Peut-être qu’un jour quand il sera plus vieux, la demi-lune reviendra en force et il aura le goût d’en faire. »

Deux pour un

Si la demi-lune est au creux de la vague, le slopestyle, lui, fait ses débuts aux Jeux olympiques cette année. L’entrée au programme olympique a soulevé une question. Les hommes et les femmes devaient-ils concourir sur des parcours différents au lieu du même parcours comme ils le font présentement?

Construire des parcours différents ne déplaît pas à Steve Petrie, mais il ne pense pas que le format de compétition actuel le permette.

Construire un parcours qui plaît aux deux groupes est un défi parce qu’ils veulent des sauts de différentes tailles.

Une des solutions serait d’ajuster le parcours pendant l’épreuve.

« L’idéal serait que l’épreuve masculine soit suivie d’une pause de deux ou trois jours avant le début de l’épreuve féminine pour nous permettre de rapprocher les sauts et réarranger le parcours. »

En attendant, il profite de la tendance actuelle qui privilégie les sauts plus petits qui permettent aux athlètes de rester en l’air plus longtemps et d’avoir plus de temps pour exécuter leurs manœuvres.

« Nous essayons de rester dans la même veine en construisant des sauts qui ne sont pas plus longs, mais qui ont une plus grande amplitude et une zone de réception plus longue. Comme ça les femmes pourront atterrir à 50 pieds, » explique Steve Petrie.

« Elles toucheront à la zone de transition, mais la zone de réception assez longue pour que les hommes puissent survoler 65 ou 70 pieds et réussir une belle réception. »

Caprices de la météo

Anders Forsell, le concepteur en chef du parcours de slopestyle de Sotchi, partage la même philosophie.

« Tous les sauts ont une zone de décollage pour les hommes et une autre pour les femmes, » dit-elle.

« Nous devons composer avec la nature et elle a plus d’un tour dans son sac. »

Anders Forsell n’est pas encore en mesure de dévoiler la taille exacte des sauts parce que celle-ci dépendra de la quantité de neige tombée.

« Nous devons composer avec la nature et elle a plus d’un tour dans son sac, » raconte Roberto Moresi, directeur des courses de surf des neiges adjoint de la FIS. Il collabore étroitement avec Anders Forsell et Davide Cerato, du comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2014 à Sotchi, pour élaborer la demi-lune et le parcours de slopestyle.

Roberto Moresi qualifie « d’anormal » l’absence de chutes de neige de l’hiver dernier qui ont forcé l’annulation des épreuves tests de slopestyle en février.

« D’autres compétitions ont eu lieu l’année précédente et il neigeait sans cesse, » se souvient-il.

Si le pire devait arriver, c’est-à-dire s’il ne neigeait pas ou peu, Roberto Moresi et son équipe se sont dotés d’une stratégie bien précise : « minimiser la production de neige et maximiser le travail au sol. »

Selon Anders Forsell, l’essentiel est de donner la chance aux planchistes et aux skieurs de performer du mieux qu’ils peuvent « pour donner un bon spectacle. »

Vétéran du surf des neiges et ancien membre de l’équipe nationale italienne, Robert Moresi considère que le développement des parcours et la progression des performances sportives vont main dans la main.

« Nous améliorons la conception des sauts, ils améliorent leur technique. C’est ce qu’ils veulent, » croit-il.

La bosse des bosses

Pour les bosses, le contraire s’applique.

Peter Judge, chef de la direction de l’Association canadienne de ski acrobatique, explique que les parcours sont pratiquement les mêmes depuis 20 ans et que les seuls changements apportés sont mineurs.

« Ce sont les athlètes qui se sont améliorés parce que les parcours ne sont pas vraiment plus à pic ou plus longs. Nous n’avons pas beaucoup de jeu et les parcours ne dérogent pas de la norme, dit-il. »

Alex-JLB

Alex Bilodeau, 2010. Jean-Luc Brassard, 1998.

Les bosses en tant que telles ont changé. Les bosses qui étaient auparavant faites à la main sont façonnées à la dameuse ce qui leur donne un rythme très régulier, note Peter Judge.

Les skis des bosseurs sont beaucoup plus rapides que ceux utilisés il y a dix ou 15 ans.

Aujourd’hui, les bosseurs parcourent environ dix mètres et trois bosses par secondes.

