S’attaquer de front aux commotions

Ce que les entraîneurs peuvent faire pour prévenir cette blessure potentiellement évastatrice

Andrew Lahey, médaillé d’or à deux occasions en patinage de vitesse courte piste, a représenté le Canada à quatre Championnats du monde juniors. Mais aujourd’hui, à l’âge de 31 ans, il peut à peine faire un léger jogging dans les rues autour de sa maison, encore moins prendre part à une course de patin.

Malgré un avenir prometteur avec l’équipe nationale de patinage de vitesse courte piste, Lahey a été obligé de prendre sa retraite à l’âge de 21 ans à cause de symptôme reliés à des commotions cérébrales répétées. En fait, il estime qu’il a subi dix commotions à la suite de chutes en pratiquant son sport au cours de sa courte carrière.

«J’ai probablement subi ma première à l’âge de 14 ans, relate-t-il. Lors de ma dernière commotion, les symptômes ont été si sévères que j’ai perdu ma mémoire à court terme et ma vision a été sévèrement affectée.»

Les symptômes ont duré deux ans et même si Lahey a recouvré toutes ses fonctions cognitives, il lui a été impossible de pratiquer toute forme d’activité physique soutenue depuis lors.

« Même aujourd’hui, si je vais courir, ma vision est éparpillée et je perds l’équilibre. »

Selon les plus récentes statistiques du Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis, 3,8 millions de commotions surviennent chaque année aux États-Unis, selon le nombre de visites aux salles d’urgence (il n’existe pas de données pour le Canada). Les experts affirment que ce nombre est conservateur, étant donné que certaines personnes s’adressent à leur médecin de famille ou ne voient pas de médecin pour un diagnostic.

Pleins feux sur les commotions

L’attention médiatique portée sur les grandes vedettes telles Sydney Crosby a ramené les commotions cérébrales à l’avant-plan comme jamais auparavant, mais la conscientisation n’est pas encore au niveau où elle devrait être, déclare le docteur Charles Tator, professeur de neurochirurgie à l’Université de Toronto et fondateur de Pensez d’Abord Canada, une organisation vouée à la prévention des traumatismes au cerveau et à la moelle épinière.

Robin Bone

« Les commotions constituent un problème qui a été négligé par la profession médicale et nous n’en avons pas assez fait en matière d’éducation dans le milieu sportif sur ce qu’est une commotion et comment la reconnaître et la gérer », dit-il, ajoutant qu’il existe encore plusieurs personnes qui parlent encore d’une commotion comme « voir des étoiles » ou « se faire sonner » et qui pensent qu’une personne doit perdre connaissance pour en subir une.

Il dit aussi qu’une autre fausse croyance très répandue est que les casques offrent une protection contre les commotions.

« Tous les joueurs de hockey que j’ai vus à mon bureau et qui avaient subi une commotion portaient un casque. Les casques peuvent prévenir des blessures au cerveau qui seraient encore plus catastrophiques et sauver des vies, mais ils ont peu ou rien à voir avec la prévention des commotions. »

Les casques protègent la tête, mais ne protègent pas complètement le cerveau.

Le docteur Tator affirme, après 50 années à soigner des patients commotionnés, qu’une des choses qu’il a apprises est que tous ceux qui sont impliqués en sport ont besoin d’être informés à propos de cette condition : les athlètes, les parents, les entraîneurs, les soigneurs, les enseignants, les médecins et autres membres du personnel soignant.

«Il faut une équipe complète de personnes bien formées, informées et ayant un intérêt pour bien diagnostiquer et gérer les commotions cérébrales.»

Il ajoute que les entraîneurs ont un rôle particulièrement important au sein de cette équipe, car ils sont ultimement responsables de la sécurité de leurs joueurs.

« L’entraîneur a la capacité de prévenir des blessures ou d’en causer, et sa façon de travailler comme entraîneur déterminera ce qui se passera.»

Jonathan CavarJonathon Caver, entraîneur de l’équipe nationale de patinage de vitesse courte piste à Calgary, a travaillé avec différents athlètes, y compris Andrew Lahey, et il dit qu’à la suite de l’augmentation de la conscientisation concernant les commotions, lui et son personnel prennent toutes les précautions afin d’accroître la sécurité des athlètes.

Lorsqu’il y a soupçon de commotion, Carver dit que faire faire l’évaluation initiale par une personne qualifiée autre que l’entraîneur peut rendre plus facile les discussions avec les athlètes portant sur les décisions de les retirer du jeu.