« C’est très, très rapide et la vitesse des meilleurs bosseurs est tout simplement époustouflante, » ajoute Peter Judge.

Faire du neuf avec du vieux

Flynn Seddon est président de l’Association de snowboard de la Colombie-Britannique et représentant technique auprès des Jeux du Canada d’hiver de 2015. L’été dernier, il a collaboré avec le concepteur de parcours canadien Jeff Ihaksi au centre de ski Tabor Mountain de Prince George en Colombie-Britannique.

Pendant deux mois et demi, ils ont façonné des monticules de terre pour les parcours de snowboard cross et de slopestyle. Ils ont aussi travaillé à la ligne de course, aux sauts et aux virages.

« Le concept n’a rien de nouveau, » dit-il.

L’idée derrière la construction de la base du parcours en terre est de bâtir des parcours permanents afin de réduire les coûts.

Flynn Seddon fait une comparaison avec un circuit de Formule un où « on construit un circuit unique qui sert année après année. »

Il soutient que des centaines d’heures sont dépensées pour bâtir des parcours de calibre olympique qui servent pendant un week-end ou une semaine avant d’être démolis. Et on répète la procédure à la compétition suivante.

Il dit que la FIS étudie présentement le concept et pourrait peut-être le mettre en vigueur aux prochains Jeux olympiques et aux épreuves de la Coupe du monde.

Pour Jeff Ihaksi et lui, l’objectif est que le parcours des Jeux olympiques d’hiver de 2018 à Pyeongchang en Corée du Sud soit bâti de cette façon.

« Nous espérons être ceux qui bâtiront le parcours olympique en terre pour les Jeux, affirme-t-il avec un rire contagieux. On verra bien. »

Mais avant la Corée, il y a Sotchi.

Sotchi dans la mire

Steve Petrie affirme que la construction du parcours de ses deuxièmes Jeux olympiques sera complètement différente.

« Au lieu d’embaucher une seule compagnie qui s’occupe de tout, les Russes font venir des gens des quatre coins du monde. Cette fois, je suis davantage un employé que le patron, explique-t-il en souriant. Toutes les autres personnes embauchées sont des amis alors ça ne devrait pas être trop mal. »

Parmi ses collègues, il pourra compter sur le concepteur de parcours suédois David Ny pour la conception des parcours de snowboard cross et de ski cross.

Au début du projet, il y a quatre ans, les deux experts pensaient construire deux parcours séparés avec une zone de départ partagée, mais le ski cross a changé d’avis.

Du pareil au même

« Ils veulent concourir sur mon parcours. C’est super et ça sauve de la neige, » dit-il.

80 à 85 % des deux parcours sont pareils. On a ajouté un virage au parcours de ski cross qui retrouve le parcours de snowboard cross au dernier tiers de la course.

David Ny, qui a davantage l’habitude des sauts de freestyle avec un long temps en vol et des tremplins abrupts, trouve plus difficile de construire des sauts pour le ski cross en raison de la rapidité de la discipline par rapport au snowboard cross.

« Nous pensons avoir trouvé quelque chose qui plaira à tout le monde, » se réjouit-il.

80 à 85 % des deux parcours sont pareils. On a ajouté un virage au parcours de ski cross qui retrouve le parcours de snowboard cross au dernier tiers de la course.

« Quand nous savons qu’un saut sera très rapide, nous ajoutons des zones de réceptions à deux pignons qui fonctionnent comme deux zones de réception. Si l’athlète ne réussit pas à viser une des deux zones de réception, il atterrira sur une des bosses et ratera son atterrissage, mais nous n’avions pas d’autre choix. »

Un autre avantage est le bon comportement de ce type de zones de réception avec la météo de Sotchi. Qu’il pleuve ou qu’il neige, le parcours sera praticable.

C’est une bonne chose parce que la température est incertaine. David Ny, qui avait aidé Steve Petrie à construire la demi-lune olympique à Cypress, trouve que les précipitations de Sotchi ressemblent à celles de Vancouver.

David Ny n’est pas du genre à s’en faire. « On ne peut que se croiser les doigts, » dit-il.

Que pense Steve Petrie des dieux de la neige russe? « Ce sera peut-être un défi, mais je suis sûr que nous nous amuserons bien. »