« Jouer le dur est notre responsabilité. Pour des raisons égoïstes, nous voulons qu’ils performent, mais je sais que je dors mieux la nuit sachant que mes préoccupations premières sont leur santé et leur sécurité. »

Caver ajoute qu’il est essentiel pour les entraîneurs d’être celui en qui les athlètes ont ultimement confiance, même avant les membres de la famille et les autres personnes agissant en soutien. « Puisqu’une commotion n’est pas aussi visible qu’une plaie, il est plus facile pour les personnes gravitant autour de l’athlète d’exercer de la pression; ils veulent que leur enfant soit en sécurité, mais ils veulent aussi qu’il réussisse. Quelquefois, il faut écarter certaines personnes et parler directement aux athlètes pour s’assurer qu’ils entendent clairement votre message. »

Bien que la conscientisation soit désormais plus grande dans les milieux du sport professionnel, un manque de connaissance concernant les commotions existe toujours au niveau communau taire, affirme Jesse Smith,  seudonyme d’une entraîneure de soccer à Toronto qui a demandé de conserver l’anonymat.

« J’en sais un peu plus parce que j’ai eu une formation en premiers soins, mais je pense que plusieurs entraîneurs

ne savent pas faire la différence entre quelqu’un qui trébuche et tombe et quelqu’un qui pourrait avoir une blessure au cerveau, dit-elle. De plus, il n’est pas facile de faire l’évaluation d’une blessure sur place, car il pourrait s’écouler quelques jours avant que le cerveau enfle et que les symptômes apparaissent. »

Il est nécessaire d’avoir des protocols de retour au jeu

En plus d’offrir des formations additionnelles aux en-traîneurs au sujet des symptômes des commotions, Smith suggère d’avoir des protocoles plus formels de retour au jeu pour les joueurs qui ont eu un diagnostic de commotion. « Nous avons eu une joueuse qui est revenue au jeu après quelques semaines sans note de son médecin et uelques tours de pistes à la course ont été suffisants pour déclencher à nouveau ses symptômes. Nous lui avons suggéré de revoir son médecin et avons aidé ses parents à voir que les choses n’étaient pas normales. En bout de compte, elle a dû rater toute la saison d’été de soccer. »

Jamie Kissick, un médecin de la région d’Ottawa spécialisé en médecine sportive, dit que les entraîneurs sont les mieux placés pour détecter les symptômes à la suite d’une commotion puisqu’ils apprennent à bien connaître leurs athlètes et peuvent voir rapidement si leur comportement est différent.

« Les entraîneurs jouissent d’une grande influence et s’ils ne sont pas convaincus de la sévérité de la commotion, les athlètes seront réticents à avouer qu’ils ne se sentent pas bien. »

Lorsque vient le temps de déterminer le moment où les joueurs peuvent revenir au jeu. Le docteur Kissick affirme qu’il est important d’avoir une approche par étape sous la surveillance d’un médecin qualifié.

« Pensez à un gradateur de lumière avec lequel vous pouvez ajuster la lumière au besoin, plutôt que simplement l’allumer ou l’éteindre », dit-il, ajoutant que 85 % des commotions nécessite au moins de 7 à 10 jours de repos et les plus sévères, plus de jours encore. « J’ai vu des gens empirer leur condition en essayant de faire comme si de rien n’était. Leur niveau de repos devrait être tel que les symptômes ne réapparaissent pas. »

Les statistiques démontrent que les personnes qui ont subi une commotion sont plus aptes à en subir une deuxième et une troisième. Ils doivent donc être prudents quant à leur retour au jeu, dit le docteur Kissick, ajoutant que les entraîneurs ont un rôle à jouer afin de s’assurer que l’athlète ne précipite pas les choses. Avec toutes les nouvelles études concernant les effets néfastes des commotions, le temps est venu d’améliorer la situation pour les athlètes, déclare Cyndie Flett, e.p.a., vice-présidente, Recherche et développement, à l’Association canadienne des entraîneurs.

« Il y a eu des décès et des blessures sérieuses au cerveau qui ont mené à des problèmes pour les jeunes athlètes, dit-elle. L’entraîneur est en première ligne auprès des joueurs, et même si nous n’avons pas l’intention de former les entraîneurs pour remplacer les médecins en ce qui concerne le diagnostic des commotions, ils ont un rôle important à jouer dans l’identification des symptômes et pour aller chercher une aide d’appoint, lorsque nécessaire. »

Le gouvernement fédéral a aidé à l’atteinte de ces objectifs en apportant une contribution de 1,5 million de dollars pour développer des ressources visant à augmenter la conscientisation et la gestion des commotions grâce à un nouvel organisme de charité nommé Parachute.

Une partie du projet comprend une série de six modules de formation à distance, développés par l’Association canadienne des entraîneurs, qui offriront des formations sur la prévention et la détection des commotions et sur les protocoles appropriés de retour au jeu pour les entraîneurs œuvrant avec les jeunes athlètes âgés de 5 à 19 ans. Le premier module est de nature multisport et a été lancé sur le http://www.coach.ca au mois d’avril 2013. Les modules sur le soccer, le football, le snowboard, le ski acrobatique et le patinage de vitesse seront disponibles au mois de juin 2013.

« Nous ne voulons pas voir diminuer le nombre de parents qui inscrivent leurs enfants à des sports de participation de masse, » affirme Flett. « Nous voulons faire tout en notre pouvoir pour prévenir les commotions et nous en occuper de la meilleure façon lorsqu’elles surviennent. »